Critique de la déraison pure

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Les éjaculats cendrés de l’Eyjafjallajokull [ˈɛɪjaˌfjatlaˌj½ːkʏtl̥] ont eu le mérite de nous confronter aux subtilités et difficultés de la langue islandaise et de nous initier aux principes de base de la vulcanologie. Ils auront par contre échoué à mettre en débat un mode de vie dont la fragilité transpirait pourtant des médias titrant sur la paralysie du trafic aérien, le retour au bercail perturbé des vacanciers pascaux et les dérèglements du commerce mondial imputables aux spasmes du fumant cratère conjugués aux caprices d’Eole.

On disserta longuement sur les aspects économiques et humains de la situation, on s’interrogea sur la pertinence et les limites du principe de précaution mais, hormis dans quelques cercles marginaux, on oublia – ou on évita – de questionner les fondements de cette pagaille céleste. Comme si la mondialisation et l’instantanéité des échanges commerciaux avaient acquis valeur de dogme et que le déplacement à travers la planète sans heurts, obstacles ni contretemps constituait un nouveau droit de l’Homme aussi inattaquable qu’inaliénable. On se trouva dès lors face à des informations et des images témoignant bien malgré elles de l’absurdité de l’époque. Ainsi, quiconque aurait découvert hors contexte les étreintes émues et lacrymales de ces voyageurs retrouvant leurs proches dans une aérogare y aurait vu les rescapés d’une catastrophe meurtrière, d’une tragique prise d’otages ou d’une disparition en milieu hostile mais certainement pas de simples passagers dont le « drame » consista à attendre trop longuement un avion. De même, on ne savait trop que penser en relayant au rang des victimes économiques de l’histoire des horticulteurs néerlandais au bord du dépôt de bilan faute d’avoir reçu leurs arrivages quotidiens de fleurs… cultivées au Kenya (avec des conséquences désastreuses pour l’environnement local) avant d’être conditionnées au plat pays et estampillées « Origine : Pays-Bas).

On était non seulement dans l’émotionnel mais aussi dans l’irrationnel. Pas une voix pour rappeler que, fut-on au XXIème siècle, le voyage n’en reste pas moins une « aventure » exposant ses participants à un certain nombre d’aléas dont on ne saurait s’étonner. Personne pour questionner la logique bancale d’une économie fonctionnant à flux (internationaux) tendus et dès lors exposée au moindre grain de poussière dans sa folle mécanique.

Alors que le système est intrinsèquement porteur de ces/ses dysfonctionnements, un déni collectif semble empêcher de le questionner. On refuse obstinément de voir les signaux d’alarme que ces événements constituent, comme si l’ordre établi par la toute-puissance humaine, son intelligence, sa science et sa technique ne saurait être mis en cause, fut-ce (surtout ?) au nom du simple bon sens.

Mais cela, on le savait déjà… Si l’évidence suffisait pour convaincre, les ventes de voitures ne continueraient pas à croître parallèlement au kilométrage des embouteillages et au nombre d’alertes à la pollution ; le consommateur ne pisterait pas les prix les plus bas tout en fulminant contre des délocalisations en quête de moindres coûts ; on n’accepterait pas qu’un cinquième des invités se goinfrent des 9/10èmes du gâteau ; on arrêterait de croire que l’économie est naturellement au service de l’Homme et de son mieux-être ; etc. Bref, on comprendrait qu’« On ne résout pas un problème avec les modes de pensées qui l’ont engendré » (Einstein) et on en tirerait les conséquences qui s’imposent… Seulement voilà, pour qu’il en soit ainsi, il faudrait que l’animal humain ne soit pas seulement doué de raison mais qu’en plus, il l’utilise !

Allez, un petit coup de gueule pour finir sur une touche plus légère (mais pas nécessairement plus réconfortante…).

