Le monde juridique s’implique dans l’écologie

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Les enjeux climatiques et environnementaux concernent chaque citoyen.ne et tous les secteurs d’activité. Le monde juridique, notamment, s’intéresse de plus en plus à ces questions, à travers la dynamique #LawyersForClimate et l’#EcologieJudiciaire. En collaboration avec le Barreau de Liège, Inter-Environnement Wallonie évoque la mise en place des politiques et législations pour la protection du climat.

L’article suivant présente une interview de l’expert climat d’IEW réalisée par Amélie Adam, Présidente de la Commission environnement du Barreau de Liège, publiée dans la revue juridique Emile & Ferdinand (no 35).

En bas d’article, se trouve par ailleurs l’enregistrement vidéo de la Conférence « Le droit, un outil à la rescousse du climat ? » par Noé Lecocq, le 12 novembre 2020.

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Considérés comme un sujet de préoccupation pour l’humanité tout entière, les changements climatiques appellent à une riposte mondiale à laquelle les Parties à la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques se sont engagées le 12 décembre 2015 à Paris, à l’occasion de la COP-21. Le Secrétaire général de l’ONU, à l’époque Monsieur Ban Ki-moon, saluait cette journée historique eu égard aux 175 pays prêts à signer l’Accord en un seul et même jour. Si l’on sait que les négociations aux COP antérieures ne furent évidemment pas sans peine avant de parvenir à cet engagement universel – les divergences de points de vue ayant d’ailleurs mené jusqu’à une situation de blocage de 1997 (Protocole de Kyoto) à 2014 – les objectifs de l’Accord de Paris se voient enfin déterminés. Ainsi, « contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels » tout en « poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels (…) », voilà donc le programme.

Et si les Barreaux et cabinets s’engageaient, eux aussi et d’ici à 2030, à réduire leur impact environnemental voire à parvenir à une neutralité carbone ? (Im)possible pari ? Mais surtout, par où commencer ou « à quoi bon » ? Que vous vous décidiez à vous rendre au Palais à vélo, à réaliser le bilan carbone de votre cabinet ou Palais, que vous deveniez adeptes du paperless, ou passiez à un fournisseur d’électricité plus vert, ou encore que vous preniez à cœur l’aménagement de vos infrastructures en les isolant ou végétalisant vos façades, ou que votre matériel de bureau soit financé par une coopérative solidaire, ces initiatives individuelles ou collectives ont-elles bien toutes leur sens ?

La Commission environnement du Barreau de Liège, ambitionnant de faire collaborer les acteur·rice·s du monde judiciaire, d’une part, ainsi que les organisations environnementales et académiques d’autre part, a décidé d’interroger aujourd’hui « la voix du mouvement environnemental » : Inter-Environnement Wallonie (IEW).

Amélie Adam : Pourriez-vous tout d’abord, Noé, nous présenter Inter- Environnement Wallonie et nous en dire davantage sur ses missions ?

Noé Lecocq : Inter-Environnement Wallonie est la fédération des ONG environnementales dans notre région. Notre rôle principal est de représenter le tissu associatif environnemental wallon auprès des pouvoirs publics pour tenter d’avoir une meilleure prise en compte des problématiques environnementales au niveau politique. Ceci recouvre l’environnement au sens large, de la protection de la nature et de la biodiversité à des enjeux tels que l’énergie, l’aménagement du territoire, la mobilité… On constate vite, en s’intéressant à ces matières, qu’elles sont extrêmement transversales et que la question des « limites planétaires » se pose pour une majorité des activités humaines. Nous sommes ainsi amenés à dialoguer avec les autres « parties prenantes » (organisations patronales, syndicales, de consommateur·rice·s, etc.) au sein d’organes tels que le Conseil économique, social et environnemental de Wallonie (CESE) ou le Conseil fédéral du développement durable (CFDD). Nos activités sont aussi tournées vers les citoyen·ne·s plus au moins engagé·e·s sur ces questions, avec un rôle de sensibilisation ou de soutien.

Quelle politique climatique pour l’Europe aujourd’hui ?

Le niveau européen est essentiel en ce qui concerne la politique climatique. De nombreux pays, dont le nôtre, auraient encore plus de retard en la matière si l’Europe n’avait pas établi un cadre commun pour l’ambition climatique. L’UE a en outre une voix importante pour représenter ses membres dans les négociations internationales (COP climat), ce qui permet d’avoir un bloc plus uni et facilite l’atteinte d’accords internationaux, comme l’Accord de Paris.

