Agrocarburants : la Belgique et l’UE en font-elles assez ?

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Pour assurer la transition énergétique et limiter notre impact sur le réchauffement climatique, il est nécessaire de décarboner notre transport (responsable, à lui seul, de 22% de nos émissions de gaz à effets de serre (GES) en 2020 selon l’Awac). Utiliser davantage d’énergies renouvelables est la principale piste envisagée par l’Union européenne pour ce faire. A cet égard, les agrocarburants sont passés par toutes les émotions ces dernières années : initialement perçus comme une solution miracle par certains, ils ont assez vite été pointés du doigt et représentent, depuis qu’ils sont produits à trop large échelle, davantage un problème qu’une solution. Et si la solution la plus simple était de consommer moins d’énergie ? Voyons comment les décideurs belges et européens tentent de corriger les excès de leurs politiques antérieures en matières d’agrocarburants.

Tout d’abord, les types d’énergies renouvelables pour le transport sont aussi nombreux que les marques de voitures, et, comme lorsque vous comparez une petite voiture électrique avec un gros SUV, leurs impacts environnementaux et sociétaux varient fortement. Il est dès lors nécessaire de bien les définir avant toute analyse :

  • Les agrocarburants de 1ère génération (1G) sont issus de cultures qui pourraient servir à la consommation humaine ou animale. On pense aux agrocarburants issus de céréales ou de plantes sucrières qui donnent le bioéthanol (betteraves, canne à sucre, blé, etc.) et à ceux issus de plantes huileuses qui donnent le biodiesel (colza, soja, huile de palme, etc.).
  • Les agrocarburants de 2ème génération (2G) sont issus de matières ligneuses, de déchets ou de produits transformés de matières premières animales ou végétales, comme des effluents d’élevage, des déchets industriels ou municipaux, d’huiles de cuisson usagées ou encore de certaines graisses animales. Certains donnent du bioéthanol et d’autre du biodiesel. Cette classification, assez simpliste, rassemble donc un ensemble assez hétérogène de matières premières et de procédés.
  • A côté des agrocarburants, il existe d’autres sources d’énergies renouvelables pour le transport. On pense, par exemple, à l’électricité verte, qui est appelée à faire rouler de nombreux véhicules européens dans le futur, mais aussi aux carburants de synthèse (e-carburants) ou à l’hydrogène sur lesquels de nombreux techno-optimistes (sans oublier certains producteurs de gros véhicules…) fondent de grands espoirs.

Au sein de chacune de ces catégories, de grandes disparités existent et influencent fortement l’impact environnemental final : consommer un litre de biodiesel  produit à partir d’huile de palme n’aura pas la même empreinte environnementale que consommer un litre de bioéthanol produit à base de blé. Cette empreinte varie en fonction du mode de production de la ressource végétale, du mode de transformation, du trajet nécessaire à l’amener jusque dans votre pompe à essence ou encore des effets indirects de changement d’affectation des sols : si une superficie agricole n’est plus dédiée à l’alimentation humaine ou animale, mais sert à des cultures énergétiques, une autre surface devra être mise en culture quelque part sur Terre pour remplacer la production d’alimentation humaine ou animale perdue. Il en résulte souvent, en bout de chaîne, un risque de déforestation dont l’impact négatif sur le climat et la biodiversité est conséquent.

Agrocarburants et impacts environnementaux

Canopea a déjà alerté le monde politique et le public des effets néfastes des agrocarburants de 1ère génération, tout comme d’autres ONG environnementales (par exemple via cette publication). L’impact environnemental des agrocarburants va bien au-delà des émissions de GES directes : la production d’agrocarburants nécessite des terres arables, ce qui pousse à des changements indirects de l’utilisation des sols (ILUC en anglais pour Indirect Land Use Change), à la déforestation dans certains pays, à une certaine compétition par rapport à l’alimentation et donc une hausse des prix alimentaires (voir publication Canopéa ou publication T&E), à une utilisation accrue de l’eau dans un contexte où cette ressource est de plus en plus précieuse, … sans oublier que ces cultures se font parfois au détriment du respect de nombreux droits humains (voir étude d’Oxfam). Le graphique ci-dessous reprend l’empreinte carbone associée à certaines productions végétales d’agrocarburants, uniquement en termes d’émissions directes et d’émissions liées à l’ILUC.

