Le cheval de trait en forêt : une relique du passé ou un atout pour le futur ?

  • Auteur/autrice de la publication :
  • Post category:Biodiversité
  • Temps de lecture :18 min de lecture
You are currently viewing Le cheval de trait en forêt : une relique du passé ou un atout pour le futur ?

Qui, en se promenant dans les bois, a encore eu la chance de voir le travail d’un cheval de trait débardant une belle grume, conduit au cordeau au rythme des « yeuh » et des « arr » chuchotés tout bas par le meneur, et du tintement de la petite clochette accrochée au collier de travail ? Certainement peu d’entre nous. Pourtant, avec la nécessité d’opérer rapidement une transition écologique, le cheval de trait est de nouveau promu dans toute une série de secteurs : le ramassage des déchets en ville, la gestion des milieux naturels protégés, l’entretien des voies lentes, le maraîchage et la viticulture, pour ne citer que quelques exemples. Autant le cheval semble être perçu comme un véritable atout dans ces secteurs, autant en forêt, il semble être réduit à un folklore issu du passé, sans intérêt ni avenir économique. Le point… Et ne manquez pas, au bas de l’article, les magnifiques photos qui récompensent pleinement sa lecture !

Les débardeurs en Wallonie

Le problème est que le nombre de débardeurs ne fait que diminuer depuis plusieurs années, et qu’il n’en reste en réalité que très peu en Wallonie ! Déjà en 2006, une enquête sur l’état de la filière tirait la sonnette d’alarme et soulignait le déclin progressif de la profession. Certes, à cette époque, le nombre de débardeurs était encore jugé comme suffisant (91 identifiés) avec une moyenne d’âge de 40 à 50 ans. Mais les auteurs de l’enquête prévenaient tout de même qu’il fallait assurer la relève. Force est de constater que depuis, peu d’actions ont été entreprises pour redynamiser la filière et que la relève n’a pas été assurée. Aujourd’hui, on ne compte en effet plus qu’une vingtaine de débardeurs professionnels. La tempête de 1999 semble avoir joué un rôle décisif dans ce déclin, avec beaucoup de bois à terre à sortir très rapidement. Les machines et tracteurs étant dans ce cas plus performants, le cheval a été petit à petit délaissé. Jusque dans les années 2000, le cheval était encore couramment utilisé en province du Luxembourg jusqu’à la 3ème éclaircie en résineux. Mais l’efficacité des machines, la pratique du billonnage (tronçonnage de la grume), la demande croissante des marchands de sortir le plus de bois possible très rapidement, un travail parfois difficile en fonction de la météo et de moins en moins rémunérateur, et autres évolutions des pratiques sylvicoles ont précipité le déclin du débardage à cheval.

Il existe bien quelques mécanismes qui ont tenté de soutenir le débardage en forêt, mais avec peu de succès dans le temps. Des primes ont été accordées, mais les conditions d’octroi les ont rendues inefficaces.

Au niveau du domaine public, suite à l’intérêt de la part du Ministre B. Lutgen, une circulaire demande au DNF que 30% des coupes ayant des circonférences inférieures à 70cm soient débardés à cheval. Or c’est en réalité peu mis en pratique sur le terrain, notamment du fait que ces lots ne sont pas achetés par les marchands à cause des contraintes imposées.

La compaction des sols forestiers

Et pourtant, le cheval a encore toute sa place dans le bois ! En particulier dans l’optique de mieux préserver nos sols forestiers, dont la compaction est une des problématiques les plus importantes à laquelle font face nos forêts. L’évolution technique a en effet permis d’avoir des machines performantes pour l’exploitation forestière, mais qui sont également de plus en plus lourdes. Avec des porteurs pouvant peser jusqu’à 45tonnes, la compaction peut se faire jusqu’à 80cm de profondeur. On voit que la croissance des arbres peut être mise à mal jusqu’à une distance de trois mètres de la zone impactée. Et c’est dès le premier passage dans la parcelle que la majorité de la compaction s’effectue (60 à 80%).

