La vignette routière : potentialités, limites et alternatives

  • Auteur/autrice de la publication :
  • Post category:Mobilité
  • Temps de lecture :10 mins read
You are currently viewing La vignette routière : potentialités, limites et alternatives

Le chapitre Fiscalité de la déclaration de politique régionale (DPR) contient une section dédiée à la fiscalité automobile qui propose, entre autres, une mesure visant à instaurer un droit d’usage (vignette) afin de « faire participer les usagers, tant belges qu’étrangers, à la qualité du réseau routier wallon qu’ils utilisent ». Ceci (1) sans augmenter les contributions fiscales des Wallon·ne·s et (2) « dans le respect des règles européennes ». Est-ce possible et désirable ? Quelles sont les potentialités de l’outil, ses limites et ses alternatives ?

Flandre et Wallonie partagent aujourd’hui la volonté d’introduire un droit d’usage en garantissant une compensation financière pour les automobilistes de Flandre et de Wallonie1. Une telle convergence politique ne s’était plus vue sur ce dossier depuis 2012, lorsqu’une « note d’architecture » relative à l’introduction d’une vignette routière avait été soumise à consultation, ceci suite à l’accord politique conclu le 21 janvier 2011 entre les trois Régions, accord selon lequel il était entre autres décidé d’introduire une vignette routière pour les véhicules légers2.

Pour Canopea, il est important que ces travaux s’inscrivent dans une stratégie intégrée de mise en œuvre du système de mobilité durable auquel tend la Wallonie – système dont une première étape est définie dans la vision FAST 2030. Pour mettre en œuvre une telle stratégie, les pouvoirs publics disposent d’outils normatifs, réglementaires, de planification et fiscaux. La vignette, outil fiscal parmi d’autres, ne peut exprimer son plein potentiel qu’en synergie avec d’autres outils.

Plaidoyer pour une approche systémique

Pour participer à instruire la réflexion politique dans la logique d’échange constructif qui lui est chère, Canopea a réalisé une analyse (pour Alain : mettre un lien vers le fichier du briefing) sous forme de mise en perspective permettant de mieux appréhender la vignette, ses potentialités, ses limites et ses alternatives. Cette analyse a été largement partagée au monde politique et à l’administration.

Dans le premier chapitre du document, dédié au cadre de réflexion, sont détaillés les défis environnementaux du marché automobile, les outils de fiscalité automobile, le cadre législatif européen et les systèmes de vignette routière appliqués en Europe.

En matière de fiscalité, il convient de relever que tout outil fiscal revêt deux fonctions : la contribution au budget de l’entité perceptrice et « l’accompagnement » des comportements des citoyens·ne·s, des acteurs économiques et autres organismes visés. Si la première fonction (budgétaire) est « automatiquement » présente3, la seconde ne s’exprime pas toujours. D’une part, les autorités publiques ne souhaitent pas nécessairement l’activer, d’autre part, le signal délivré par l’outil fiscal peut être mal calibré et/ou trop faible pour agir sur les comportements dans le sens désiré.

En Belgique, les trois principaux outils de fiscalité automobile sont utilisés dans un but avant tout (si pas exclusivement) budgétaire ; ils ciblent :

  • l’achat du véhicule, avec la taxe de mise en circulation (TMC), de compétence régionale ; en Wallonie, les recettes générées par la TMC (tous véhicules motorisés) s’élevaient à 130,55 millions d’euros en 2023 ;
  • la possession, avec la taxe de circulation annuelle (TC), également de compétence régionale (539,93 millions d’euros de recettes en Wallonie en 2023) ;
  • l’utilisation, avec les accises sur les carburants, de compétence fédérale ; en 2024, les recettes d’accises sur l’essence s’élevaient à 2,15 milliards d’euros, celles sur le diesel à 3,44 milliards (en tenant compte des remboursements pour le diesel professionnel)4.

Voyons comment ces outils s’inscrivent dans le système d’automobilité, lequel peut schématiquement être structuré en trois pôles : (1) les véhicules, (2) les infrastructures et (3) les comportements des automobilistes. Cette structure tripolaire est classiquement utilisée pour bâtir les politiques intégrées de sécurité routière. Elle peut également être utilisée pour bâtir une politique fiscale intégrée.

