Le décret « délinquance environnementale » est adopté

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Voilà plusieurs mois que le projet de décret qui modifie le décret « délinquance environnementale » était dans les cartons du Gouvernement et plus particulièrement du Ministre de l’environnement. Afin que tout le travail ne soit pas vain, il lui restait à franchir l’ultime étape du Parlement de Wallonie. Bien qu’en minorité, la majorité wallonne est parvenue à faire adopter sa réforme ce 3 mai dernier. Si plusieurs avancées sont à mettre en avant, le projet de décret n’en comprenait pas moins certaines pierres d’achoppement.

Invitée en septembre 2018 à remettre un avis sur une proposition de résolution parlementaire pour améliorer la lutte contre les incivilités et les infractions environnementales, IEW a eu l’occasion de présenter, une nouvelle fois, son analyse sur la législation relative aux infractions environnementales en Wallonie. De manière synthétique : une législation wallonne de qualité avec, après plus de 10 ans d’application sur le terrain, certains mécanismes instaurés en 2008 qui ont fait leur preuve : transaction, amendes administratives, suivi des infractions par les services du fonctionnaire sanctionnateur notamment. Cela étant, selon IEW, certaines modifications législatives sont souhaitables :

  • Augmenter le montant des amendes administratives afin d’assurer le caractère dissuasif de celles-ci ;
  • Dépénaliser les « petites » infractions afin de désengorger les parquets ;
  • Elargir les moyens d’investigation et de sanction attribués au fonctionnaire sanctionnateur ;
  • Optimiser le caractère efficient de certaines sanctions notamment en matière d’infractions à la législation en matière de déchets ;
  • Instaurer de nouveaux types de sanctions dont le caractère dissuasif serait plus important que la seule amende administrative.

Même si la Fédération n’a pas été sollicitée pour remettre un avis sur le projet de décret soumis au Parlement, plusieurs recommandations d’IEW figurent dans le décret adopté.

Au rayon des nouveautés, une stratégie…

Parmi les nouveaux outils, la mise en place d’une stratégie wallonne de politique répressive environnementale qui doit être adoptée au plus tard douze mois après la prestation de serment du Gouvernement (D.142 §.2). Cela étant, de notre lecture du décret, ce dernier ne prévoit aucun levier d’action si d’aventure la stratégie n’est pas adoptée dans les douze mois de la prestation de serment du Gouvernement.

Cette stratégie est un outil intéressant et pertinent même s’il conviendra d’éviter qu’il s’agisse d’une « coquille vide » se bornant à de simples déclarations de principe et dont le contenu serait difficilement évaluable. Sa mise en œuvre concrète sur le terrain sera tout aussi, voire encore plus, importante.

Certaines pierres d’achoppement n’ont pas franchi le cap du Parlement

Parmi les modifications figurant dans le projet de décret déposé au Parlement, certaines posaient question de manière plus fondamentale. Notamment la reconnaissance d’un statut légal en faveur des « ambassadeurs de la propreté » ou encore la possibilité de proposer au contrevenant des prestations citoyennes dont l’encadrement pouvait notamment être assuré par les associations environnementales. L’emploi de l’imparfait est à présent de mise dès lors que les modifications en question ont fait l’objet d’amendements.

  • Les ambassadeurs de la propreté (D.155 du projet de décret)

Ils étaient présentés par le projet de décret comme « assistant des agents constatateurs ». En vertu de l’exposé des motifs du projet de décret, leur mission consistait à « (…) procéder principalement à des actions de prévention et de sensibilisation auprès de la population. Ainsi, les missions de cet ambassadeur sont exclusivement des missions de prévention et de sensibilisation contre la délinquance et les incivilités environnementales. En aucun cas, l’ambassadeur ne pourra établir une constatation d’une infraction. Par ailleurs, le champ d’application de la mission sera limité dès lors que cette mission ne concerne que les infractions exclusivement sanctionnées par voie administrative, c’est-à-dire celles figurant sur une liste à établir par le Gouvernement comme infractions déclassées (…) »[1].

L’article D.155, §.3 al. 3 du projet de décret stipulait que « Pour seule prérogative, les ambassadeurs de la propreté peuvent, dans le cadre de leurs missions et en cas de situations infractionnelles rencontrées en flagrant délit, adresser des avertissements exclusivement verbaux dépourvus d’injonction relative à une régularisation éventuelle. Dans ce cas, il fait rapport sans délai à l’agent constatateur. (…), l’avertissement exprimé dans ce cadre n’emporte pas la constatation de l’infraction (…), et doit faire l’objet d’une confirmation écrite par l’agent constatateur dans les quinze jours »[2].

