Reconnaître la mixité et la densité, là où elles sont maintenant

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La densité et la mixité ne sont ni des vertus, ni des défauts. Ce ne sont pas juste des chiffres non plus. Ce sont des entreprises et des organismes qu’il faut faire vivre. Des comportements irresponsables, motivés en partie par des envies de socialiser, compromettent aujourd’hui la capacité à socialiser de toute la société, et, en même temps, la survie d’entreprises qui nous permettent de socialiser. Non, pas de Foire cette année. On verra Grand-Père en 2021. Nous voilà repartis pour une période lourde de difficultés pour les restaurants et les cafés. Mais aussi pour les usagers qui ne peuvent plus jouer leur rôle de spectateurs, de badauds, de clients, de participants spontanés, d’amis. Comment les prestataires vont-ils faire pour s’en sortir ? Cette nIEWs tire la sonnette d’alarme : prenons soin de la mixité et de la densité qui existent déjà, avant qu’il ne soit trop tard !

Si nous voulons que le développement territorial ait une incidence positive sur le plan économique, le plus important et le plus urgent serait de reconnaître la mixité et la densité, là où elles sont maintenant. Car les commerces et les établissements de restauration, comme les bibliothèques et les administrations ouvertes au public, rendent bien plus de services qu’il n’y paraît. Or les circonstances actuelles de pandémie accélèrent le déclin des activités économiques, culturelles et sociales. C’est donc tout un cortège de bienfaits auxiliaires qui disparaît, à chaque fois qu’un magasin fait faillite, qu’une administration déménage – ou que le virus fait fermer des bars. Dans le cas qui nous préoccupe pour le moment, les interactions réelles sont compromises ou rendues plus compliquées, voire dangereuses pour la santé. Une condamnation des contacts physiques qui a des effets catastrophiques pour les revenus des prestataires.  “La densité, la mixité, c’est quand on a tout sous la main” (Anonyme, XXIe siècle). Y compris des clients.

Les géographes et les sociologues observent les humains qui commercent avec ou sans écran interposé, socialisent en deux ou trois dimensions, occupent l’espace à une certaine distance d’autres points d’activité. S’inquiètent-ils de la part grandissante de la virtualité dans ces relations humaines ?

Derrière les grands mots de densité et de mixité, il y a la matérialité du fait d’habiter (au sens large), qui rencontre la notion tout aussi concrète de proximité. Si l’effilochage des contacts physiques n’est pas causé seulement par l’éparpillement de l’urbanisation, ce dernier y contribue grandement, ne serait-ce que par la réalité incompressible des temps de déplacement pour « voir quelqu’un [en vrai – IRL] ».

Avec des conséquences très directes sur la vie réelle, l’éparpillement de l’urbanisation simplifie à outrance et érige cette simplification en modèle dominant. Quand vous combinez le ralentissement d’activité à la perte de clients et que vous y ajoutez la capacité à se procurer tout et n’importe quoi via Internet, vous obtenez une formule économique qui nuit fondamentalement aux relations sociales et, in fine, à la bonne santé économique d’une société.

Préférer la simplification et le fonctionnalisme à la complexité et aux rapports fonctionnels, cela semble un choix rationnel, or c’est non seulement un choix irrationnel mais aussi – pour autant que ça existe – « irrelationnel » (sic). En diminuant les occasions de contacts inopinés, on prive chacun d’un possible et de rencontres inédites, on annule les surprises. Cela réduit la chalandise pour le commerce. Par ricochet, les quartiers existants se retrouvent en incapacité à devenir les centralités de demain. Ces centralités dont le politique nous parle pourtant, comme d’autant de points d’appui essentiels pour une utilisation du territoire qui respecte les espaces naturels et agricoles.

Les centralités au cœur du grand projet de freinage de l’étalement urbain, comment les traitons-nous ? Comment traitons-nous les activités qui tentent de s’y maintenir ?

« A Bouillon, il n’y a plus de librairie. »

Marie-Christine, octobre 2020

La densité, la mixité, c’est quand on a tout sous la main” : pour vérifier la véracité de cette affirmation, nous devions aller sur terrain à Rixensart ce 27 octobre 2020. Dans le but d’analyser les concepts de densité et de mixité, je voulais arpenter les rues de la commune avec un groupe de 12 personnes. Je comptais profiter de l’HoReCa local pour accueillir le groupe le temps d’un repas sur le pouce, comme à chaque Décodage sur le terrain… La fermeture forcée des établissements HoReCa est venue confirmer qu’en temps de corona virus, on n’a vraiment pas tout sous la main. A fortiori dans la périphérie rurbaine, qui n’est ni campagne, ni ville, ni village. Aucune alternative convaincante (salle communale par exemple) n’a pu être trouvée dans le délai étroit entre l’annonce des mesures et l’événement d’IEW. Je sais que le groupe aurait pu respecter les distances et se montrer parfaitement exemplaire dans le respect des mesures. Mais sur les six heures de visite, je ne pouvais laisser les participants sans accès à des sanitaires, sans s’asseoir à couvert pour manger, sans se laver les mains. Ce qui est en question ici, c’est le confort minimal. En son absence, j’ai été forcée d’annuler le Décodage de Rixensart.

Il est grand temps de se rendre compte que le confort dans notre espace public est assuré par des établissements qui sont, eux, pour la plupart, privés. On parle souvent d’animation des centres-villes. Ou du rôle attracteur des commerces et des services. Plus prosaïquement, tous ces lieux offrent des points de chute essentiels pour notre confort et pour recharger nos batteries. Ce sont des lieux qu’il est essentiel de préserver, fréquenter, entretenir. Parce qu’ils permettent d’ensuite interagir avec les autres activités présentes sur place. Négliger ces lieux, c’est à dire les laisser fermer sans solution de reprise, c’est présomptueux et myope. Leur fermeture, avec ou sans Covid-19, entraîne la fin de toute une série d’autres activités.

“La densité, la mixité, c’est quand on a tout sous la main”. Et si tout ce qui nous restait encore sous la main se mettait à disparaître, faute de clients, faute d’occasions de performance, faute de non subvention en raison de l’absence de performance ?

Certes, Internet nous ouvre un monde, des mondes. Mais à quel prix ? Le vrai monde reste là, à attendre des clients et des occasions de performer ou de régaler en direct et en vrai, pendant que nous sommes sur écran ou au téléphone. Demain, nous pourrions très bien ne plus avoir rien du tout sous la main, sauf la souris de notre ordi.

En savoir plus (ça blague et ça chante)

  • Sur l’utilité publique des pubs londoniens, aujourd’hui pratiquement éteints, massacrés par la promotion immobilière : un pamphlet pour défendre « The Crown » et un petit film tourné en 1971 dans le pub « The Hand and Marygold »  – attention, ça blague et ça chante !
  • Bruxelles, en pleine bruxellisation : « Bang voor Brussel ? Hoe de stad lelijk werd » – Des habitants confient leurs opinions sur comment la ville a fait pour devenir aussi moche, et confessent aussi leur amour immodéré pour toutes les petites choses qui constituent Bruxelles, dans un reportage de Marleen De Vos et Philippe Van Meerbeeck (vers 1997) pour l’émission Histories  de Canvas, la chaîne de télé culturelle de la VRT – ça blague et ça chante aussi, en flamand, en brusselleer et en français !
  • « Densité – Mixité », le n°93 de La Lettre des CCATM explore en profondeur le sujet et propose de nombreuses solutions pratiques pour laisser s’épanouir la densité et la mixité qui sont déjà là.