La compaction est un processus complexe et les conséquences qu’elle peut avoir sur la croissance végétale et la productivité forestière à moyen et long-terme sont difficiles à évaluer. C’est une détérioration de la structure physique du sol, surtout lors du passage d’engins trop lourds. Cette pression mécanique va provoquer la déstructuration et le tassement du sol, engendrant une diminution de sa porosité totale et une augmentation de sa densité apparente, causant ainsi toute une série de problèmes : réduction de l’infiltration de l’eau et augmentation du risque de lessivage des nutriments et de l’érosion, moins de disponibilité en eau et en oxygène dans le sol provoquant la diminution de l’activité des microorganismes, dont les mycorhizes, écrasement du système racinaire ou l’empêchant de se développer de manière optimal à cause d’une plus grande résistance mécanique du sol, et plus grandes amplitudes de la température dans le sol (températures trop ou pas assez élevées) qui impactent la croissance racinaire. In fine, c’est la productivité des zones impactées au sein de la parcelle forestière (dont perte de croissance des arbres, mortalité au sein de la régénération, etc.) qui en pâtit. Les pertes de croissance individuelle peuvent aller jusqu’à 40%, avec des sensibilités différentes en fonction des essences.

C’est aussi un facteur qui rend les peuplements forestiers plus sensibles aux ravageurs et maladies.

La compaction des sols est aussi néfaste pour la biodiversité forestière, certaines espèces de plante y étant sensibles, avec une érosion possible de la diversité floristique spécifiquement forestière.

C’est aussi un phénomène peu visible : la création d’ornières étant l’impact le plus visible des machines, mais c’est bien le compactage, moins facilement décelable, qui amène les dégradations les plus importantes. Et c’est bien souvent irréversible. On estime qu’il faudrait près d’un siècle pour que le sol retrouve un état optimal grâce aux processus naturels.

Il est difficile de se faire une idée de l’ampleur du problème en Wallonie. Il n’y a pas d’indicateurs qui permettent d’évaluer la compaction des sols forestiers car cela s’avère trop complexe à évaluer à grande échelle. Cependant, l’inventaire forestier permanent par placettes indique une augmentation considérable de la compaction de nos sols forestiers. Notamment, on constate qu’au sein des habitats forestiers d’intérêt communautaire de la région atlantique, on observe une augmentation de la proportion de sols compactés de 7 à 19%.

Il existe cependant une cartographie qui permet de connaître la sensibilité des sols à la compaction et d’agir en conséquence. Certains types de sols sont en effet plus sensibles, tels que les sols argileux et limoneux, surtout en cas de pluies ou en période de dégel. Par contre, une charge caillouteuse diminue la sensibilité à la compaction.

L’avantage du cheval en forêt

Plusieurs techniques sont préconisées pour limiter l’impact des machines, notamment de diminuer la pression des pneus, rouler sur un lit de branchages, équiper les machines de chenillettes en caoutchouc, câblage aérien, brouette à moteur, etc.

Le cheval constitue aussi une très bonne alternative (ou comme on le verra plus loin un « outil » complémentaire), qui n’est plus que très rarement envisagée. Pourtant, le cheval provoque très peu de compaction du sol : on observe notamment que les arbres à proximité des passages faits par le cheval ont une meilleure croissance que ceux à proximité des passages réalisés par une machine. Actuellement, le recours au cheval de trait pour le débardage n’est considéré que pour des travaux dans des conditions bien spécifiques mais pouvant être particulièrement difficiles. Il serait en effet plus concurrentiel sur des zones difficiles comme les sols hydromorphes (jusqu’à certaines limites toutefois) ou en pente.

Or, l’utilisation du cheval en forêt peut s’inscrire pleinement dans la gestion durable des forêts, en préservant la qualité et la fonctionnalité des sols. Les avantages sont multiples : pas de compaction du sol, pas de dégât à la régénération naturelle et pas d’ornière.

Certes, sur le court-terme, cela coûte plus cher car le cheval sort moins de volume de bois à l’heure. Mais c’est sur le moyen-terme que des économies peuvent être réalisées. Ainsi ça permet au propriétaire forestier de préserver au mieux la fertilité et les fonctionnalités de son sol, et donc sa productivité, ainsi que la préservation de la régénération naturelle et des arbres d’avenir.

Autre avantage, c’est le maintien de la quiétude de l’environnement forestier grâce au travail du cheval de trait, peu bruyant et moins perturbateur qu’une machine.

De plus, le cheval peut travailler par tous les temps et ne dépend donc pas de la météo. Il est mobile, maniable et souple, permettant un travail de précision : un atout si on veut aller vers des forêts irrégulières, plus compliquées pour la récolte des bois que les forêts équiennes et monospécifiques.

