Compensations planologiques, plus si compensatoires que ça…

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Paysages, biodiversité, poumon vert ou encore ressources alimentaires, les services rendus par les zones non urbanisables sont aussi divers que nécessaires dans notre cadre de vie. Le maintien de ce type de surface est, par conséquent, un enjeu primordial à prendre en compte dans l’examen du projet de Code du Développement Territorial.

L’adaptation à une augmentation de la population dans notre région doit se faire en utilisant, rénovant et réaffectant le bâti existant, comme déjà évoqué dans une nIEWs consacrée aux villes nouvelles. Si, par extraordinaire, des surfaces jusque-là consacrées comme non urbanisables par le plan de secteur, car reprises en zone forestière, naturelle, agricole, d’espace vert ou encore zone de parc, doivent être consacrées à l’urbanisation, c’est là qu’intervient le principe de compensation planologique, ou « hectare pour hectare », qui s’applique aujourd’hui. Pour chaque m² de surface situé dans l’une de ces zones non urbanisables, une surface équivalente de zone dite « urbanisable » – habitat, habitat à caractère rural, extraction, espace communautaire et de service public, zone de loisirs, zone d’activité économique mixte ou industrielle – doit quitter ce statut et se muer en zone « non urbanisable ». L’équilibre, l’économie générale du plan de secteur, est ainsi préservé, avec pour corollaire un maintien de la surface non urbanisable dans l’ensemble de notre région.

Quel sort réserve le projet actuel de CoDT à ce processus de compensation hectare pour hectare ? Loin de se contenter d’être une boîte à outils, le Code soutient en réalité l’option de l’urbanisation de la zone non urbanisable. Le projet de CoDT met sur pied une diminution de la compensation, au prétexte que la population augmente avec un accroissement des besoins qui en résulte : construction de logements, de routes, de commerces, de nouvelles zones d’activités économiques… Les surfaces nécessaires pour répondre à ces besoins croissants sont toutes trouvées dans les zones non urbanisables, avec à la clé une réduction du taux de compensation, voire une sa disparition totale !

La Zone d’Enjeu Communal et la Zone d’Enjeu Régional : quand 1=1

Si le CoDT est adopté tel quel, la mise en œuvre de zones d’enjeu communal et régional mettra à mal le principe de compensation planologique. En effet, l’inscription d’une zone d’enjeu régional par le Gouvernement n’impliquerait plus la compensation pour 100% des zones urbanisées mais seulement pour 85%. Concernant la zone d’enjeu communal, la proportion compensée s’élèverait à 90%.

Cette « aide à l’urbanisation » traduit un mépris maladroit pour des zones qui contribuent fortement à l’attractivité de notre territoire et rendent de nombreux services à l’ensemble de la population. Les citoyens perçoivent de plus en plus mal la perte de surface non urbanisable et la disparition d’espaces naturels ou cultivés.

Selon la Fédération IEW, il est inacceptable que des zones non urbanisables deviennent urbanisées sans être entièrement compensées. Et ce, quel que soit l’« enjeu » qui se cache derrière la zone concernée, pour reprendre le vocabulaire du projet de Code. Les articles qui concernent cette exemption doivent donc purement et simplement être supprimés.

Une petite nouvelle : la zone de dépendances d’extraction

C’est un gros changement pour le secteur carrier, et pour l’environnement. Jusqu’à présent, les zones d’extraction étaient des zones urbanisables où les dépendances pouvaient être construites sans difficulté. Très concrètement, en termes de compensation, cela signifiait que lorsqu’un groupe carrier souhaitait augmenter sa surface d’extraction en utilisant une zone non urbanisable, il devait prévoir une compensation qui consistait à convertir en hectares non urbanisables des hectares classés en zone urbanisable, avec à la clé une surface totale équivalente. C’est ainsi que nous voyons très souvent des sites d’extraction retrouver une nouvelle jeunesse en devenant des zones naturelles ou d’espaces verts.

Le projet de CoDT opère une révision thématique du plan de secteur en ce qu’il fait passer d’office toutes les zones d’extraction du côté non urbanisable et qu’il crée une nouvelle zone d’activité économique : la zone de dépendances, de type urbanisable, comme toutes les zones d’activité économique. En d’autres mots, plus aucune compensation ne sera nécessaire lorsqu’une nouvelle zone d’extraction apparaîtra, puisqu’elle sera désormais une zone non urbanisable. Il ne faudra compenser que pour la zone de dépendances d’extraction, soit une surface relativement modeste.

Par ailleurs, toutes les zones d’extraction existantes étant maintenues par le projet de CoDT du côté des zones urbanisables, le principe de compensation est doublement mis à mal! Outre l’absence de compensation en cas de création d’une zone d’extraction, les zones existantes, en restant urbanisables, offrent une réserve gigantesque de plusieurs milliers d’hectares de compensations potentielles, lesquelles seront bienvenues lorsque on souhaitera urbaniser des zones initialement non urbanisables, pour ouvrir un parc d’activité économique ou installer un « quartier nouveau », tracer une route ou étendre un parking.

Comme vous pourrez le lire dans nos propositions d’amendements, IEW plaide pour que toutes les zones d’extraction, existantes et à venir, soient des zones non urbanisables. Les dépendances y seraient autorisées, aux endroits les plus judicieux, en fonction de l’activité et de son évolution potentielle. Enfin, en cas de création d’une nouvelle zone urbanisable par révision partielle du plan de secteur, la zone d’extraction devra être exclue du choix de zones acceptables dans le mécanisme de compensation planologique.

Quelle place pour la nature sur notre territoire ?

La question des compensations entre zones urbanisables et non urbanisables nous ramène inévitablement à la question de l’importance que nous souhaitons donner à la nature. La nIEWs sur la place de la nature dans les villes de demain tentait d’apporter quelques arguments qui démontrent son impact dans nos vies. Elle se concluait par une question ouverte aux élus : « Alors, on se lance ? » La question s’impose également ici. A la lecture des articles du CoDT touchant de près ou de loin au principe des compensations, il faut espérer que les parlementaires prendront conscience des effets néfastes du déboulonnage du système des compensations et qu’ils se lanceront dans des amendements décisifs pour rendre sa place à la nature.

Audrey Mathieu

Aménagement du territoire & Urbanisme