Au chevet de l’éolien wallon

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L’Apere (Association pour la promotion des énergies renouvelables) a récemment publié les statistiques du secteur[[Apere, communiqué de presse du 19 janvier 2017 http://lsjo.r.ca.d.sendibm2.com/yd2qfwirdnf.html]] éolien en Wallonie pour l’année 2016. Après 5 ans de ralentissement, la reprise espérée du développement éolien n’a toujours pas eu lieu: seules 19 éoliennes ont été installées l’année dernière en Wallonie pour une puissance de 42 MW, portant la puissance installée à 750 MW. Avec 100 MW de projets définitivement autorisés et 151 MW en construction, l’espoir est permis pour 2017. Il ne sera pourtant pas aisé pour la Wallonie d’atteindre l’objectif éolien qu’elle s’est fixé pour 2020, à savoir une production annuelle de 2437 GWh, soit environ 1150 MW de puissance installée. Il reste en effet 400 MW à installer en un peu moins de quatre ans. Le défi est ambitieux et l’enjeu de taille. La non-réalisation de cet objetif pourrait affecter la capacité de la Belgique à atteindre celui fixé par l’UE de 13% d’énergie renouvelable en 2020, avec de possibles sanctions financières à la clé…

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Quelle sont les freins au développement éolien wallon ?

Du côté du secteur éolien, la situation est plutôt rassurante. De nombreux projets sont en effet en développement : 952 MW pour des projets en étude d’incidences et 150 MW en demande de permis. Il faut dire que cette technologie de production d’électricité est aujourd’hui la moins coûteuses et son développement est soutenu par les objectifs européens en matière d’énergie renouvelable à l’horizon 2020 et 2030.
Tous les acteurs du secteur s’accordent pour dire que ce sont les recours en justice quasi systématiques qui paralysent le développement. Actuellement 392 MW sont en recours, soit 23 dossiers (contre encore 35 l’année dernière). On peut proposer une double explication à ce phénomène.

Premièrement, les projets éoliens souffrent d’un manque d’acceptabilité sociale. Globalement, la population wallonne est favorable à l’éolien. Selon un sondage réalisé en 2013[Baromètre énergétique réalisé en 2013 par l’institut de sondage Ipsos pour Edora, la fédération des énergies renouvelables http://www.barometre-energetique.be/etudes/sondage-eolien-en-wallonie/]], 74% des Wallons, habitant en zone rurale (donc potentiellement riverains de parcs éoliens) sont prêts à accueillir un parc éolien dans leur commune. Pourtant dans la pratique, les projets rencontrent l’opposition de groupes d’opposants ou de riverains. Selon T. Bauwens[[T Bauwens (2015) [Propriété coopérative et acceptabilité sociale de l’éolien terrestre ]], le concept NIMBY ne permet pas de rendre compte de la majorité des motivations des opposants. Il avance d’autres facteurs qui jouent un rôle crucial dans l’acceptabilité des projets : la justice distributive (estimation individuelle subjective de la manière dont les coûts et les bénéfices sont distribués), la justice procédurale (perception subjective d’équité dans le processus de mise en place des éoliennes) et la confiance dans le développeur éolien.

L’étude « Acceptabilité locale des projets éoliens. Impact du processus décisionnel »[C. Fallon, C. Parotte et N. Rossignol (2011) [Acceptabilité locale des projets éoliens. Impact du processus décisionnel ]] identifie une série de problèmes dans la procédure décisionnelle pour l’attribution des permis qui compliquent l’acceptation sociale des projets. Les deux moments durant lesquels les citoyens peuvent s’exprimer, la réunion d’information préalable (RIP) et l’enquête publique, répondent mal à leurs objectifs dans la pratique. Par ailleurs, il s’agit de deux moments ponctuels sur une procédure de plus de deux ans. Cela ne permet pas au citoyen de « digérer » l’information reçue et de suivre l’évolution du projet. Lors de l’enquête publique les citoyens sont parfois confrontés à un projet très différent de celui présenté lors de la RIP sans qu’ils aient encore la possibilité de proposer des alternatives.

Un deuxième facteur pour expliquer le nombre de recours est l’insécurité juridique du cadre actuel, très complexe, et qui offre de nombreuses failles que peuvent exploiter les anti-éoliens. Michel Pâques professeur extraordinaire spécialisé en droit administratif à la Faculté de droit de l’ULG et par ailleurs Conseiller d’Etat depuis 2008, interrogé en décembre 2015 par l’Apere explique : « La plupart des problèmes qui arrivent devant le Conseil d’Etat trouvent leur fondement dans la réglementation en vigueur. […] Et si le Conseil d’Etat est amené à se montrer tatillon, c’est parce que le législateur, lui, s’est montré un peu léger et n’est pas allé assez loin sur certains aspects du développement éolien ».

