Revoir l’économie en profondeur grâce au Donut ! (partie 2)

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La théorie du donut, imaginée par l’économiste Kate Raworth, propose une boussole pour une économie viable tenant compte à la fois des besoins humains fondamentaux et des limites écologiques de notre Terre. Sept principes sous-tendent la mise en œuvre de cette vision. Le précédent article synthétisait les 3 premiers principes. Nous résumons, dans cet article, les 4 suivants.

Principe 4 : Apprendre à comprendre et à intervenir sur des systèmes complexes.

Un système est en ensemble de choses reliées de manière à produire des modes de comportements spécifiques, qu’il s’agisse de cellules dans un organisme, de manifestants dans une foule, d’oiseaux en nuée, … ou de banques dans un réseau financier. L’économie ou le système climatique répondent bien sûr à cette définition.  

Comme tout système, l’économie est dynamique, instable, imprévisible et… complexe. La théorie économique classique – comme la fameuse loi de l’offre et de la demande – n’est pas adaptée pour répondre à ce type de conditions. Kate Raworth nous propose d’: « écarter l’équilibre et de commencer à penser en systèmes » et de renoncer à la sacro-sainte notion « d’externalités ». Celle-ci n’est qu’un subterfuge des économistes pour inclure quelque chose qui est non prévu dans leurs théories. Il n’y a pas d’effets accessoires ; il n’y a que des effets ! Les externalités sont en réalité des crises sociales et écologiques majeures !  

Notre cerveau primitif est conçu pour gérer le proche, le court terme et le réactif. Naturellement, nous avons le désir d’équilibre et de solutions rapides (qui s’avèrent souvent simplistes et contreproductives) pour nous conforter dans nos récits où tout est bien qui finit bien. Pour dépasser ces prédispositions, il nous faut apprendre – et nous le pouvons à force d’entraînements et d’expériences- à devenir des théoriciens des systèmes.  

Principe 5 : Redistribuer la richesse : revenu, terres, savoir, etc

Non, la croissance ne résout pas le problème des inégalités. S’attaquer à celles-ci est indispensable pour plusieurs raisons. D’abord, parce qu’elles influencent bien plus fortement le bien-être de tout un chacun que le revenu en tant que tel. On observe plus de maladies mentales, de problèmes de drogue, d’obésité, de décrochages scolaires par exemple dans les sociétés inégalitaires. Les inégalités vont également de pair avec une dégradation écologique accrue. En effet, elles alimentent la concurrence de statut et la consommation ostentatoire. Elles érodent le capital social fondé sur la réciprocité qui sous-tend les actions collectives pour exiger, obtenir et mettre en place des législations environnementales. Plusieurs études ont montré dans plus de 50 pays que plus un pays est inégalitaire plus la biodiversité est menacée. « N’attendez pas que la croissance économique réduise les inégalités, elle ne le fera pas, créez une économie qui soit distributive à dessein. » écrit Kate Raworth. Il est urgent de modifier la distribution du revenu mais aussi de la richesse, spécialement celle qui vient du contrôle de la terre, de la création de la monnaie, de la technologie, et du savoir.

Principe 6 : Etre dans une logique régénérative

Non, la croissance ne finit pas par résoudre – comme par magie – les problèmes écologiques qu’elle crée. C’est le pouvoir du peuple, l’éducation, la pression des citoyens, la répartition plus équitable des revenus qui protègent l’environnement et non la croissance économique en soi. De même, globalement, le calcul de l’empreinte écologique globale1 des pays riches montrent que celle-ci ne fait qu’augmenter avec la croissance. Et même si l’empreinte atteint un plafond, celui-ci est bien trop élevé que pour être imitée par les autres pays.