Source : transportenvironment.org

Comme on peut le voir sur le graphique, les agrocarburants 1G sont loin d’être la solution miracle par rapport aux carburants fossiles traditionnels en termes d’empreinte carbone. Par exemple, le biodiesel possède, en moyenne, une empreinte carbone bien supérieure à celle des carburants fossiles traditionnels (+80%), alors qu’il représente 70% de la consommation européenne d’agrocarburants. Si l’on regarde le biodiesel produit à base d’huile de palme (ou de soja), l’empreinte carbone est plus de 3 (2) fois supérieure aux carburants fossiles !

Une étude récente analyse les agrocarburants sous un angle nouveau, celui des coûts d’opportunité, qui consiste à mesurer les bienfaits d’une action par rapport aux alternatives qui s’offrent à elle. Dans le cas des agrocarburants, cela revient principalement à mesurer ce qui pourrait être obtenu via d’autres usages des sols mobilisés. Au niveau européen, la consommation d’agrocarburants requiert 5.3 millions d’hectares, soit une surface plus élevée que le territoire du Danemark. Cette étude démontre que, si cette surface était rendue à l’état sauvage, le CO2 qui serait absorbé par ces terres équivaudrait au double du CO2 économisé grâce aux agrocarburants.

Alors oui, si on n’utilisait plus d’agrocarburants, on devrait consommer, toute chose égale par ailleurs, davantage de carburants fossiles. Cette simplification est toutefois trompeuse. Il est, bien évidemment, nécessaire de réduire notre demande en transport en premier lieu, ou de nous tourner vers une mobilité active. Par ailleurs, l’électrification de notre transport est bien plus efficace que les agrocarburants. La même étude montre une efficacité 40 fois supérieure en termes de production d’énergie par unité de surface des fermes photovoltaïques par rapport aux terres arables utilisées pour les agrocarburants. Parcourir le même nombre de kilomètres avec de l’électricité photovoltaïque plutôt qu’avec des agrocarburants permettrait donc de réduire la superficie terrestre nécessaire de 97.5% !

Les choses avancent en Belgique …

L’appel de nombreuses associations environnementales (dont Canopea) pour une réduction de la consommation d’agrocarburants et un bannissement complet de certains d’entre eux a été relativement entendu au niveau belge : depuis janvier 2023, l’huile de palme est interdite pour la production d’agrocarburants consommés chez nous. Et dès juillet 2023, il en sera de même pour l’huile de soja. Une bonne nouvelle, donc, étant donné leur empreinte carbone illustrée ci-dessus. Pour le reste, des discussions politiques sont en cours pour réduire la quantité totale d’agrocarburants de première génération dans nos moteurs. Ceci est nécessaire, car on voit bien que remplacer la palme par du colza reste encore pire, d’un point de vue climatique, que de brûler du diesel déjà excessivement polluant.

Il faut donc aller plus loin : l’empreinte carbone et l’impact sociétal (au niveau de la crise alimentaire mondiale ou du respect des droits humains) des agrocarburants 1G suffisent pour justifier l’arrêt total du soutien public dont ils bénéficient via des obligations d’incorporation dans nos réservoirs.

… Mais un peu moins en Europe !

Si la Belgique a connu certaines avancées, l’Union Européenne beaucoup moins. En effet, des discussions ont eu lieu ces derniers mois pour adapter la version 3 de sa directive sur les énergies renouvelables (RED3 pour renewable energy directive 3). Si le Parlement a voté pour un abandon progressif de l’huile de soja et un abandon plus rapide pour l’huile de palme dans les agrocarburants, cette décision n’a pas été suivie par la Commission et le Conseil. Les lobbys des raffineurs et les menaces de certains pays producteurs de palme et de soja de saisir l’Organisation Mondiale du Commerce ont, semble-t-il, pesé sur la Commission, alors qu’elle négocie actuellement un accord de commerce avec les pays du Mercosur. Tout au plus la Commission a gardé une porte ouverte pour revoir sa copie lors de la mise à jour de l’acte délégué qui détermine les seuils pour considérer un agrocarburant comme étant à hauts risques ILUC (dans lequel le soja devrait, selon toute logique, être inclus). De même, si un abandon plus précoce de l’huile de palme n’a pas été retenu, la Commission se réserve le droit de revoir la trajectoire de sortie progressive à l’horizon 2030 avec un rythme plus soutenu dans les prochaines années.

On le voit, les choses avancent moins rapidement en Europe qu’au niveau belge. Une ambition plus affirmée de réduction de la consommation d’agrocarburants est cependant nécessaire si l’UE veut remplir ses objectifs en termes de réduction des GES, de lutte contre la déforestation et de partenaire de premier plan pour la défense des droits humains !

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