Le nouveau CoDT, qui entrera en vigueur en juin 2017, ne va malheureusement pas améliorer cette situation. En effet, le CoDT instaure des zones autorisées pour les projets éoliens le long des infrastructures de communication et dans les zones d’activités économiques. Ces zones ne représentent que maximum 10% du potentiel éolien wallon. L’essentiel des projets éolien devront donc obtenir une dérogation en zone agricole. Or, la motivation de cette dérogation représente une des principales sources d’insécurité juridique selon Edora[[Audition d’Edora au Parlement de Wallonie le 15 février 2016, CRAC n°98, p. 5.]] qui a analysé la jurisprudence du Conseil d’Etat. Malheureusement, les modalités pour obtenir une dérogation n’ont pas été précisées dans le CoDT et on peut craindre que les nouvelles dérogations soient plus difficiles à obtenir étant donné qu’il existe désormais des zones autorisées.

Une autre menace juridique pèse enfin sur le développement éolien. Un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne pourrait conduire à l’annulation des conditions sectorielles qui fixent les normes de bruit pour les parcs éoliens. Selon la Cour, celles-ci auraient dû faire l’objet d’une d’étude d’incidences et d’une enquête publique en vertu de la directive européenne « plans et programme », ce qui n’a pas été le cas. S’il suit l’avis européen, le Conseil d’Etat devrait annuler les conditions sectorielles. Le bruit nocturne autorisé pour les éoliennes serait en conséquence réduit de 43 à 40 décibels, ce qui entraînerait une perte de production de 5% de l’ensemble du parc wallon. L’incertitude actuelle sur les normes de bruit qui seront d’application à l’avenir est par ailleurs peu propice au développement de nouveaux projets.

Quels sont les leviers pour remédier à cette situation préoccupante ?

A court terme, il y a urgence à sécuriser la réglementation wallonne concernant les conditions sectorielles en adoptant au plus vite un nouvel arrêté qui respecte la procédure européenne. Il est probable que l’ensemble de la procédure prenne tout de même un an.

Pour créer davantage de sécurité juridique, il est également nécessaire de couler dans un décret un certain nombre de dispositions notamment le productible minimal par éolienne en dérogation, la clarification de la notion de coopérative citoyenne face aux coopératives industrielles[Voir B. Claessens, S. Keignaert et J. Cech, [Eolien citoyen : l’idéal coopératif a bon dos, article paru le 16 février 2016 dans Renouvelle]], le taux de participation communale et citoyenne, le tarif à appliquer en matière de taxe communale.

Un travail important doit également être fourni pour favoriser l’acceptation sociétale des éoliennes La Fédération propose plusieurs pistes d’action :

 Les citoyens doivent pouvoir devenir des acteurs de la transition énergétique en Wallonie. Les coopératives citoyennes et l’implication (financière ou autre) des habitants dans les projets de développement éolien de leur région peut être le moteur de ce renouveau éolien.

 Une meilleure acceptabilité sociale passe également par la participation la plus en amont possible des citoyens dans les projets éoliens. Il existe aujourd’hui de nombreuses expériences partout en Europe (comités citoyens d’accompagnement, informations transparentes dispensées en amont du projet, co-construction) qui doivent servir d’inspiration pour les promoteurs et les politiques dans la réalisation de projets éoliens.

 Une amélioration de l’information à destination des acteurs locaux est nécessaire, et ce à tous les stades de l’élaboration d’un projet. L’ajout d’une information légale après la réalisation de l’étude d’incidences et avant le dépôt de la demande de permis est notamment une piste à creuser.

Un dernier levier pour accélérer le développement éolien est d’entamer des négociations avec la Défense pour lever certaines contraintes aéronautiques. Une partie importante du territoire est en effet soumise à une interdiction ou une limitation d’installer des éoliennes dans zones d’entraînement militaire, des zones aéronautiques militaires et civiles interdites et des zones d’activité de balise radar.

Il y a urgence à agir si la Wallonie veut se donner une chance d’atteindre son objectif éolien 2020 et plus fondamentalement respecter ses engagements climatiques. L’éolien est une des seules technologies renouvelables et durables qui soient mature et disponible aujourd’hui. A travers les différentes mesures proposées, le gouvernement wallon doit faire de l’éolien une vraie priorité politique à la hauteur de l’enjeu climatique.

Cécile de Schoutheete

Anciennement: Développement durable & Énergie