J’ai testé pour vous : Ryanair. (Et j’ai aimé ça !)

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Que celui qui n’a jamais péché ne me jette surtout pas la première pierre, il gaspillerait son temps et son énergie. Grâce à une éducation certifiée 100% judéo-chrétienne à base de culpabilisation non-allégée et avec de vrais morceaux de stigmatisation dedans, j’ai en effet développé une expertise pointue en R&D de remords et assure depuis longtemps mon auto-production en la matière. Ceci étant précisé, je le confesse, le reconnais et l’assume : j’ai péché en pensée et par avion, reniant mes principes écolo-sociaux pour succomber aux charmes vulgaires de Ryanair. Et le pire, c’est que j’ai pris du plaisir à m’envoyer ainsi en l’air au mépris de ma morale coutumière !

Il est de coutume, en ces circonstances où la conscience ne se sent pas très droite dans ses bottes, de multiplier les justifications plus ou moins foireuses tentant d’accréditer le fait que «oui, je sais que ce n’est pas bien mais, non, vraiment, je ne pouvais pas faire autrement ». Et il n’existe aucune raison objective que je vous dispense ici de ce pathétique plaidoyer. Donc, je m’explique.

Mus par un évident amour de la splendeur toscane (et un très plausible désir de singulariser leur exercice matrimonial), des proches avaient décidé de fêter leurs épousailles sous le soleil d’Italie. Convié aux festivités, il m’était apparu opportun de rationnaliser le déplacement en prolongeant mon séjour dans le coin pour quelques vacances. Sachant que la longueur du trajet avoisinait les 1.500 kilomètres et que le nombre de voyageurs se montait à trois, quel était le mode de transport combinant capacité d’emport optimale, coût minimal, autonomie de gestion maximalisée et émissions de CO2 par personne minorées ? La bagnole. (Les experts en mobilité qui contesteraient ce choix sont invités à m’envoyer leur argumentation à : lapasteque@iewonline.be Merci.)

Nous allions donc voyager en voiture et profiter de notre présence sur place pour nous offrir une semaine de farniente en agriturismo. Tout était réglé comme un contrat de mariage lorsqu’il m’apparut qu’une obligation professionnelle incontournable, une de ces réunions décisionnelles dont on doit et veut être, s’imposait à mon agenda le jour même de la noce. C’est à partir de là que les choses vont glisser vers l’objet de cette chronique.

Contraint de laisser ma portion – je réfute l’expression « ma moitié » qui formate l’autre dans une dimension immuable à la fois irréaliste et stigmatisante : irréaliste car la moitié en question représente parfois bien plus et parfois bien moins en fonction de notre météo affective ; stigmatisante car il est un brin faux-cul et un chouïa anxiogène de (faire) croire que l’on se retrouverait hémiplégique si nos destins venaient à se séparer… – contraint, donc, de laisser ma portion sans chevalier servant pour les cérémonies nuptiales, je ne pouvais ni ne voulais la priver en plus de vacances partagées. Il me fallait donc trouver le moyen de la rejoindre sitôt libéré du boulot.

L’option automobile étant dépourvue de toute pertinence dans ce contexte, je me tournai vers ce qui m’apparaissait l’évidence : le train.

Une première consultation du site de la SNCB me permit de découvrir que « L’Europe en train » restait en grande partie à construire : il me faudrait au mieux 14 heures 39 et au pire 18 heures 52 – compte évidemment non tenu d’éventuels retards –, 3 ou 4 correspondances et un changement de gare pour rejoindre ma dulcinée. Celle-ci a certes toujours dû se mériter mais si elle bénéficie en plus de la complicité du rail, cela le devient, duraille !

