L’ETS est aussi malade que le climat

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Les parlementaires européens ont rejeté le 16 avril dernier la proposition de backloading, une mesure de « premier secours » qui devait insuffler un peu d’oxygène à l’ETS en attendant un traitement de fond. Ce fut le coup de grâce : le cours du carbone, déjà historiquement bas, a plongé au niveau dérisoire de 3€ la tonne, le prix d’une tasse de café. L’état du principal instrument de la politique climatique européenne est devenu presque aussi préoccupant que celui du climat…

Petit rappel, le système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne (Emission Trading System – ETS) a été lancé en 2005 pour permettre à l’Europe d’atteindre son objectif de réduction des émissions de CO2 dans le cadre du Protocole de Kyoto. L’ETS met en place une limitation des gaz à effet de serre pour les installations industrielles les plus polluantes et un marché du carbone permettant aux entreprises d’acheter ou de vendre leurs « droits de polluer ». La création d’un marché devait permettre de réaliser les réductions d’émissions les plus rentables. Les industries pour lesquelles le coût de réduction des émissions est faible ont intérêt à réduire davantage leurs émissions pour revendre leurs quotas excédentaires aux industries où les investissements pour réduire les émissions sont élevés. En janvier 2013, le système couvrait 11 000 installations représentant près de 50% des émissions de CO2 et 45% des émissions de gaz à effet de serre de l’UE.

Le système connaît actuellement une surabondance de quotas due à une allocation trop généreuse par les Etat membres durant la période 2008-2012[Le rapport conjoint de WWF et Sandbag « [Bending the carbon rules in the heart of Europe » identifie les 10 entreprises belges qui détiennent les plus larges surplus de quotas. ]], à la crise économique qui a provoqué une diminution non prévue des émissions et à un afflux de crédits internationaux[Les installations peuvent également couvrir leurs émissions avec des crédits provenant de projets dans les pays en développement (Mécanisme de développement propre) ou dans d’autres pays industrialisés (Mise en œuvre conjointe) développés dans le cadre du Protocole de Kyoto.]] . La Commission européenne estime le surplus de quotas à 955 millions au début 2012 (équivalent chacun à une tonne de CO2)[[Commission européenne (2012) [The state of the European carbon market in 2012. Report from the Commission to the European Parliament and the Council ]]. Le surplus pourrait grimper à 1,5 voire à 2 milliards de quotas en 2013, soit plus du double des émissions annuelles de l’Allemagne ! Ce déséquilibre entre l’offre et la demande fait plonger le prix du carbone et sape tout incitant à investir dans des technologies sobres en carbone. Avec le prix du charbon historiquement bas, le risque est grand de voir les émissions des industries européennes enfermées par des technologies intensives en carbone.

En attendant de se mettre d’accord sur une réforme structurelle du système, la Commission a proposé une mesure de stabilisation à court terme visant à postposer de quelques années la mise aux enchères de 900 millions de quotas (une proposition connue sous le nom de backloading). Cette mesure modeste a pourtant été rejetée par le Parlement européen le 16 avril dernier par 334 voix contre 315 et 63 abstentions[ [Votes des eurodéputés belges ]]. Ce sont les groupements de centre-droit (PPE et ECR) qui se sont principalement opposés à cette mesure pour diverses raisons : climatosceptisme, crainte d’une perte de compétitivité des entreprises européennes si l’UE continue seule sa lutte contre les changements climatiques ou conviction que l’ETS atteint ses objectifs puisque les émissions ont diminués[Pour une analyse plus détaillée des motivations des opposants au backloading et un contre-argumentation lire [http://www.sandbag.org.uk/blog/2013/apr/15/vote-support-back-loading-or-those-wanting-kill-ca/ ]]… La crise a balayé le leadership climatique des eurodéputés qui ont préféré majoritairement défendre un petit groupe d’intérêts du secteur privé.

Ce vote est évidemment un mauvais signal envers la Commission pour qu’elle vienne avec une réforme structurelle de l’ETS. Le nombre élevé d’abstentions et l’opposition de certains parlementaires à la mesure et non à la nécessité de réformer l’ETS laisse encore une faible chance de voir aboutir une initiative avant les prochaines élections européennes de mai 2014. Une autre piste pour la Commission est de travailler à fixer de nouveaux objectifs énergie et climat pour 2030. S’ils sont accompagnés d’une révision de la trajectoire ETS, cela permettrait de redynamiser le marché du carbone. Il faudra sinon attendre au moins 2 ans avant qu’une action puisse être menée au niveau européen, ce qui enverrait un message désastreux pour les négociations de l’ONU sur le climat qui doivent aboutir en 2015.

Cécile de Schoutheete

Anciennement: Développement durable & Énergie