  • Si les normes de produits relatives aux véhicules sont définies au niveau européen, les pouvoirs publics des États membres peuvent aider les automobilistes à choisir des véhicules désirables d’un point de vue sociétal, c’est-à-dire ceux qui produisent le moins d’incidences négatives, ceux qui « font mieux que les normes ». Les taxes liées à l’achat d’une voiture (neuve) ont démontré leur efficacité à cet égard, comme l’illustre l’étude de benchmarking réalisée par Canopea.
  • Pour ce qui est des infrastructures dédiées aux voitures (et camions), les principaux objectifs des pouvoirs publics sont aujourd’hui d’en limiter l’usure et de dégager les budgets nécessaires à leur amélioration et à leur entretien. On distingue deux types d’outils fiscaux spécifiques : soit une somme forfaitaire, soit une somme proportionnelle à l’intensité de l’utilisation du réseau.
    • Côté forfaitaire, on trouve d’une part les taxes liées à la possession (en Belgique, la taxe de circulation annuelle ou TC), généralement calculées sur base des caractéristiques des véhicules qui déterminent leur impact sur les infrastructures et d’autre part les droits d’usage (ou « vignette » : somme due pour rouler sur une infrastructure durant une période donnée).
    • Côté proportionnel, on trouve les péages5 dont les montants dépendent du type de véhicule et du nombre de kilomètres roulés sur l’infrastructure concernée (et donc de l’usure subie par celle-ci).
  • L’action publique sur les comportements se fait classiquement via les accises sur les carburants : plus on roule (vite), plus on paie, ce qui peut inciter à rouler plus calmement et à rationaliser ses déplacements – voire les limiter. Un autre outil est appliqué aux poids lourds (mais pas aux voitures) dans de nombreux pays européens : le prélèvement kilométrique (péage dans la terminologie européenne). Sur base d’une analyse de 15 ans d’application de cet outil en Suisse, il apparaît que, dans une optique de transfert modal, sa fonction budgétaire (lever les moyens nécessaires pour développer l’alternative ferroviaire) prime sur sa fonction d’accompagnement des comportements (dissuader d’utiliser le transport routier en raison du coût du prélèvement)6.

Une stratégie fiscale de mobilité durable devrait ainsi intégrer les outils fiscaux jugés les plus pertinents, optimisés pour atteindre des objectifs spécifiques complémentaires.

Le tableau 1 synthétise les effets potentiels directs des différents outils fiscaux sur les trois pôles du système automobile :

  • potentiels : ces effets ne peuvent être obtenus que si les outils fiscaux sont optimisés à cette fin ; ainsi, dans le cas de la taxe à l’achat (TMC), il convient que les tarifs soient suffisamment élevés et proportionnels aux facteurs sur lesquels on désire agir (par exemple, si la TMC augmente avec la masse et la puissance des voitures, cela incitera les automobilistes à acheter des voitures plus légères et moins puissantes) ;
  • directs : des effets indirects peuvent aussi être produits ; ainsi, une TMC incitant à acheter des voitures plus légères va indirectement permettre de limiter la dégradation des infrastructures (la dégradation étant proportionnelle à la quatrième puissance de la charger par essieu).

Tableau 1 : Outils fiscaux et effets potentiels directs sur les trois pôles du système automobile

 VéhiculesInfrastructuresComportements des automobilistes
Taxe à l’achat (TMC)Orientation vers des véhicules plus durables  
Taxe à la possession (TC) Rentrées budgétaires pouvant être affectées aux infrastructures 
Droit d’usage (vignette) Rentrées budgétaires 
Accises Rentrées budgétaires et limitation de l’usureRationalisation (covoiturage, diminution du kilométrage et de la vitesse)
Péage Rentrées budgétaires et limitation de l’usureRationalisation (covoiturage, diminution du kilométrage et de la vitesse)

Le tableau 1 fait clairement apparaître la complémentarité de la taxation à l’achat et de la taxation à l’utilisation (accises ou péage). Ces deux outils produisent des effets sur les trois pôles du système automobile (véhicules, infrastructures et comportements). A contrario, la taxation à la possession (taxe de circulation annuelle ou TC) et la taxation forfaitaire à l’utilisation de l’infrastructure (vignette), qui génèrent des rentrées budgétaires (entretien et amélioration du réseau), ne permettent pas d’agir sur les comportements.

Une impossibilité majeure

Dans le deuxième chapitre de notre analyse sont résumées les dynamiques d’introduction d’un droit d’usage en Autriche et en Hongrie ; on y trouve également une brève présentation de l’échec de l’Allemagne dans sa tentative d’introduire une vignette avec compensation pour les automobilistes allemand·e·s. La volonté des autorités allemandes d’introduire une compensation pour les automobilistes allemands motiva l’Autriche (rejointe par les Pays-Bas) à annoncer, dès 2017, son intention de déposer une plainte auprès de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE). Dans son arrêt du 18 juin 2019, cette dernière a estimé que : « en introduisant la redevance d’utilisation des infrastructures pour les véhicules automobiles particuliers […] et en prévoyant une exonération de la taxe sur les véhicules automobiles correspondant, à tout le moins, au montant de ladite redevance pour les propriétaires de véhicules immatriculés en Allemagne […] la République fédérale d’Allemagne a violé les articles 18, 34, 56 et 92 TFUE. »

La volonté de compenser pour les automobilistes « nationaux » est également contraire au principe de non-discrimination inscrit à l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et à l’article 7.5 de la directive « Eurovignette ». La DPR souligne d’ailleurs que « aucune solution n’a jusqu’à présent été trouvée » à ce problème.