Mais on a des principes ou on n’en a pas et, comme je m’obstine à prétendre au premier de ces statuts, je choisis la proposition me permettant de jouir au mieux des paysages traversés puis me lançai dans la réservation de ce trip ferroviaire. Là, (mauvaise) surprise : « Cette connexion n’est pas disponible pour la vente en ligne. » Même pas moyen de m’assurer de la disponibilité sur les différents trains concernés. Je suis invité à contacter le « Contact Center SNCB Europe », soit par téléphone (pas de chance, je ne suis plus dans l’horaire), soit par mail auquel cas « un opérateur vous répondra dans les deux jours ouvrables ». Désireux de clôturer l’affaire au plus vite, je décidai de transformer mes contraintes de navetteur en opportunités et de me renseigner au guichet de la gare dès le lendemain matin.

Caramba, encore raté ! « Ici, on ne gère pas l’international. Vous devez aller à Bruxelles-Midi. » Mon emploi du temps ne me permettant pas de prendre une demi-journée de congé pour me rendre dans la capitale, je me rabattis donc sur l’appel au Call Center. Aiguillage précis, attente minimale, je me retrouvai rapidement en ligne avec Dirk qui m’apprit aimablement que l’option que j’avais retenue comportait une liaison par bus entre Lyon et Turin. Mortecouille ! Je suis maudit…

 « Et il n’existe aucune possibilité de liaison exclusivement ferroviaire ? »

 « Attendez, je regarde… Si. Vous devez alors faire Paris-Nice par TGV puis prendre le Nice-Vintimille. Il y a aussi une possibilité de faire Paris-Florence mais ce n’est plus du tout dans les horaires que vous souhaitiez. »

 « Bien. Vous pourriez m’indiquer le prix pour le trajet via Nice ? »

 « Ce n’est pas possible de vous donner le tarif pour la totalité du parcours. Je peux vous renseigner jusque Nice. Après, ce sont des trains régionaux et je n’ai pas accès aux informations… »

 « Que dois-je faire alors ? »

 « Vous devez appeler notre service Produits spéciaux. »

 « OK. Donc j’achète mon billet jusque Nice auprès de vous et je les contacte pour le reste ? »

 « Non, je ne fais pas de vente, uniquement du renseignement. Mais je peux vous re-diriger vers mes collègues compétents. »

 « On va faire comme ça. Merci beaucoup pour votre aide et votre amabilité. »

 « A votre service, Monsieur. Mais je dois vous dire que le TGV est complet aux jour et heure que vous m’avez demandés… »

Je dois à la vérité de reconnaître que ma patience commençait sérieusement à s’émousser et mes nerfs à s’exciter d’autant plus que la perspective d’être consigné en Belgique prenait corps dans mon esprit. Je me résolus donc à transiger à mes principes et me mis en quête d’un avion susceptible de m’acheminer à destination.

Je n’avais pas réussi à chiffrer précisément le coût du voyage par train mais celui que je découvrais pour un transfert aérien me laissait pantois : de 451 euros (avec deux escales en prime) chez Alitalia – qui m’annonçait en outre que la disponibilité était « à vérifier » – à 920 euros chez Lufthansa, la moyenne se situant aux environs de 600 euros. Et le site me balançant cette info sans ménagement diffusait dans le même temps une publicité proposant « Une semaine all-inclusive au soleil de Bodrum pour 499 pp ! ». M’aurait-on offert ladite semaine que je l’aurais refusée mais la confrontation de ces différents prix défiait ma rationnalité. Il m’apparaissait en tout cas profondément indécent et dès lors totalement impensable de claquer 451 euros ou plus pour ce trajet.

La mort dans l’âme (si !), je me tournai dès lors vers ce qui était ma dernière cartouche, une cartouche à laquelle je n’avais jamais envisagé de recourir un jour : Ryanair.

Trente secondes à peine que je suis sur le site et deux propositions s’affichent en réponse à ma requête : tarifs respectifs, 11,99 et 23,99 euros ! J’exclus le ticket à 11,99 qui me ferait arriver de nuit alors qu’une centaine de kilomètres de voiture seront encore nécessaires pour rejoindre le gîte. Va donc pour le 23,99. Détails du vol : départ 10h25 – arrivée 12h10. Une heure et demi : cela change évidemment des 15 heures de train… Allez : « Sélectionnez et continuez », je clique.

