Agro-carburant versus pétro-alimentation ou de l’inconsistance des politiques économiques à la complexité des comportements responsables!

Alors que la lutte contre les changements climatiques devient l’une des priorités politiques, les mesures concrètes restent rares et les réponses souvent simplistes. Ainsi, la contribution de l’agriculture et de notre alimentation à l’effet de serre est très importante et les réponses politiques restent dérisoires et inadéquates. La mesure phare, en ce qui concerne l’agriculture, est la promotion et la mise en oeuvre des agro-carburants qui est inscrite dans la logique d’une agriculture libéralisée et contribue pleinement à la facilitation des échanges. Un paradoxe alors même que cette libéralisation est la cause d’un gaspillage énergétique inconsidéré en agriculture et que ce sont les flux d’aliments qui participent le plus à une alimentation énergivore.

Une politique agricole énergivore

La Politique Agricole Commune instaurée il y a 50 ans a dualisé la production agricole, laquelle dualisation est responsable aujourd’hui d’un énorme gaspillage énergétique. En effet, la protection des marchés agricoles, assurée dès la création de la PAC, ne portait pas sur l’alimentation du bétail. Les élevages se sont donc rapidement concentrés à proximité des grands ports européens tandis qu’à l’intérieur de l’Europe, les exploitations se spécialisaient en grandes cultures, abandonnant l’élevage. L’association traditionnelle de l’agriculture et de l’élevage, permettant le recyclage des nutriments et de l’azote faisait place aux excédents d’effluents dans les zones portuaires tandis qu’ailleurs, l’azote minéral produit à partir d’énergie fossile s’est substituée aux apports azotés des légumineuses et des engrais de ferme, appauvrissant ainsi la qualité des sols. Outre les pertes énergétiques liées aux traitements des effluents excédentaires (par déshydratation) et l’énergie nécessaire à la production d’azote minéral, l’utilisation excessive d’azote pour la fertilisation contribue fortement à l’effet de serre. Solagro, dans un rapport à l’ADEME, estime que les pertes énergétiques liées à ce dysfonctionnement de la PAC équivalent à environ 40% du potentiel de production français d’agro-carburant. Une situation difficilement comparable avec la Wallonie puisque notre potentiel de production d’agro-carburant est nul, la région Wallonne et la Belgique n’étant pas auto-suffissante au niveau de ses productions agricoles.
Les bilans énergétiques au niveau des exploitations agricoles permettent de tirer des conclusions allant dans le même sens. Les systèmes les plus économes en énergie sont en fait les systèmes les plus autonomes. La production d’intrants, l’achat d’aliments bien souvent importés, les rotations inadéquates liées aux orientations très spécialisées génèrent leur lot de dépenses énergétiques qui rendent ses systèmes peu efficients. Ainsi, par exemple, les exploitations laitières valorisant au mieux l’herbe sont aussi les plus efficaces énergétiquement.
Voir les études de Solagro sur l’efficacité énergétique des exploitations agricoles.

Des flux croissant de produits agricoles

Depuis les années 90, la protection partielle des marchés organisée par la PAC s’est muée en soutien découplé de la production permettant l’ouverture quasi totale des marchés agricoles européens. Il s’ensuit des échanges de plus en plus importants conduisant à de véritables inepties du point de vue énergétique et social. Ainsi, l’Europe exportatrice de viande importe les « beaux morceaux » et exporte ses sous-produits: le steak argentin se retrouve de plus en plus dans les rayons de nos supermarchés et l’Afrique est submergée d’ailes de poulets et de carcasses de nos bovins maigres estampillées « CE ». Le bilan énergétique d’une telle opération est d’autant plus négatif qu’il crée des flux d’aliments réfrigérés, et ce, au détriment des producteurs locaux incapables de rivaliser par rapport à ces sous-produits de notre agriculture et de notre alimentation. Derrière ces échanges, une certaine rationalité économique… mais pour quelle ineptie écologique et éthique !
Voir la campagne «L’europe plume l’Afrique»