Les taxes et les quotas ont certes un impact pour réduire la pollution mais ils seront largement insuffisants. Il est nécessaire de sortir des systèmes industriels linéaires – prendre, fabriquer, utiliser, jeter – pour créer des systèmes circulaires. Une économie circulaire implique a minima de ne « pas faire de mal » (usines à eau zéro, zéro énergie…). Il est cependant indispensable d’aller plus loin en générant une économie mais aussi des villes « généreuses » avec des industries, des infrastructures, qui non seulement n’exhalent plus de CO2 mais qui en inhalent. Il s’agit de s’inspirer, de prendre modèle sur la nature comme le suggère le mouvement du biomimétisme. Mais ne nous leurrons pas, le potentiel régénératif de l’économie circulaire ne sera pas atteint par les entreprises individuellement. Il faut créer des communs du savoir pour réaliser son plein potentiel, appliquer les principes du design libre et ouvert, créer des entreprises open source à l’image des logiciels. La transparence est indispensable tant sur la composition des produits que sur la localisation et la disponibilité des matériaux. Dans cette optique, le mouvement Open Source Circular Economy (OSCE) rassemble des novateurs, designers et militants2.

Principe 7 : Réfléchir comment vivre avec ou sans la croissance

Kate Raworth raconte à quel point il a été difficile pour elle d’écrire ce chapitre sur la croissance. Croissance verte ou décroissante ? Telle était l’épineuse question à laquelle elle voulait répondre. Selon elle, la littérature sur le sujet avance de bons arguments des deux côtés mais les auteurs parviennent en général trop vite aux conclusions qu’ils veulent mettre en avant. Au final, la vraie question pour Kate Raworth n’est pas de savoir si on est pour la croissance verte ou la décroissance mais de créer une économie régénérative et distributive par dessein. Cette économie se mettra en place grâce à de profondes transformations politiques, sociales et technologiques (blockchain, imprimante 3D, fablabs, creative commons, monnaies complémentaires, outils systémiques, …) impliquant le marché, l’état, les ménages et les communs. Cette économie produit et produira de la valeur qui sera mesurée différemment. Il est cependant indispensable de réaliser que notre économie dépend structurellement et politiquement de la croissance du PIB aujourd’hui. « Tout en étant agnostique sur le sujet, nous devons nous libérer de cette dépendance structurelle à la croissance. »

Même s’il n’est sans doute pas exempt de défauts, le livre de Kate Raworth propose un cadre salutaire pour sortir de la logique de la croissance à tout prix et ainsi créer une économie viable, distributive et régénérative. Il regorge d’exemples et de bonnes pratiques inspirantes. C’est une lecture et un guide profitable pour toutes personnes, institutions, organisations, entreprises qui s’impliquent ou devraient s’impliquer dans les changements structurels sociétaux, économiques et politiques nécessaires pour construire un monde viable.

Certains l’utilisent déjà : à l’heure où sont écrites ces lignes, Oxfam-Magasin du Monde s’apprête à lancer une campagne autour de l’économie du Donut3. Le livre de Kate Raworth est une source pour les mouvements d’étudiants comme le « rethinkings economy4» qui militent pour une ouverture massive des facultés d’économie à d’autres visions de l’économie. Elle s’adresse spécifiquement à eux et aux éducateurs car en tant qu’économiste elle sait à quel point les cours d’économie sont encore aujourd’hui fortement empreints des théories économiques classiques.

Pourra-t-on voir un jour, comme le rêve Kate Raworth, les géants du G20 assis autour d’une table en forme de Donut inspirant leurs réflexions et travaux ? Inutile de dire qu’il y a urgence …

Ressources


  1. L’empreinte globale d’un pays est calculée en ajoutant toute la biomasse, les combustibles fossiles, les minerais et les métaux utilisés dans le monde entier pour créer les produits que ce pays importe (Wiedmann, TO et al (2015) « the material footprint of nations », Proceedings of the National Academy of Sciences 112 :20, p 6271 cité dans Kate Raworth
  2. Open Source Circular Economy : mission statement.
  3. Le donut : une boussole pour mettre le cap sur un nouveau monde.
  4. Mouvements rethinking economy international et belge