De manière générale, les chantiers hippomobiles ont également un très bon bilan carbone, grâce aux économies d’énergie fossile ! Par exemple, on a estimé à 30% d’économie de GES pour un chantier de ramassage de déchets ainsi que pour la gestion des espaces verts, jusqu’à 90% en maraichage. En forêt, il a été estimé que l’utilisation du cheval demandait 8 à 20 fois moins de fuel, avec une diminution d’au moins 50% en comparaison avec une machine (l’utilisation principale étant le transport des chevaux). En Wallonie, il a été estimé une économie de 2€/heure par rapport à la mécanisation, en incluant les services sociaux et environnementaux ainsi que le coût économisé en carburant.

Quelle place pour le cheval en forêt ?

Le recourt au cheval ne devrait donc pas être uniquement cantonné à des conditions spécifiques et difficiles, mais devrait être généralisé.

Cependant, l’idée n’est pas de remplacer la machine par le cheval mais de bien cerner à quelles étapes celui-ci est le plus pertinent, en prenant en compte les aspects environnementaux, et particulièrement la compaction des sols.  Les deux techniques ont leurs atouts et leurs limites. Quand le débusquage doit s’opérer sur de plus grandes distances et à partir d’un certain volume des perches, la machine devient intéressante et présente de meilleurs rendements. Il faut donc plutôt encourager la complémentarité cheval/machine.

Le cheval doit être utilisé pour les premières étapes de récolte du bois : les grumes sont débusquées au cheval de trait, qui les amène en dehors des parcelles, sur les layons ou cloisonnements, et le débardage des grumes jusqu’à la zone de stockage se fait à la machine. On évite ainsi le tassement sur la plus grande partie de la parcelle forestière en elle-même et on limite le passage des engins seulement sur certains chemins. Le gestionnaire forestier peut de lui-même imposer ce fonctionnement en réalisant des cloisonnements. Ainsi sans cloisonnement, on estime que c’est 30 à 50% de la parcelle qui est parcourue à chaque éclaircie.

Le cheval forestier comme moteur du développement local

Au-delà de cet aspect environnemental, le cheval présente bien d’autres atouts sous son sabot. Il peut aussi être un facteur de développement local :  

  • Diversification des activités économiques tout en maintenant et créant des emplois locaux (élevage, maréchalerie, débourrage, etc.)
    • Investissement plus faible pour le débardeur
    • Tourisme rural et préservation du patrimoine régional : le capital sympathie du cheval permettrait de mieux faire accepter les travaux en forêt par les riverains et promeneurs, souvent source d’incompréhension et de conflits. Préservation d’un savoir-faire technique et culturel, maintien de la race du cheval de trait ardennais.

Conclusion

Plusieurs questions doivent donc être résolues avant de vouloir redynamiser la filière. Combien de débardeurs restent-ils ? La relève peut-elle être assurée ? Quelle est l’offre en formation (ou potentielle), notamment à travers les écoles techniques ou Hautes-Ecoles ? Quels mécanismes de soutien et quel intérêt des acteurs de la filière bois à l’heure actuelle ?

Parallèlement, plusieurs mécanismes pourraient être envisagés pour limiter la compaction des sols les plus sensibles et favoriser des techniques plus respectueuses, dont le débardage à cheval. Bien que le Code forestier (2008) interdise explicitement « d’occasionner des dégâts au sol provoquant une altération profonde de celui-ci » (article 46), il ne vise cependant pas à réglementer les techniques d’exploitations. Une évolution souhaitable serait de mieux contrôler l’accès des machines aux parcelles les plus sensibles, notamment dans les sites en Natura 2000, au sein des peuplements de forêts anciennes récemment cartographiées et au sein de parcelles présentant des classes de risques de compaction élevées.

Pour aider les débardeurs, des primes ou des avantages fiscaux pourraient leur être octroyé. Au niveau des pratiques sylvicoles, systématiser les cloisonnements d’exploitation pour concentrer le passage des machines sur certaines parties. C’est une pratique qui tend à se développer en forêts publiques. Et pour la récolte, favoriser les travaux de débardage en régie au sein des forêts domaniales, le gestionnaire forestier engageant le débardeur et réalisant également la vente des bois stockés.

Crédit photographique : Valère Marchand (CECT)
Crédit photographique : Valère Marchand (CECT)
Crédit photographique : Valère Marchand (CECT)
Crédit photographique : asbl Meneurs
Crédit photographique : asbl Meneurs
Crédit photographique : asbl Meneurs

Références