Les lignes sont actuellement en train de bouger au niveau européen, avec un débat en cours sur le renforcement des objectifs de réduction de gaz à effet de serre à l’horizon 2030. Depuis 2014, l’Europe s’était dotée d’un objectif de -40% d’émissions en 2030 par rapport à 1990. Cependant, cet objectif, adopté avant l’Accord de Paris et avant le rapport scientifique du GIEC sur la limitation du réchauffement planétaire à 1,5°C, était jugé obsolète et insuffisant. Depuis plusieurs années, la Commission et le Parlement européens étudient les pistes pour le renforcer. Nous arrivons au terme de ce processus, avec un nouvel objectif de réduction proposé, de -55% d’émissions selon la Commission, voire même -60% selon la recommandation votée par le Parlement il y a quelques jours. Sur base des rapports scientifiques du GIEC, les ONG estiment de leur côté qu’un effort équitable pour l’Europe nécessiterait au moins une réduction de 65% des émissions à l’horizon 2030. Une loi climat européenne est ainsi en préparation, elle fait partie du « Green Deal » européen. Les États membres vont devoir se positionner et les discussions risquent d’être à nouveau difficiles entre les États plus volontaristes (la plupart de nos voisins, notamment) et les pays moins ambitieux (notamment les pays de l’Est encore dépendants du charbon, comme la Pologne). La Belgique, elle, se trouve malheureusement souvent à la traîne dans ces débats.

Et en Belgique ? Quel impact a « notre lasagne institutionnelle » sur les institutions de la politique climatique ?

La structure institutionnelle belge ne facilite pas les choses, car dans les faits, elle revient à donner un droit de veto sur l’ambition climatique de notre pays à chaque région. Ainsi, la Flandre bloque depuis plusieurs années des positionnements qui pourraient réellement être plus ambitieux pour notre pays sur la scène internationale. Ce positionnement politique flamand est directement lié à une pression de lobbys industriels très écoutés, en particulier ceux du cluster pétrochimique du port d’Anvers. Dans nos contacts avec les autres stakeholders, nous constatons ainsi que des fédérations industrielles influentes, comme Essenscia notamment, sont extrêmement frileuses, pour ne pas dire plus, envers la plupart des projets de régulation des émissions de gaz à effet de serre qui sont soumis au législateur belge. L’enterrement, en 2019, du projet de loi climat discuté à la Chambre doit certainement beaucoup à cette chaîne d’influence.

Cependant, chaque région doit remplir ses objectifs minimaux et reste libre d’aller plus loin. On voit ainsi que la Wallonie et Bruxelles ont, dans leur accord de gouvernement, décidé d’aller plus loin que le minimum (issu d’une répartition européenne, puis intra-belge de l’objectif de -40% d’émission susmentionné). Ce faisant, ces régions se préparent aussi au renforcement de l’ambition qui va avoir lieu au niveau européen (en concordance avec l’Accord de Paris).

Et une fois le cap fixé, tout reste à faire puisqu’il faut implémenter des mesures efficaces de réduction des émissions, ce qui n’est pas une mince affaire. On le constate à tous les étages, la volonté politique et l’implication sont essentielles pour avancer !

Que pensez-vous du rôle qu’ont à jouer tous les citoyen·ne·s, les organisations, les acteur·rice·s divers·e·s de la société, etc. en faveur du climat ? Du niveau communal à celui des Nations-Unies, en passant par l’Europe ou encore les Barreaux et cabinets d’avocat·e·s par exemple ?

Lors d’un dialogue avec d’autres parties prenantes, je me souviens d’un représentant de fédération d’entreprise associant l’idée de réduire les émissions au fait de « faire plaisir aux ONG ». Cela m’a fait réaliser que pour beaucoup d’acteur·rice·s, il n’est pas encore clair que le bouleversement du climat et la nécessité de réduction des émissions est un enjeu qui concerne tout le monde. Ce n’est bien sûr pas « pour faire plaisir aux ONG » qu’il faut réduire les émissions dans tous les secteurs, c’est parce que l’habitabilité de la planète et l’avenir de l’humanité vont être lourdement impactés et qu’il vaut beaucoup mieux limiter les dégâts le plus possible et anticiper pour construire une société plus résiliente.

Donc tout·e habitant·e de la planète est légitime pour agir et demander à ses représentant·e·s politiques d’agir afin de réduire les émissions et préparer la société aux impacts croissants. Toute personne qui détient un pouvoir de décision, du politique à l’actionnaire, des chef·fe·s d’entreprise aux responsables de club sportif, en passant par les Barreaux et les cabinets d’avocats – bien sûr – peut, dans sa sphère d’influence et d’action, se considérer comme 100% légitime pour prendre en compte l’enjeu climatique.

