La Belgique doit défendre l’interdiction du gaz russe et non les profits de l’industrie gazière

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La Belgique continue à dépendre du gaz russe alors que les tensions géopolitiques et les exigences climatiques nous imposent de nous en émanciper. La Commission européenne propose pourtant d’interdire totalement ces importations d’ici fin 2027. Mais le Ministre belge de l’Énergie, Mathieu Bihet semble, à ce stade, surtout préoccupé par la défense des intérêts financiers de l’industrie gazière belge. 

Une carte blanche parue sur le site du journal l’Echo le jeudi 16/10/2025, signataires en bas de page.

Fluxys et la Belgique en eau trouble…

Le gestionnaire du réseau gazier belge, Fluxys, joue depuis des années un jeu trouble sur le marché du gaz naturel liquéfié (GNL) russe. Dès 2015 – à peine un an après l’annexion illégale de la Crimée – la société russe Yamal LNG et Fluxys ont signé un contrat à long terme d’une valeur d’un milliard d’euros, accordant à Yamal LNG un accès aux capacités de transbordement et de stockage du terminal GNL de Zeebruges. L’accord permettait aux méthaniers brise-glaces en provenance de Sibérie de transférer du GNL sur des méthaniers conventionnels pour expédier le gaz russe vers les marchés mondiaux. Ces services de transbordement ont été interdits dans le 14e paquet de sanctions, l’an dernier, sur lequel la Belgique s’est honteusement abstenue lors du vote au Conseil européen. 

Malheureusement, l’implication de Fluxys avec le gaz russe ne s’est pas arrêtée là. En 2024, 50 % des importations européennes de GNL russe sont passées par les terminaux GNL de Fluxys à Zeebruges et à Dunkerque. Selon un récent rapport de Greenpeace Belgique, 6,2 milliards d’euros de GNL russe ont été importés, via Zeebruges,  depuis l’agression de l’Ukraine. Yamal LNG a versé 9,5 milliards d’euros d’impôt sur le revenu dans les caisses du Kremlin grâce au GNL qu’elle a vendu aux pays de l’UE. Ces chiffres contrastent fortement avec les 3,2 milliards d’euros que la Belgique a envoyés jusqu’à présent en aide apportée à l’Ukraine.  

Un soutien à l’économie de guerre russe 

Comme le dirait l’aigle d’Ésope aux temps antiques : ‘’ Vous tirez de nos ailes 
de quoi faire voler ces machines mortelles ! Faut-il contribuer à son propre malheur !’’ Chaque euro qui afflue vers Moscou engraisse le trésor de guerre russe, renforçant la capacité du Kremlin à lâcher les bombes et les missiles qui terrorisent les villes ukrainiennes chaque nuit. Malgré l’aide financière des pays européens, ces derniers mois ont vu une escalade dansl’agression russe. Ces derniers mois Poutine, gagnant en audace, a même dirigé des vols de drones dans l’espace aérien européen. 

Un 19è paquet de sanctions, qui entérinerait une interdiction d’importation de GNL russe, est censé y mettre fin. Mais ces paquets nécessitent un vote unanime du Conseil et doivent être renouvelés tous les 6 mois. Or, des pays comme la Hongrie d’Orban ou la Slovaquie de Pellegrini – notoirement proche de la Russie – peuvent les bloquer ou, pire encore, mettre fin aux sanctions existantes, comme l’interdiction du transbordement de GNL russe. 

La proposition de règlement qui ne nécessite qu’une majorité qualifiée est donc censée contourner ces vétos et interdire durablement l’importation et les services sur les combustibles russes. 

Le moins que l’on puisse dire est que, jusqu’ici, notre ministre de l’énergie semble peu soutenant. Mathieu Bihet a notamment plaidé pour exclure du règlement les services liés au GNL et s’est employé à mettre en doute la validité du règlement REPowerEU. Il a également exigé une analyse d’impact économique approfondie de l’interdiction proposée du gaz russe sur le terminal GNL de Zeebruges. Ironiquement, Fluxys lui-même a déjà réalisé une telle évaluation. Dans son rapport annuel 2023, le gestionnaire de réseau conclut : « Fluxys LNG court un risque limité de ne pas atteindre le rendement prédéterminé ». Ils pourront notamment remettre aux enchères les capacités d’importation de GNL inutilisées… 

Des risques limités sur la Sécurité d’approvisionnement et le prix de l’énergie  

Dans sa proposition, la Commission souligne, à juste titre, que notre situation actuelle est intrinsèquement risquée : « une part significative de la capacité d’importation de GNL est contrôlée par des entreprises russes, créant un risque de distorsion substantiel sur les marchés de l’énergie et de menaces sur la sécurité ». De plus, les analystes de marché ont signalé un surplus d’offre de GNL à partir de 2026, rendant infondés tous les arguments contre une interdiction du gaz russe basés sur les risques pour la sécurité d’approvisionnement et la crainte d’une flambée des prix de l’énergie. 

Plutôt que de défendre ces importations, le Ministre Bihet devrait s’occuper de faire avancer les appels d’offres pour l’éolien offshore en Belgique qu’il vient de reporter. La véritable sécurité européenne ne pourra jamais être réalisée en restant dépendant des énergies fossiles de la Russie – ou même des États-Unis ; seule l’accélération du déploiement des renouvelables et de l’efficacité énergétique en Europe nous fait avancer dans la bonne direction. 

La Belgique a également argué qu’elle avait besoin de plus de garanties concernant les possibles conséquences juridiques de la rupture des contrats. Mais les services GNL sont une activité réglementée en Belgique, ce qui signifie que tous les contrats passés avec les gaziers russes sont basés sur des modèles approuvés par le régulateur. Les décisions d’une autorité gouvernementale ou de l’Union européenne sont un cas de force majeure permettant la résiliation de ces contrats. La Commission confirme d’ailleurs ce point dans sa proposition REPowerEU. 

Il est temps que le Ministre Bihet fasse preuve d’une réelle solidarité avec l’Ukraine, ainsi que d’un leadership renouvelé dans ses ambitions climatiques, en soutenant pleinement la proposition de la Commission d’éliminer progressivement le gaz russe d’ici 2027 au plus tard.  

Signataires

Angelos Koutsis, expert en politique énergétique chez Bond Beter Leefmilieu, une ONG belge pour l’environnement et le climat. 

Dr Svitlana Romanko, Fondatrice et Directrice de Razom We Stand, une ONG ukrainienne luttant contre les combustibles fossiles russes et pour la transition énergétique en Europe. 

Joeri Thijs, porte-parole de Greenpeace Belgique. 

Arnaud Collignon, chargé de mission énergie chez Canopea, fédération d’associations environnementales