Outre le libellé « ambassadeur de la propreté » particulièrement inadéquat au vu des missions pressenties, le bien-fondé de ce dispositif pouvait questionner. La nécessité de créer un cadre légal spécifique à ces ambassadeurs était-elle réellement pertinente ? Pour IEW, il est en effet opportun que chacun reste dans son rôle : s’il peut apparaitre du droit/devoir civique de chacun de rapporter certains comportements infractionnels aux autorités, cela passe-t-il par la création de shérifs locaux qui se sentiront – peut-être – un peu plus légitime que n’importe quel autre citoyen/association ? N’est-il pas plus opportun de renforcer les moyens là où c’est réellement nécessaire que ce soit au niveau des services de contrôle de l’administration et des instances judiciaires[3] ? Poser la question, c’est probablement y répondre. Les services administratifs régionaux et communaux ainsi que les autorités judiciaires sont les acteurs pertinents pour assurer le contrôle et, le cas échéant, la poursuite et la répression des infractions environnementales.

Le pôle environnement s’est également montré très critique sur l’instauration de tels ambassadeurs considérant que cela était « de nature à légaliser la délation »[4].

Au final, un amendement fut déposé pour supprimer ce chapitre qui apparaissait davantage comme une fausse bonne idée. Ce chapitré dédié aux ambassadeurs fut donc supprimé.

  • Les prestations citoyennes (D.203 du décret)

De manière synthétique, cette disposition prévoit que le fonctionnaire sanctionnateur, lorsqu’il l’estime opportun, peut « proposer  au  contrevenant  majeur, moyennant son accord ou à la demande de ce dernier, une prestation citoyenne en lieu et place de l’amende administrative » (art. D.203, §1 du décret) en sachant que cette prestation citoyenne ne peut pas excéder trente heures.

Quel est l’objet de cette prestation citoyenne ?

« Elle consiste, le cas échéant conjointement, en :

1° une formation;

2° une prestation à titre gratuit encadrée par l’administration, la commune, l’intercommunale, ou une personne morale compétente désignée par l’administration ou la commune et exécutée au bénéfice d’un service régional ou communal ou d’une personne morale de droit public, une fondation ou une association sans but lucratif désignée par l’administration, la commune ou l’intercommunale » (art. D.203, §2, al.2).

Le projet de décret déposé au Parlement prévoyait également l’alinéa suivant : « En application de l’alinéa 2, 2°, le Gouvernement peut confier l’encadrement de la prestation citoyenne aux associations environnementales reconnues en vertu du titre II/1, de la partie III, du présent Code ou aux refuges et associations agréées en vertu des articles D.28 et D.32 du Code wallon du bien-être animal. Dans ce cas, le Gouvernement précise les modalités et l’organisation de cet encadrement »[5] (D.203, §2, al. 3 du projet de décret).

Pour Inter-Environnement Wallonie, cet alinéa demeurait problématique. En effet, selon la Fédération, s’il s’agissait d’une faculté du Gouvernement de confier l’encadrement à une association environnementale (« le Gouvernement peut »), il n’en demeurait pas moins que, si le Gouvernement faisait usage de cette faculté, aucune marge d’appréciation ne semblait laissée à l’association environnementale d’accepter ou de décliner d’assurer cet encadrement. Il s’agissait donc en conséquence d’une injonction du Gouvernement qui apparaissait fort critiquable au regard notamment de la liberté d’association et, par conséquent, sujet à critiques sur le plan juridique.

Pour abonder en ce sens, l’avis de la section de législation du Conseil d’Etat qui considérait que « L’avantprojet semble ainsi partir de l’idée qu’en vertu des articles D.282 et suivants du livre Ier du Code de lenvironnement, la Région wallonne confie des missions déterminées aux associations considérées. Or, telle nest pas la portée de ces dispositions. En effet, si elles soumettent à des conditions l’octroi de la reconnaissance et du subventionnement des associations environnementales qui en font la demande, elles ne visent par contre pas à leur confier d’autorité des missions déterminées.»[6] (IEW souligne). Si la possibilité d’encadrement par les associations environnementales n’a pas été supprimée, un amendement fut déposé et adopté afin que cet encadrement soit soumis à l’accord préalable de l’association environnementale.

Conclusion

Comme le rappelle régulièrement la Fédération, il est indispensable d’appréhender de manière globale la problématique des infractions environnementales. Cette approche transversale nécessite non seulement :

  • une législation ambitieuse en matière de lutte contre la délinquance environnementale ;
  • une gouvernance optimale en dotant notamment les services de l’administration chargés de mettre en œuvre ladite législation des moyens structurels, fonctionnels et organisationnels pour leur permettre de mener leurs missions de manière efficiente. Cette gouvernance passe également par une exemplarité dans la poursuite et la répression des infractions.

[1] Exposé des motifs, Doc. Parl. Wal., sess. 2018-2019, n°1333/1, p.8

[2] Doc. Parl. Wal., sess. 2018-2019, n°1333/1, p.61

[3] A lire le résumé du projet de décret, cela semble prévu pour les agents constatateurs sur le terrain

[4] Avis du pôle environnement du 30 août 2018, ENV.18.79.AV, p.4.

[5] Doc. Parl. Wal., sess. 2018-2019, n°1333/1, p.75

[6] Avis de la section de législation du Conseil d’Etat, Doc. Parl. Wal., sess. 2018-2019, n°1333/1, p.91