La seule possibilité de compenser conformément à la DPR consisterait dès lors à le faire pour l’ensemble des contribuables wallon·ne·s, automobilistes ou non, en croisant les doigts pour que la manœuvre « passe » auprès des pays voisins et des autorités européennes …

Une analyse SWOT

L’introduction d’un système de droits d’usage en Wallonie n’est exempte ni d’avantages ni d’inconvénients. Certains sont propres à cet outil fiscal et d’autres liés au contexte (politique et socio-économique). Le troisième chapitre de notre analyse en présente une synthèse déclinée selon l’approche SWOT7 et présentée au tableau 2.

Tableau 2 : Analyse SWOT relative à l’introduction d’un droit d’usage (vignette) pour les automobilistes en Belgique

Forces Simplicité de mise en œuvre Mesure favorable aux ruraux Latitude sur les tarifsFaiblesses Pas d’incitation à rationaliser ses déplacements Encouragement implicite à rouler beaucoup Mesure défavorable aux « petits rouleurs » Risque de report de trafic
Opportunités Convergence politique avec la FlandreMenaces Évolution probable de la législation européenne Hostilité générale « aux taxes » Isolement géographique

Les recommandations de Canopea

Dans le quatrième chapitre de son analyse, Canopea établit une liste de recommandations brièvement présentées ci-dessous.

  • Considérer en priorité l’alternative du péage, laquelle présente des avantages non négligeables en termes d’action sur les comportements et de complémentarité avec la taxation à l’achat (TMC – voir tableau 1).
  • Respecter – quels que soient les outils fiscaux envisagés – une série de lignes de force pour optimiser l’efficacité de la réforme fiscale. Dont la prise en compte des deux fonctions de tout outil fiscal : la fonction budgétaire et celle d’orientation des comportements des publics visés. Dont, aussi, la prise en compte des deux grandes dynamiques du marché automobile : « l’autobésité » et l’électrification, laquelle va générer, dans les années à venir, un tarissement progressif des rentrées associées aux accises sur les carburants – et donc un impact budgétaire de plus en plus important.
  • Dans l’hypothèse (que Canopea ne privilégie donc pas) de l’application d’une vignette, respecter les trois balises suivantes :
    • ne pas tenter d’introduire des compensations pour les automobilistes wallon·ne·s ;
    • appliquer la vignette à l’ensemble du réseau routier ;
    • adopter des tarifs suffisants pour atteindre l’objectif politique d’amélioration de la qualité du réseau.

Selon Canopea, si l’enjeu budgétaire de la réforme à venir doit être pris en compte, il serait malheureux de ne pas tirer opportunité de ladite réforme pour insérer le système de fiscalité automobile réformé dans une stratégie intégrée de transition vers un système de mobilité durable, système dont une première étape est définie dans la vision FAST 2030.


Crédit image illustration : Adobe Stock

Aidez-nous à protéger l’environnement,
faites un don !

  1. Voir notamment Parlement de Wallonie. Compte rendu intégral – Séance publique de Commission. Commission de l’aménagement du territoire, de la mobilité et des pouvoir locaux. Mardi 15 avril 2025, p.38-39 ↩︎
  2. Consortium Fairway. 2012. Le système de la vignette routière au sein de la Région flamande, de la Région wallonne et de la Région de Bruxelles-Capitale – Note d’architecture provisoire relative à la vignette routière interrégionale ↩︎
  3. Sauf dans le cas hypothétique où les coûts de perception seraient égaux ou supérieurs aux rentrées fiscales ↩︎
  4. Energia. Chiffres clés 2024 ↩︎
  5. Système appliqué sur les autoroutes françaises faisant l’objet d’une concession ↩︎
  6. Voir l’analyse réalisée par Canopea en 2018 : https://www.canopea.be/prelevement-kilometrique-lecons-de-suisse/ ↩︎
  7. SWOT : acronyme anglais pour Strengths, Weaknesses, Opportunities and Threats (forces, faiblesses, opportunités et menaces) : outil de stratégie d’entreprise à la base, il s’applique tout aussi bien à l’analyse ex-ante des politiques publiques ↩︎