La marche, le premier moyen pour découvrir son territoire et son environnement

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Interview de Boris Nasdrovisky et Rémy Huon, de l’association Tous à Pied (tousapied.be)

« Tous à pied » propose ses compétences pour soutenir les collectivités locales afin de revaloriser notre réseau de chemins et sentiers publics, et encourager la mobilité douce dans toute la région. Communes, Parcs Naturels, Maisons du Tourisme ou écoles, mais aussi des CCATM ont déjà fait appel aux compétences de Tous à pied. Cette interview de Boris et Rémy vous permettra de faire connaissance avec ce qui les motive et leur offre de service.

Echelle Humaine : Bienvenue à vous deux dans ce numéro 3 d’Echelle Humaine. Avant que nous parlions de vos interventions dans les CCATM, j’aimerais que vous nous présentiez votre association.

Boris : Tous à Pied est membre de la fédération IEW depuis des années. Nous avons récemment changé de nom, nous étions « Sentiers.be ». Ce changement marque le fait que nous nous consacrons toujours à la défense de la petite voirie, mais aussi à la défense de la « marchabilité » de tous les lieux. C’est-à-dire leur capacité à accueillir des piétons, et la capacité de tout piéton de faire valoir ses droits à circuler dans un réseau qui respecte ses besoins. Nous accordons ainsi la priorité à la découverte du territoire, à travers la marche. (Marchabilité, c’est un néologisme ; en anglais on dit « Walkability ».)

Echelle Humaine : De manière générale, vous prônez l’économie de moyens, pour les aménagements piétons.

Boris : Absolument. Nous voulons mettre les politiques et les administrations en situation, en leur disant « Imaginez-vous un papa ou une maman qui conduit ses deux enfants à l’école à  pied, un enfant dans chaque main, et qui doit descendre de trottoir parce que, jour des poubelles oblige, le trottoir est encombré de poubelles et de containers. Imaginez-vous avec une poussette, face à un poteau de signalisation automobile planté au milieu du trottoir. » On n’est pas sur un aménagement à 50 millions d’euros ; on est simplement sur une politique plus attentive, en amont, sur la visibilité de loin et de près, sur où on met les poubelles, où on implante le mobilier urbain. La prise de conscience et la réflexion ne coûtent pas grand-chose, elles demandent l’effort d’écouter, de se mettre à la place de quelqu’un d’autre, et de ne pas se précipiter dans le premier aménagement venu. La CCATM peut vraiment jouer là un rôle important.  

Echelle Humaine : Vous travaillez aussi à rendre les itinéraires plus visibles, plus lisibles…

Rémy : Oui, plus hospitaliers. La voirie a été fortement uniformisée, standardisée, aménagée pour le système automobile. La petite voirie est une respiration et un lieu de passage efficace qui doit inspirer la rénovation des rues carrossables et des trottoirs, pour les rendre plus « pro-modes actifs », et aussi plus accueillantes aux usagers des transports en commun. Des zones de rencontre commencent à être installées en Wallonie, où les différents modes de déplacement partagent l’espace, mais nous n’en avons pas encore vu où les véhicules motorisés privés cèdent naturellement et pacifiquement le passage aux transports en commun ou aux piétons. On ne peut pas tout changer en un claquement de doigts… 

Nous avons la chance d’être sur un territoire qui a plein de choses à révéler, des choses qui se découvrent à basse vitesse. © Unsplash – Vanessa Serpas

Echelle Humaine : Dans la « marchabilité », vous défendez le plaisir de la découverte. 

Boris : Comme le fait de pouvoir se perdre. Avoir des itinéraires multiples à sa disposition, c’est indispensable pour renforcer l’attrait de la marche. Lors du Décodage organisé par IEW à Herstal en mai 2019, j’ai rejoint la gare au retour par un tout autre chemin que notre trajet aller, sans perdre au change, ni en temps, ni en découvertes. J’en ai fait le compte-rendu pour le site Internet de Tous à Pied.

Nos villes offrent cette possibilité, de ne pas faire chaque fois le même chemin. Par exemple pour aller d’ici (Mundo-Namur, rue Nanon à Bomel) jusqu’au Grognon (lieu-dit à la confluence de la Meuse et de la Sambre, à côté du parlement de Wallonie), je dispose de plusieurs possibilités. Il y en qui sont plus rapides, même si elles sont plus longues en kilomètres, parce que moins de gens les empruntent. Le piétonnier, très fréquenté, va ralentir ma marche, même s’il est plus court sur la carte. S’il pleut ou s’il fait trop chaud, je peux choisir un itinéraire avec des passages couverts. Certains sont plus beaux une fois la nuit tombée, d’autres plus beaux de jour. Selon le trajet choisi, on pourra acheter des fruits ou un pain, ou longer des magasins fermés, découvrir des joyaux d’architecture…

Echelle Humaine : Pour les CCATM qui veulent entreprendre une visite de leur commune et des communes avoisinantes, vous leur recommandez de la faire à pied, par épisodes ?

