La Commission européenne à la botte des pétroliers (et leurs amis)

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Le mercredi 22 janvier 2014 a été marqué par deux replis importants de la Commission européenne sur la question des fossiles non conventionnels[Si la typologie n’est pas totalement stabilisée ni identique d’une source à l’autre, on peut considérer qu’on appelle énergies fossiles non conventionnelles les principales sources suivantes : pétrole de schiste, pétrole issu de sables bitumeux et autres pétroles extra-lourds, produits issus de la transformation du charbon, produits issus de la transformation du gaz (notamment du gaz de schiste), produits issus de la transformation de la biomasse (biocarburants), gaz de schiste (shale gas), gaz de houille (coal bed methane), dont l’appellation traditionnelle est grisou, gaz (de réservoir) compact ou gaz de réservoirs étanches (tight gas), hydrates (ou clathrates) de méthane, source non exploitée à ce jour.]]. D’une part, [dans sa communication proposant les objectifs 2030 en matière de climat et d’énergie , la Commission propose d’abandonner d’ici 2020 la directive sur la qualité des carburants. Cette directive, adoptée en 2009, a comme objectif de réduire de 6% d’ici 2020 l’intensité carbone des carburants utilisés pour le transport en Europe, secteur qui devrait devenir le plus gros émetteurs de CO2 d’ici 2020. Or, si cette directive est habituellement dénoncée par les associations environnementales pour son objectif d’arriver à 10% d’agrocarburants dans le secteur des transports, elle reste la meilleure réglementation européenne pour diminuer les émissions des carburants[T&E, « Commission tries to scrap Fuel Quality Directive despite public opposition », Communiqué de presse, 22/01/2014.]]. Elle attribue, notamment, une certaine intensité carbone aux différentes sources (ou matières premières) de combustibles fossiles, appelée « valeur par défaut », basée sur les émissions moyennes liées au processus d’extraction et de transformation de chacune de ces sources. En prenant en compte, l’ensemble du processus d’extraction et de production, elle permet de différencier les émissions de CO2 entre les carburants conventionnels et les non-conventionnels. Elle incite ainsi à se détourner de ces dernières dont l’intensité carbone est très élevée et à s’orienter vers d’autres sources à plus faible intensité carbone. Il en résulte d’importants bénéfices environnementaux[[T&E, « [Bénéfices environnementaux d’une mise en œuvre solide de la Directive sur la Qualité des Carburants »,Note de synthèse, mai 2013]]. La suppression pure et simple de cette réglementation, ouvrira donc la porte aux carburants issus de sables ou de schistes bitumineux, s’alignant ainsi sur une revendication de longue date de l’industrie pétrolière.

Le second recul est incarné par la recommandation de la Commission relative aux principes minimaux applicables à l’exploration et à la production d’hydrocarbures (tels que le gaz de schiste) par fracturation hydraulique à grands volumes. Au grand dam des organisations de défense de l’environnement et à l’encontre du souhait du Parlement européen, qui appelait notamment en 2013 à ce que l’exploitation de fossiles non-conventionnels en Europe soit «soutenue par des régimes de réglementation solides et recommandait aux États membres d’être prudents concernant l’autorisation d’exploiter des combustibles fossiles non conventionnels.»[Parlement européenn, « [Gaz de schiste: les États membres ont besoin de règles solides sur la fracturation hydraulique, affirment les députés », Communique de presse, 21/11/2012]] L’exécutif européen s’est contenté d’une série de recommandations, non contraignantes, qui définissent « les principes minimaux nécessaires pour aider les États membres désireux de mener à bien des activités d’exploration et de production d’hydrocarbures par fracturation hydraulique à grands volumes, tout en veillant à la préservation de la santé publique, de l’environnement et du climat, à l’utilisation efficace des ressources et à l’information du public »[Commission européenne, « Recommandation de la Commission relative aux principes minimaux applicables à l’exploration et à la production d’hydrocarbures (tels que le gaz de schiste) par fracturation hydraulique à grands volumes », 22/01/2014, p.6.]]. L’exploitation de fossiles non-conventionnels bénéficie malheureusement de soutiens de poids au sein de la Commission, José Manuel Barosso en tête et de nombreux gouvernements européens dont David Cameron. Ce dernier a mené une campagne de lobby importante auprès de l’exécutif européen, comme le prouve cet extrait d’une lettre adressée au Président de la Commission où il déclare « qu’il est essentiel que l’UE minimise la charge réglementaire (sic.) et les coûts pour l’industrie et la facture énergétique des ménages en ne créant pas de l’incertitude ou en introduisant de nouvelles législations »[[Damian Carrington, « [UK defeats European bid for fracking regulations », The Guardian, 14/01/2014]]. Il ajoute que « l’industrie du gaz de schiste au Royaume-Uni, lui a annoncé que toute nouvelle réglementation européenne retarderait des investissements imminents »[[Ibid.]]. Ce cadre législatif apparait d’autant plus nécessaire que les États membres sont divisés sur la possibilité d’autoriser ou non, l’exploitation de gaz de schiste.
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Tandis que la France et l’Italie, suivies de quelques autres pays[5 États membres ont interdits la fracturation hydraulique, 14 dont la Belgique hésitent, 9 l’autorisent, le Luxembourg n’a pas communiqué de position officielle]], ont purement et simplement interdit l’utilisation de la fracturation hydraulique sur leur territoire, beaucoup de pays hésitent encore, quand d’autres ont officiellement octroyé des permis d’exploration comme le Royaume-Uni. En Belgique, selon le Secrétaire d’État à l’énergie, Melchior Wathelet, l’option du gaz de schiste n’est pas envisageable : « tous les spécialistes que j’ai consultés disent qu’il n’y a pas de gaz non-conventionnels en Belgique »[[Vincent Georis, « [L’Europe doit produire son énergie », L’Echo, 15/01/2014]]. Cette position n’est cependant pas partagée par l’ensemble du monde politique belge. L’Open VLD s’est encore récemment prononcé pour l’exploitation du gaz de schiste[Vincent Rocour, « [Le catalogue Open VLD », La Libre Belgique, 23/112013]].

Le salut viendra peut-être de la mobilisation citoyenne. Comme le rappelle les Amis de la Terre, depuis plus de trois ans, la mobilisation citoyenne contre les projets gaziers et pétroliers est de plus en plus forte. Encore récemment, une lettre ouverte signée par plus de 380 collectifs citoyens et organisations issus de 22 pays d’Europe, exprime aux décideurs européens la préoccupation face aux décisions prises par l’Union européenne en la matière et exigeant un « sursaut de sagesse ».