Les food-Miles: indicateur de notre pétro-alimentation

Sans prendre en compte le volet amont de la production, les anglophones ont développé le concept de Food Miles (les kilomètres alimentaires) qui repose sur l’évaluation des besoins énergétiques résultant du parcours, du champ à l’assiette, d’une denrée alimentaire. Un des exemples bien connus, est l’étude par un laboratoire allemand, du kilomètre alimentaire d’un yaourt aux fruits prenant en compte les matières alimentaires, les matières nécessaires à la fabrication du pot, etc. On arrive à un total de 9115 km parcourus (il ne vous reste plus qu’à calculer le taux de CO2 émis pour les divers transports) ! Heureusement, les framboises ne venaient que de Pologne et pas d’Afrique du Sud. L’industrie agroalimentaire est particulièrement énergivore : du champ à notre assiette, ce sont des milliers de kilomètres qui sont parcourus par chaque ingrédient. Mais le calcul inclut aussi des manipulations nécessitant chaud et froid, opérations particulièrement coûteuses en énergie. Et ces besoins énergétiques croissent avec les années : en Grande-Bretagne, ils ont augmenté de 15 % entre 1992 et 2002. En ordre de grandeur, les émissions de CO2 liées à l’alimentation d’un ménage moyen sont colossales puisqu’elles correspondent à un peu moins que l’énergie cumulée de ses émissions liées au transports et au logement. (T. Lang & M. Heasman, 2004, Food Wars) !
Une enquête du CRIOC sur le contenu énergétique de repas démontre qu’il est extrêmement variable. Les résultats obtenus montrent que les différents choix que font les consommateurs influencent fortement le « bilan » environnemental de la recette qu’ils ont préparée. Par exemple, la différence entre la valeur maximale et minimale des rejets de CO2 atteint 2,6 kg de CO2 pour son seul transport!

Agro-carburant et petro-alimentation

L’agriculture peut donc contribuer directement et fortement à réduire nos besoins énergétiques, et ce, à deux niveaux : par le biais d’un modèle agricole plus autonome et donc plus efficient d’une part et en réduisant les distances entre le consommateurs et le producteurs d’autre part. Hors cette double révolution, point de salut. Comment en sortir si demain, le kg de steak argentin importé chez nous par avion avec un contenu énergétique équivalent à 3,4 litres de pétrole pour son seul transport aérien se retrouve dans les rayons de nos magasins à un prix inférierur à celui d’un steak de bleu-blanc belge. (Voir à ce propos l’excellente intitiative de pétition lancée par le collectif « Avion Rouge » qui milite pour un étiquetage clair du mode de transport des marchandises intercontinentales). Mais, plus qu’un marquage spécifique, c’est la taxation du kérozène et le payement des coûts réels qu’il faut mettre en place. La voie de la souveraineté alimentaire serait une première réponse face à cet enjeu mais elle reste partielle, les filières agro-alimentaires participant largement au gaspillage d’hydrocarbures et à la production de gaz à effet de serre. La promotion et le développement de filières courtes intégrant la dimension énergétique constituent une opportunité pour notre agriculture et pour réduire, à moindre coût, notre dépendance énergétique.

Quelle réponse du politique?

Alors que notre alimentation constitue un véritable gisement d’économies d’énergie, le discours et l’action politique sont plus affaiblis que jamais. La réponse donnée par le politique est la promotion des agro-carburants. Un discours facile qui passe sans problème puisqu’il ne remet en cause aucune activité (ni l’agriculture ni l’agroalimentaire). Ce n’est certes pas ce discours qui permettra la nécessaire rupture face aux défis qui nous attendent.

D’autre part, plutôt que d’orienter nos sociétés vers les choix qui leur seraient collectivement bénéfiques, le discours sur le contenu énergétique de notre alimentation renvoit surtout à la seule responsabilisation des acteurs. Comme si nos entreprises allaient nécessairement se muer en entreprises responsables recherchant le bien-être collectif plutôt que celui de leurs actionnaires et les citoyens se muer en citoyens responsables qui prendraient d’emblée compte dans ses actes de consommation quotidienne de leur impact environnemental et social indépendamment de l’impact sur leur portefeuille. Sans remettre en cause l’importance des comportements responsables dans l’émergence de filières durables et la construction/légitimation des revendications politiques qui y sont liées, il n’en reste pas moins que ces multitudes de comportements individuels ne sont porteurs de sens que si demain les décisions politiques rendent ces comportements économiquement rationnels. C’est là toute la noblesse du politique !

Et justement, que fait le politique!

Les circuits courts et produits à la ferme, plus économes en énergie, subissent les normes drastiques récemment imposées par l’industrie agroalimentaire alors que le contenu énergétique des aliments est largement exempté des taxes sur l’énergie et autres coûts externes. Le transport par avion n’est pas en reste puisque le kérozène bénéficie d’un régime des plus favorables et que nos politiques se sont battus pour financer les aéroports Low-Cost au service des avions cargo chargés de pétro-aliments. Et pour soutenir les filières courtes en Région wallonnes : peu de chose à coté de la concurrence que se font nos pouvoirs publics pour attirer sur leur terre les grands distributeurs… Peut-être le décret cadre sur l’agriculture apportera-t-il du nouveau ?

Lionel Delvaux

Anciennement: Nature & Ruralité