Boris : Nous avons la chance d’être sur un territoire qui a une histoire, des histoires, plein de choses à révéler, des choses qui se découvrent à basse vitesse. Que ce soit un village ou une ville. Même la ville la plus nouvelle de Wallonie, Louvain-la-Neuve, on sait y faire des parcours et elle a une histoire à raconter, elle sait se rendre attachante. 

Il y a mille petits détails à découvrir, des quartiers méconnus à découvrir. La convivialité peut être assurée par des « greeters », ces personnes qui accueillent gratuitement des visiteurs dans leur quartier et leur en font voir la face cachée, des merveilles qui ne se révèlent pas au premier coup d’œil ou si on fait le parcours en voiture. Il y en a à Mons, à Liège j’en ai rencontré aussi. 

Rémy : La marche est le moyen de déplacement qui permet le contact le plus direct et le plus intime avec son environnement. Cela favorise nettement la découverte.

Boris : C’est un message important pour tous ceux qui s’occupent d’aménagement du territoire. La marche est un outil indispensable pour voir et comprendre le territoire dans toute sa complexité. En fait, la marche rapporte. Si les gens veulent se donner la peine de lire les études scientifiques, ils en auront la confirmation : investir dans la marche est une opération rentable. Notre message n’est pas de piétonniser, mais de prendre en compte le confort des piétons dans tout aménagement. 

Echelle Humaine : Tous à Pied participe au diagnostic des Plans Communaux de Mobilité (PCM)?

Boris : Nous sommes depuis cette année impliqués dans tous les PCM en tant qu’organisme-ressource. Nous sommes invités dans les communes qui nous transmettent les documents en cours d’élaboration. Nous essayons d’aller aux réunions. Messancy, Jodoigne, Yvoir, Mons, Farciennes, sont quelques-unes des communes où nous sommes actuellement impliqués.

Echelle Humaine : Jouez-vous également un rôle dans la formation des CATUs ?

Rémy : Nous collaborons avec la Conférence Permanente de Développement Territorial (CPDT) durant une des journées de la formation annuelle des CATUs – qui dure cinq jours en tout. Cette journée est consacrée aux enjeux de l’espace public, sous forme de table-ronde. Elle se partage en quatre thèmes :

  • Le lien entre le logement et l’espace public
  • Le lien entre la mobilité et l’espace public
  • L’attractivité
  • L’écologie

Les intervenants, dont Tous à Pied, ont pour objectif de partager avec les participants des bonnes pratiques, des savoirs et des compétences pour améliorer l’accessibilité aux piétons et la mobilité piétonne en général.  Pour que tous les CATUs puissent participer à cette semaine de formation, elle est organisée dans deux lieux distincts : Braine-le-Château et Verviers en 2019.

Echelle Humaine : Vous formez aussi les Conseillers en Mobilité (CeM), n’est-ce pas ?

Boris : Historiquement, nous faisons partie de la formation récurrente des Conseillers en Mobilité, nous intervenons concrètement dans le cursus à hauteur d’une après-midi partagée avec le GRACQ et Pro-Vélo. L’accessibilité à proprement parler, avec tout ce qu’elle implique sur le plan technique, est développée notamment par Acces-I et par l’asbl Plain-Pied qui intervient d’ailleurs à un autre moment de la formation. Nous nous concentrons sur les principes de la mobilité piétonne et sur la marchabilité. 

Echelle Humaine : Quelle forme prend votre intervention en CCATM ?

Boris : Nous cherchons à sensibiliser en mettant par exemple en avant le principe STOP, et en expliquant que, pour avoir une bonne politique de mobilité, il faut prendre en compte le piéton. Nous expliquons comment nous voyons les choses à différentes échelles : la commune, le quartier, une infrastructure en particulier. Nous soulignons l’importance du déplacement à pied, à la base d’une connaissance approfondie du territoire local et indispensable pour établir le lien entre mobilité et aménagement du territoire. 

 » Il faut prendre en compte le piéton… » © Unsplash – Edvin Johansson

De quelle façon collaborez-vous avec les CCATM ? 

