Les dessous sulfureux du projet « Your Nature »

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L’engouement pour la nature, en cette période de pandémie, n’est plus à démontrer et les aspirations à loger en pleine nature en font partie. Dans notre série « Nature, je t’aime moi non plus », nous avons publié un premier  texte fin mars 2021, faisant le point sur une série de problématiques actuelles liées aux projets d’hébergements touristiques en zones forestières, en nous basant sur un projet de cabanes à Herbeumont autour duquel s’est mobilisé le collectif Caba-NON! Le projet de cabanes à Herbeumont concerne un projet qui en était au stade de l’obtention (ou refus) de son permis d’urbanisme.

Le présent cas nous permet de compléter cette première analyse car il concerne un projet plus ancien, ayant fait l’objet d’une mobilisation citoyenne depuis plusieurs années1 et se trouvant à un stade plus avancé de développement. En effet, le projet « Your Nature » a obtenu un permis et a été réalisé en partie, via la construction et la mise en vente de près de la moitié des logements prévus.

Your Nature illustre bien, selon nous, l’ambiguïté de certains aménagements en zone forestière : ils sont qualifiés de « durables » par certains et décriés par d’autres comme ne l’étant pas du tout. Le projet recouvre plusieurs dimensions au niveau durabilité : aspects urbanistiques, énergétiques et relatifs à la biodiversité.  

Pour décrire et analyser le projet Your Nature, nous nous sommes basés essentiellement sur  des informations qui nous ont été fournies par l’ASBL C.I.A.O. (Coordination Internationale des Alpes Occidentales : https://ciao18.webnode.be/), mais également sur des extraits de la présentation de ce projet réalisée dans le cadre du récent colloque « TOURISME & NATURE : ACTEURS, ENJEUX ET STRATÉGIES », organisé en cette fin mars 2021 par La Haute Ecole Robert Schuman et la Fédération des Parcs naturels de Wallonie.

De la double piste de ski indoor au « resort durable »

Le projet « Your Nature », à Maubray-Péronnes, se situe en zone forestière, au sein du Parc Naturel des Plaines de l’Escaut (Belgique) et aux portes du Parc Naturel Régional Scarpe-Escaut (France), les deux parcs étant rassemblés dans le Parc Naturel Transfrontalier du Hainaut.

Comme indiqué sur son site web, des subsides de l’Union Européenne et de la Wallonie sont octroyés pour la construction de cet « éco-resort ». 

Selon la CIAO, le projet se situe dans une forêt ancienne de belle qualité d’un point de vue biodiversité, assez peu transformée, comportant des plantations de douglas, une coudraie (ensemble composé de noisetiers), une hêtraie (à caractère exceptionnel), deux étangs issus de l’abandon de carrières de sable, une grande sablière abandonnée et pompée régulièrement pour préserver la plus grande colonie d’hirondelles de rivage de Wallonie et enfin une mare temporaire.

Pour visualiser les installations prévues dans le cadre de Your Nature, voir cette carte.

Au début des années 2000, au sud du site de l’actuel projet, tout contre la frontière française et la forêt domaniale de Flines-lez-Mortagne, il y avait le projet d’installer une double piste de ski Indoor, un musée des sports, une rivière sauvage et une patinoire géante. La demande de permis pour ce projet de piste était à introduire à la Région car il nécessitait une modification du  plan de secteur pour y inscrire une zone de loisir.

Cette idée initiale de piste de ski a été abandonnée notamment suite à la pression de l’asbl CIAO et à l’intervention du Ministre Henry (ministre de l’Aménagement du territoire, à l’époque). Ensuite, le projet a été converti en projet de centre de loisir « Nature et Sport » et a pris son appellation actuelle.

Le projet de construction de logements dans le cadre de Your Nature a également été revu à la baisse sur base de considérations internes au projet : le chiffre initial de plus de 800 cottages a été réduit à un peu moins de 500 unités. La superficie investie par les constructions (chalets, piscine, restaurant, bâtiments divers) a également diminué (de plus à 350 hectares à 55 hectares).

L’abandon de l’idée de piste de ski et la réduction de la taille du projet constituent évidement déjà une nette amélioration selon la CIAO. 

Actuellement, 188 hébergements de types différents, constituant la première des 3 tranches prévues, sont construits.