Le formulaire en ligne se remplit facilement. On prend en réalité plus de temps à y débusquer et éviter les chausse-trappes qu’à le compléter.

Mes bagages partant par la route, je n’ai pas à choisir entre l’option « Max. 15kg : 15 euros » et « Max. 20kg : 25 euros ».

Pour 5 euros de plus, je peux éviter les files grâce à l’embarquement prioritaire. « Non. »

Mon numéro de réservation et les détails du vol par SMS pour 1 euro seulement. « Non. »

Acheter l’assurance-voyage : 15,50 euros. Ici, la man½uvre est plus subtile. Le choix n’est pas binaire : « Oui – Non ». « Si vous ne souhaitez pas acheter l’assurance, sélectionner Pas d’assurance dans le menu déroulant. » Après trois tentatives infructueuses, je me concentre et finis par dénicher la formule magique coincée entre « Latvia » et « Lithuania ».

Je refuse la valise « Samsonite F’Lite » à 99 euros, « exclusivité Ryanair acceptée comme bagage de cabine » et passe à la page suivante pour valider mon payement. Un pop-up surgit : « Message d’importance ! Ryanair vous conseille être bien sûr qu’on a d’assurance adéquat en force. Notre assurance-voyage vous fournit des bénéfices à un bon prix. » S’ensuit une explication dans un français tout aussi savoureux de quelques avantages liés à l’assurance proposée. Je n’ai pas tout compris mais clique sur « Non merci. ». Le pop-up fermé, je me retrouve sur… une réservation de voiture chez Hertz pré-remplie pour commencer 1 heure après l’atterrissage et durer 24 heures, ces options étant bien évidemment modifiables. Gaffe à la man½uvre car, ici encore, il ne s’agit pas d’opter pour « Non » mais bien de choisir « Annulation de la réservation ». La chose faite, j’arrive enfin à l’ultime étape du processus : « Site sécurisé pour payement ».

6 euros pour enregistrement en ligne et 2 euros de « Prélèvement UE 261 » se sont ajoutés au prix de mon vol qui se monte désormais à 31,99 euros. L’opération bancaire s’effectue sans anicroche et moins d’un quart d’heure après que j’aie accédé à ryanair.com, les informations relatives à mon vol se trouvent dans ma boîte mail. Il me faudra encore confirmer ma réservation via le site entre 15 jours et 4 heures avant mon vol. Je recevrai alors mon billet à imprimer… et à ne surtout pas perdre ou oublier, une réimpression à l’aéroport étant facturée 40 euros.

Le jour J, mon absence de bagages simplifie singulièrement la procédure : pas besoin de passer par le comptoir d’enregistrement, je peux rejoindre directement la salle d’embarquement, ce qui me permet une arrivée nettement plus tardive. Les « trois heures avant le vol » habituellement conseillées sont ici réduites à une.

Le vol affiche complet avec un public impossible à cataloguer : âges, classes sociales, familles, groupes et voyageurs isolés se mélangent sans que l’une ou l’autre catégorie ne semble majoritaire.

Côté personnel de cabine on est loin des stéréotypes officiant sur les autres compagnies : point de stewards aux cheveux ras et à la houpette gelifiée ni d’hôtesses soigneusement calibrées ; ici, on fait (volontairement ou non, je l’ignore) dans le physique qui marque. Le steward arbore ainsi une composition capillaire hésitant entre Justin Bieber pour la démarche « en avant toute » et Liam Gallagher pour le caractère rebelle de l’½uvre. Quant à l’hôtesse, elle m’évoque irrésistiblement l’image d’ « Ilsa, la louve des SS » telle qu’elle reste gravée dans mon esprit bien que mon seul contact avec ce nanar fut la vision éphémère de son affiche au fronton d’un cinéma dans mes années pré-adolescentes (ceci expliquant peut être cela…).