Boris : Nous sommes disponibles pour aller les rencontrer lors d’une réunion de CCATM. Depuis que Sentier.be existe, nous sommes toujours allés présenter la thématique des sentiers et chemins vicinaux en CCATM pour sensibiliser, expliquer ce qu’il en est vis-à-vis de l’administration. Cette année, nous avons réinscrit à notre programme d’activités cette offre de rencontre dans les communes. Et dans le même temps, Tous à Pied a fait une proposition aux huit Maisons de l’Urbanisme, pour organiser des séances à destination de plusieurs CCATM et toucher ainsi plus de CCATM, donc plus de communes à la fois. Cela va se concrétiser davantage à partir de 2020, puisque les nouvelles CCATM viennent de se mettre en place.

Echelle Humaine : Si une CCATM veut aller plus loin, pour construire une carte sensible ou établir un diagnostic marchant où les membres relèvent des point positifs et négatifs sur un parcours, vous leur donnez des outils, vous les accompagnez ?

Rémy : Nous avons un projet de nouvel outil que nous souhaitons proposer aux communes à partir de 2020, le « diagnostic à pied ». C’est un diagnostic d’accessibilité piétonne dans lequel on mesure, à partir d’une centralité, d’un pôle d’intérêt de la commune, son accessibilité réelle, à partir de ce point et vers ce point. Les différents trajets et leur durée sont exprimés via un logiciel de cartographie. On évalue aussi la marchabilité des voiries, à travers le confort, la sécurité, l’hospitalité de l’espace public, tels que ressentis par les participants. Le point de vue est plus subjectif, mais tout aussi intéressant. Dans ce cadre, nous voulons développer des marches exploratoires qui permettront de découvrir les besoins et les attentes de différentes personnes.

Nous développons par ailleurs un projet cartographique qui est au croisement de la cartographie pure et de la carte topologique, qui permet, très visuellement et très simplement aux piétons de découvrir le champ des possibles qui s’ouvrent à eux. Il y aura la localisation des points d’arrêt des bus TEC, les haltes ou gares SNCB. Nous avons aussi créé des balises, qui prennent place essentiellement sur la petite voirie, pour indiquer les itinéraires, les distances, les lieux d’intérêt. Redonner un nom à une venelle, à un sentier, cela a énormément de sens pour aider à se repérer et renforcer la légitimité de ces itinéraires parfois parallèles, parfois transversaux par rapport aux voies carrossables. C’est souvent dans le cadre de la Semaine des Sentiers que nous choisissons des toponymes pour des sentiers et chemins sans nom.

« Redonner un nom à une venelle, à un sentier, cela a énormément de sens pour aider à se repérer et renforcer la légitimité de ces itinéraires parfois parallèles… » © Unsplash – Annie Spratt

Echelle Humaine : Peux-tu nous donner un exemple concret ?

Rémy : Pour la Journée Sans Voiture, nous avons animé des ateliers à Mons. Deux marches exploratoires ouvertes à tous et, notamment aux commerçants. J’ai mis en route, en parallèle, trois marches pour des publics-cibles : les femmes, les personnes âgées et les étudiant.e.s, à la demande de la Ville de Mons. Nous voulons montrer que les perceptions de l’espace public sont utiles pour en améliorer les usages. Les trajets peuvent être limités selon l’heure, ou à cause de manques de connexions. Traverser un parc peut générer un sentiment d’insécurité. Le fait de ne pas avoir de banc pour faire une pause, que ce soit dans la gare, le long des rues ou dans les magasins, cela incommode tout le monde, les jeunes aussi. Des contacts avec l’Université de Mons nous ont permis d’avoir un stand durant la Semaine de la Mobilité, ce qui nous a rapprochés des étudiants et de leurs besoins. Nous avons pu déterminer les points noirs de l’accessibilité du campus. Tous les constats vont pouvoir trouver une place dans le diagnostic du Plan Communal de Mobilité que la Ville de Mons met sur pied. 

En savoir plus

  • Dans le cadre de la mise en place d’un plan de mobilité communal (PCM), la CCATM est appelée à donner son avis. Cela vaut pour la création et la révision du PCM. Elle peut demander à connaître l’évolution du dossier lorsque le plan est en cours d’élaboration. Parmi ses prérogatives, la CCATM dispose également de l’avis d’initiative ; elle peut utiliser cette procédure pour inviter la commune à mettre en place un PCM et lui proposer des lignes de conduites.
  • Le prix de la Basket d’or est remis annuellement à un projet qui valorise la marche ; la commune de Saint-Ghislain a été lauréate en 2019, grâce au réaménagement d’un chemin vicinal pour rejoindre l’école à pied.
  • Pour défendre la liberté de marcher et d’explorer l’espace public. Le bloggeur Vraiment Vraiment signe un réquisitoire contre l’intrusion de Google dans nos déplacements : « Les collectivités locales ont-elles l’ambition et les moyens de résister à l’omnipotence cartographique de la firme de Mountain View ? » https://visionscarto.net/espace-public-vs-google