Plusieurs zones préservées grâce à la vigilance citoyenne

Suite à l’Etude d’Impact Ecologique préliminaire, aux préconisations du nouveau Plan de secteur, aux pressions exercées sans relâche par la CIAO et aux avis du Parc Naturel des plaines de l’Escaut, certaines zones naturelles du site ont été préservées :

  • une hêtraie (à caractère exceptionnel et soustraite aux travaux car protégée dans le cadre du programme européen Natura 2000) ;
  • une mare temporaire non signalée par l’EIE mais remarquée par un des membres de l’asbl en visitant le site2 ;
  • une grande partie de la zone au sud du canal, butte sableuse artificielle résultant du creusement du canal Nimy/ Blaton /Péronnes, riche en biodiversité – SGIB, Site de Grand Intérêt Biologique de la Butte Sableuse de Maubray –  a été préservée dans le cadre de la modification du plan de secteur ;  des mesures compensatoires ont été  imposées, telles que les  mesures suivantes :
    • l’élargissement du Grand Large de Péronnes3 ;
    • une convention portant sur un Plan de Gestion écologique entre Your Nature, le Parc Naturel des Plaines de l’Escaut (PNPE), le DNF, et la participation d’une ASBL (la CIAO, en l’occurence) dans la gestion écologique du parc, pendant la phase chantier et le fonctionnement du site.
    • Un programme Life Intégré sur le SGIB de Maubray en zone sud a  été introduit sur demande du PNPE : il est en cours de réalisation. Il est actuellement financé par Your Nature mais ce financement sera ensuite remboursé par l’Europe.

Greenwashing et approche participative de façade

Un comité de suivi a été mis en place pour surveiller les travaux de réalisation du projet : il est présidé par le DNF qui veille au respect de la  « biodiversité ».  Mais malheureusement, selon la CIAO, ce comité de suivi n’est pas pris au sérieux par les  constructeurs. Ils ont essayé d’occuper le poste de  secrétaire en affirmant que tout était conçu et réalisé au mieux pour la biodiversité. Mesurant l’importance de ce poste, la CIAO a finalement proposé un de ses membres pour l’occuper, ce que le DNF a accepté.

Les promoteurs du projet ont accepté également un comité d’énergie (pour suivre la construction des bâtiments). Ce comité a fonctionné un peu plus d’un an et prévoyait la participation de deux membres de la CIAO. Or, toutes les demandes de la CIAO ont été rejetées ou ignorées dans ce cadre et, finalement, Your Nature a mis fin unilatéralement à ce comité.

Plusieurs  promesses en matière d’énergie liés à l’étiquette « durable » du projet n’ont pas été tenues, selon la CIAO, et notamment le niveau d’isolation des bâtiments (censés être passifs, mais dans les faits en PEB de type B), le fait que l’énergie prévue (biopropane) n’est pas d’origine durable, l’absence de triple vitrage, de système de ventilation double flux avec récupération de chaleur, de protection solaire et, pour finir, le projet d’utiliser de l’électricité directe pour le chauffage.

Par ailleurs, la transparence au niveau de l’évaluation ou de la communication des informations n’est souvent pas de mise, selon la CIAO, qui prend pour exemple les test d’étanchéité des  bâtiments qui n’ont pas été effectués  dans les règles car réalisés après les finitions des parois, ce qui complique et augmente fortement le coût de toute modification jugée nécessaire au vu des résultats des tests.

A côté de tous ces manquements, les entrepreneurs de Your Nature confient, selon la  CIAO, à une société extérieure des investissements dans des panneaux solaires couvrant des places de  parking. Pratique qui – dans un tel contexte et si elle n’est pas accompagnée par d’autres démarches sérieuses en faveur de la durabilité – s’apparente à du Greenwashing.

Gros dégâts et atteintes à la biodiversité lors des travaux

Selon la CIAO, en phase de construction, les grues et engins divers ont très souvent labouré le sol forestier, écrasé les racines des arbres et écorché leur écorce, en sortant des cheminements délimités. Des plaques d’acier étaient prévues pour recouvrir les cheminements (des véhicules), mais trop souvent elles sont restées empilées à l’écart. Des véhicules ont été garés indûment sous le houppier des arbres, tassant le sol. Beaucoup d’arbres ont été coupés pour l’installation des hébergements et bâtiments divers, et de nombreux autres ont été endommagés, dont une  bonne part périront lentement au fil des ans et des sécheresses successives4.

La clôture installée autour de la zone investie par les chalets est constituée d’un maillage quadrangulaire surmonté d’un fil barbelé. Ce barbelé risque d’accrocher les chevreuils et gros oiseaux (chouettes) à leur passage.

Un « greenkeeper » – c’est-à-dire une personne chargée d’assurer le respect de l’environnement –  était désigné par Your nature. Selon la CIAO, celui-ci travaillait avec assez peu de moyen et son travail n’était souvent pas respecté par les personnes chargées de manœuvrer les machines ou engins de chantiers (par exemple, en ce qui concerne les barrières posées pour que les racines des arbres ne soient pas endommagées et qui ont été ensuite déplacées par les responsables de la construction pour le creusement d’impétrants en endommageant ces racines).