Un « collectif d’associations wallonnes de protection de l’environnement »[[Le collectif des associations suivantes : Brabant-Écologie ; Groupement environnement de l’Eau d’Heure ; Association pour la protection de la vallée de l’Amblève, de la Lienne et de ses affluents ; Ardennes liégeoises ; Grez-Doiceau – urbanisme et environnement ; L’Érablière ; Terre wallonne ; Sauvegarde de la Vallée de la Befve ; les Naturalistes de la Haute-Lesse, Rangers-Castors ; ’t Uilekot.]] baptisé « Coalition Nature » vient de voir le jour afin de se mettre au service d’une cause dont la noblesse et l’importance avaient jusqu’à présent été honteusement ignorées, « la lutte contre les coureurs qui jettent des bidons ou des emballages sur la route lors des courses cyclistes » ![[Journaux du groupe Sud-Presse, 19/04/2010]]
L’enjeu est de taille et mérite vraiment qu’on lui consacre temps et énergie. Le scandale n’a en effet que trop duré et il est temps de mettre un terme aux exactions de ces rois de la pédale qui « donnent un exemple déplorable en continuant à jeter des emballages, bidons et autres restes de nourriture sur les bas-côtés de la route ». Je déplore simplement – même si je peux comprendre leurs craintes – que ces héros ordinaires bravant l’omerta en vigueur n’aient pas été au bout de leur démarche. En effet, s’ils affirment bravement leur intention de déposer plainte contre les salopiaux qui se délesteront de leurs bidons et résidus/détritus divers dans les bas-côtés des chaussées wallonnes, ils ne semblent pas disposés à déclencher des procédures sur base de motifs au moins aussi sérieux : incitation à la violence (il n’est pas rare de voir des spectateurs se battre pour récupérer les récipients usagers des chevaliers de la petite reine) ; épanchement d’urine sur la voie publique avec, dans certains cas, circonstance aggravante d’atteinte aux m½urs (non contents de se soulager n’importe où, les pervers à cuissards vidangent parfois leur vessie sans descendre de vélo, imposant une image dégradante aux yeux d’un public pas toujours majeur ni averti) ; crachat sur la voie publique (d’accord, comparativement aux footballeurs qui ont élevé la pratique au rang d’art, les cyclistes font piètre figure mais là où les uns expectorent dans une enceinte privée, les autres le font dans un lieu public et si la pelouse constitue un milieu végétal pouvant absorber et dégrader les glaires les plus consistantes, la texture imperméable du bitume les maintient en surface et en l’état). Tous ces faits et gestes constituent autant d’infractions punies par la loi et les comportements coupables devraient être porté à la connaissance des autorités compétentes.

Quoi qu’il en soit, la justice est en marche et les dénommés Benjamin Gourgue (ressortissant belge, membre de l’équipe « Landbouwkrediet »), Christopher Froome (britannique, « Sky ») et Blel Kadri (français, si-! « AG2R ») sont désormais sous le coup d’une plainte pour « pollution » déposée par la Coalition Nature.[[Dépêche AFP du 27/04/2010]] Ces délinquants ont en effet été filmés en flagrant délit de « délestage sauvage » lors du reportage télévisé de la Flèche wallonne disputée le 21 avril dernier entre Charleroi et Huy. On espère que le parquet de Namur saisi de l’affaire saura résister aux pressions dont il ne manquera pas de faire l’objet et traitera cette affaire avec toute la rigueur qu’elle exige.

Bien que cette pratique nous renvoyant aux heures les plus sombres de notre Histoire me répugne, j’estime de mon devoir de suivre l’exemple donné par les coalisés Nature et de dénoncer les agissements coupables dont j’ai moi aussi été témoin en regardant la retransmission susmentionnée mais aussi celle de Liège-Bastogne-Liège, quatre jours plus tard. Par respect pour les familles, je ne prendrai toutefois pas l’initiative de divulguer les noms des coureurs concernés, laissant cette responsabilité aux autorités compétentes. Je tiens toutefois à signaler que l’affaire risque de faire du bruit car elle ne se limite plus cette fois à des seconds couteaux mais met en cause des personnalités apparaissant au(x) plus haut(s) niveau(x) (!!!) du classement de l’Union cycliste internationale et s’étant par ailleurs mises en évidence dans les courses, théâtre de leurs agissements. Je n’en dirai pas plus…

Bon, blague à part, c’est le genre d’information à laquelle on peine à croire et dont on espère qu’elle cache une imposture de François Pirette. Tel n’est malheureusement pas le cas…
On pourrait trouver l’initiative risible et inoffensive si elle ne contribuait pas, d’une part, à donner des environnementalistes une image de doux dingues dont l’extrémisme confine à la pathologie mentale grave et, d’autre part, à décrédibiliser auprès du public le discours et l’action que des associations sérieuses (voire cette Coalition elle-même…) développent par ailleurs. Mais si ces coalisés n’ont vraiment rien de mieux à faire et ambitionnent de faire du sport leur champ d’action privilégié, je leur conseille deux actions qui leur permettraient de postuler à un minimum de crédibilité et de revendiquer une certaine utilité : faire contrôler les normes de bruit lors des compétitions motorisées se déroulant hors circuits et … mobiliser la maréchaussée afin qu’elle dresse procès-verbal à l’encontre des spectateurs de balle-pelote qui écrasent sans vergogne des dizaines de mégots autour de l’aire de jeu au mépris de la législation en vigueur et de la propreté publique !

Extrait de nIEWs (n°74, du 29 avril au 13 mai 2010),

la Lettre d’information de la Fédération.

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