Si aucun service gratuit n’est prévu à bord, les deux ne chôment pas pour autant : à la traditionnelle vente de produits free-tax s’ajoutent en effet des sollicitations multiples dont je ne mentionnerai que la plus surprenante, la tombola Ryanair avec une voiture et des vols gratuits à gagner. Je profite d’ailleurs de ce passage au rayon « originalités » pour évoquer la diffusion quasi-permanente d’une bande-son composée du bruit de glaçons tombant dans un verre suivi du glou-glou d’un liquide remplissant celui-ci. De quoi déclencher quelques réflexes pavloviens amenant à consommer l’une des boissons proposées sur une carte où figurent également hamburger et pizza.

Après un voyage sans histoire et en avance sur son horaire, l’avion toucha le tarmac italien une heure et quart après avoir quitté celui de Brussels-South Airport.

Si je vous raconte tout cela, ce n’est évidemment pas pour vous gaver d’une tranche de vie relativement insipide mais pour illustrer aussi précisément que possible l’attrait que peut exercer Ryanair (ou tout autre compagnie low-cost). Bien que réfractaire à ce modèle commercial et particulièrement sensibilisé à ses multiples enjeux, j’ai malgré tout consenti à y faire appel, de manière exceptionnelle, certes, mais cela ne change pas grand chose à la démonstration : comment s’étonner, après pareille expérience, du succès du concept auprès d’un public moins conscientisé ? L’objectivité la plus élémentaire m’oblige en outre à reconnaître que je n’ai rien à reprocher au service qui m’a été offert… pour un prix dérisoire (Pour bien mesurer l’ampleur de ce « prix dérisoire », il suffit de savoir que l’envoi par Taxipost de médicaments oubliés par ma portion me coûta plus cher que mon ticket…). L’ensemble de la prestation frôlait même la perfection.

Michael O’Leary, l’emblématique patron de la compagnie, se complaît dans un rôle de bad-boy qu’il prend d’ailleurs grand soin de cultiver à coup de provocations. Mais derrière cette image d’ « homme que l’on aime haïr », on trouve in fine le prototype développé jusqu’à la caricature de l’entrepreneur néo-libéral : son seul souci, optimaliser les profits de sa boîte par tous les moyens à sa disposition. Cela le conduit à la négation et au mépris de toute responsabilité environnementale et sociale, certes, mais il est très loin d’être le seul dans ce cas. Plutôt que de s’obstiner à fustiger l’homme dont on nourrit par là même l’ego surdimensionné et le plaisir masochiste, il conviendrait donc plutôt de s’attacher et s’attaquer aux dysfonctionnements qui lui permettent d’exploiter son système.

On connaît les man½uvres entre séduction et pressions, mirages et chantage qu’il exerce auprès des pouvoirs publics pour bénéficier d’aides et avantages multiples. On sait comment il exploite les failles de la législation sociale pour soumettre son personnel à des conditions de travail et des salaires indignes (salaire indigne que mon éducation judéo-chrétienne et son complexe de culpabilité évoqués précédemment m’ont conduit à compenser par un pourboire à mes accompagnants gonflant significativement les 16 euros qu’ils auront perçus pour ce vol. Mais chuuuuuuut : si Mister O’Leary apprenait cela, il risquerait d’imposer la rémunération par pourboire à son personnel !). On sait, on connaît, mais on hésite pourtant à se mobiliser à la hauteur de l’enjeu pour mettre un terme à ces pratiques et imposer à Ryanair & Co les mêmes règles du jeu que les compagnies « traditionnelles ». Il est clair qu’avec un ticket au prix de celui d’Alitalia & Co, l’option aérienne n’aurait jamais prévalu chez moi sur celle du rail aussi compliquée fut-elle à mettre en ½uvre.

Allez, à la prochaine. Et d’ici là, noubliez pas: “Celui qui voit un problème et ne fait rien fait partie du problème.” (Gandhi)

Extrait de nIEWs (n°99, du 3 au 17 novembre 2011),

la Lettre d’information de la Fédération.

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