Au départ, les voiries étaient censées être couvertes de graviers ou autres systèmes drainants, avec des impétrants au milieu de la voirie, ce qui ne nécessiterait qu’une tranchée et aurait épargné davantage les arbres situés en bordure de voirie.  Or, en prévision d’une porte ouverte, destinée à l’accueil d’investisseurs, les gestionnaires du projet ont jugé utile de bétonner certaines voiries. Ensuite, les autorités et les gestionnaires du chantier se sont mis d’accord sur le fait qu’il serait préférable de bétonner toutes les voiries car ce serait plus facile pour l’accès des camions de pompiers etc.  Et la décision fut prise de placer les impétrants à côté de la voirie (et donc plus proche des arbres).

La mise en place des impétrants a été, selon la CIAO, la période la plus dévastratrice au niveau du chantier (grosses tranchées, tas de terre au pied des arbres et atteintes aux arbres quand la terre est reprise). La CIAO a dénoncé ce qu’elle considère être un « massacre » et a demandé ce que les entrepreneurs allaient faire pour remédier à la situation (répertorier les arbres touchés et faire un suivi). Ces demandes n’ont pas été entendues, considérant que si les arbres meurent on les abattra (sic).

Selon la CIAO, le DNF avait fait des recommandations pour que les arbres coupés ou endommagés par le chantier soient remplacés par de jeunes arbres et on a appris il y a quelques mois que Your nature n’a pas de budget pour ce faire.

Des logements adaptés et un devoir de transparence

Après des années de combat épuisant, les membres de la CIAO font le constat d’un manque de  volonté et d’une logique de mise en œuvre du projet au plus économique. Ils considèrent que leur avis n’a pas été entendu à de nombreux égards et que des promesses de départ ont été oubliées de maintes fois, malgré les organes de participation mis en place (comités mentionnés ci-dessus).

En outre, la participation à ces comités induit un devoir de réserve et les membres de la CIAO se demandent si – plutôt que de contribuer à une participation de façade – il n’est pas plus utile d’intervenir par voie de justice.

Enfin, les membres de l’asbl ont eu une impression de manque réel de soutien de la part des administrations de l’urbanisme ; à ce titre, par exemple, ils relèvent que le fonctionnaire délégué non seulement n’est jamais venu aux réunions du comité d’accompagnement, malgré les nombreuses sollicitations qui lui ont été envoyées, mais il n’a jamais répond à leurs questions, ce qui, selon eux a facilité la transgression des règles établies par le permis unique et le RUE.

Au-delà de cette analyse, les membre de la CIAO s’interrogent à juste titre sur la pertinence de ce type de projet en zone forestière : sous le couvert de diverses appellations, si romantiques soient-elles (« cottage », « loft », « leaf », « flower »…)5, des bâtiments qui s’apparentent à des villas 4 façades n’ont pas leur place en zone forestière. Leur impact est trop important au niveau de la biodiversité et sur le plan énergétique et ils ne correspondent pas à un usage parcimonieux du territoire. Construire des structures qui demandent de tels impétrants et voiries d’accès en zone forestière n’a pas de sens.

Ces considérations rejoignent celles reprises en  conclusion de notre premier article de cette série : un logement en forêt doit permettre une vraie connexion à la nature et s’adapter au milieu plutôt que l’inverse. Il doit s’inscrire dans une véritable logique de durabilité (en proposant des toilettes sèches, se limitant à un accès en mobilité douce, etc.).

Au vu de l’expérience vécue dans le cadre de Your Nature, il faut veiller à ce que la vigilance citoyenne et associative puisse être exercée lors de la conception, de la mise en œuvre et de la poursuite du projet (phase de fonctionnement), et cela par un comité de suivi perdurant au-delà de la  phase de construction et véritablement opérationnel.

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  1. Mobilisation portée par l’asbl C.I.A.O. (Coordination Internationale des Alpes Occidentales : https://ciao18.webnode.be/)
  2. Trois logements prévus sur plan ont été abandonnés et la mare a été restaurée en octobre 2019, avec l’aide de ce bénévole 
  3. Sur l’élargissement du Grand Large, la CIAO et le PNPE ont proposés l’installation de berges lagunées, mais le Département des Voies Hydrauliques s’y oppose sous prétexte que cet aménagement constituerait un piège à déchets plastiques.
  4. Les dégâts sur les arbres ont été également expliqués lors de la présentation du projet dans le cadre du Colloque sur le tourisme et la nature, de fin mars 2021.
  5. Voir description des hébergements sur le site https://yournature.be/fr/#