Le changement sociétal nécessaire pour rendre nos sociétés durables, décarbonnées et résilientes est d’ailleurs bien trop large pour être possible sans l’implication croissante et solidaire de toutes et tous. Croire qu’un ministre du climat, une administration peuvent, seul·e·s dans leur coin, résoudre le problème et préparer notre société, c’est un peu comme être dans une équipe de foot et laisser le capitaine jouer seul – défaite assurée ! En fait, même si le rôle de chacun·e est unique, avec ses forces et ses limites, il faut que chacun·e mouille son maillot !

Concrètement, les initiatives individuelles et collectives que la Commission environnement encouragent au sein des ordres et palais vous paraissent-elles pouvoir « faire la différence » ? Le dernier « Rapport sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions » du PNUE nous dit déjà que nous sommes sur le point de manquer l’occasion de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C…

La limitation des dégâts climatiques n’est pas tout ou rien. Chaque dixième de degré de réchauffement supplémentaire – ou évité – fait une différence importante en termes de conséquences et d’impacts. La tendance observée au cours des dernières décennies est que pour chaque tonne de CO2 émise, la banquise arctique a définitivement perdu 3m2 de surface. Or nous émettons tous plusieurs tonnes de CO2 par an. Ceci pour illustrer que toute différence que nous pouvons faire est à prendre et apporte des bénéfices réels. Il ne faut pas non plus négliger le fait que chaque changement que je fais – ou omets de faire – influence mes voisin·e·s et mes proches pour eux aussi réduire – ou ne pas réduire – leur impact environnemental. L’évolution de la norme sociale est ainsi un des plus puissants vecteurs de changement collectif. S’il ne semble plus imaginable aujourd’hui pour la majorité des gens de fumer dans un hall d’université ou de laisser son chien faire ses besoins sur le trottoir, ce n’est pas uniquement dû à l’évolution réglementaire. Dans bien des cas, c’est aussi parce que la norme sociale a évolué que la réglementation est, à un moment, renforcée ou que son non-respect devient réellement sanctionné.

Cela dit, il faut être transparent·e sur le fait que nous ne pourrons pas éviter toutes les conséquences néfastes des bouleversements climatiques et que l’on peut s’attendre à une aggravation visible dans les années à venir. Pour prendre une comparaison, quand on commence à prendre des mesures pour limiter la propagation d’une pandémie déjà active, on sait très bien qu’il n’y aura pas zéro victime à la seconde où l’on commence à agir, que la situation va continuer à s’aggraver un temps, mais qu’il est néanmoins indispensable d’agir de manière décidée pour réduire l’ampleur de la vague. Et qu’on le fera d’autant mieux que l’on s’y prend tôt. Les dérèglements du climat et leurs conséquences nous mettent dans une situation qui présente certaines similitudes, mais avec une échelle de temps plus longue, liée à la grande inertie du système Terre : il faut plus de temps avant de voir les dégâts, mais quand ils apparaissent, comme c’est déjà le cas depuis un certain nombre d’années, on sait que, même en agissant de manière forte, il faudra des années pour voir l’amélioration. Ce n’est pas une raison pour ne pas agir. Au contraire même, car nos actes présents ont des conséquences de longue durée dans tous les cas de figure, que l’on choisisse de réduire nos émissions ou que l’on choisisse de continuer à émettre du CO2, et d’ainsi augmenter « la couche d’isolant thermique » présente dans l’atmosphère.

Si nous réussissons à ralentir la vitesse et la brutalité des dérèglements climatiques à venir, nous pourrons également mieux gérer leurs impacts et nous adapter. Ici aussi, aplatir la courbe, c’est sauver de nombreuses vies.

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Enregistrement vidéo de la conférence « Le droit, un outil à la rescousse du climat ? » donnée par Noé Lecocq (12 novembre 2020)

 
De l’Accord de Paris à la Convention des Maires, du Green Deal européen au décret climat wallon, comment s’articulent les normes juridiques ? Comment interagissent par ailleurs les institutions des différents niveaux de pouvoir en matière de politique climatique ? Petit tour d’horizon, de l’échelle communale aux Nations unies, pour tenter de mettre ensemble les pièces du puzzle du régime juridique du climat.

Entre celles et ceux qui rejettent les institutions et celles et ceux qui en attendent le salut, quels espoirs pour la société civile et quel cadre juridique les avocat·e·s peuvent-elles/ils mobiliser dans le contentieux climatique ?

Conférence – Partie 1 : Niveau international et européen

Conférence – Partie 2 : Niveau belge et local, discussion

La Commission Environnement du Barreau de Liège & Inter-Environnement Wallonie

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