Le permis parlementaire : par la porte ou par la fenêtre !

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Adopté en 2008, le DAR a déchainé les passions que ce soit, dans les allées parlementaires, devant les tribunaux ou dans les médias. Depuis que ce décret a vu le jour, Inter-Environnement Wallonie n’a pas manqué de le fustiger. Au terme de nombreux recours, ce pamphlet législatif fut invalidé par la Cour constitutionnelle en 2012. Le DAR enterré, place désormais à la descendance que l’on nomme permis parlementaire Toutes les naissances ne sont pas nécessairement des heureux événements…

L’objectif n’est pas de faire l’historique de cette saga politico-judiciaire ni même d’expliquer à nouveau le dispositif mis en place. Nous nous limiterons aux quelques lignes qui suivent.

Le dispositif

En matière d’urbanisme, l’autorité compétente pour délivrer les permis est l’autorité administrative. Cependant, le CoDT prévoit une procédure particulière pour certains actes et travaux listés qui relèvent de l’intérêt général (chaînons routiers ou fluviaux, travaux relatifs au RER, etc.). Pour ces projets, la décision finale appartiendra non pas à l’autorité administrative mais bel et bien au Parlement wallon. Le dispositif en question n’est pas une nouveauté puisqu’il fut créé en 2008 à l’initiative du Ministre de l’aménagement du territoire de l’époque – André Antoine – dans un décret spécifique plus connu sous le nom de DAR (décret d’autorisation régionale).

Objectif du mécanisme : éviter les recours au Conseil d’Etat

Qu’on ne s’y trompe pas, loin de vouloir associer simplement les parlementaires aux décisions relatives à des actes et travaux considérés comme « majeurs » en matière d’aménagement du territoire, l’objectif initial, et non dissimulé à l’époque, était de vouloir empêcher les recours contre les projets en question devant le Conseil d’Etat. En effet, dès le moment où la décision finale était un acte législatif adopté par le Parlement et non plus un acte administratif, c’est bel et bien la Cour constitutionnelle qui devenait compétente en cas de recours. Or, cette juridiction ne connaît pas du même champ d’intervention que le Conseil d’Etat. Les compétences de la Cour constitutionnelle ne lui permettent pas de vérifier la légalité des procédures d’instruction conduisant à l’octroi d’un permis, comme le respect des procédures d’évaluation des incidences sur l’environnement par exemple.

Recours à foison et sage décision

De nombreux recours, dont un d’IEW, furent introduits devant la Cour constitutionnelle contre le DAR. Après avoir posé des questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour constitutionnelle invalida le mécanisme en 2012. Cet arrêt résonna comme un tremblement de terre, dès lors que la procédure mise en place pour bétonner certains projets avait du plomb dans l’aile. L’insécurité juridique qui planait autour des projets concernés était totale.

Dès le lendemain de l’arrêt, chaque personnalité politique y allait de sa propre analyse. De la prise d’acte au profond goût de cendre, la perspective d’un DAR bis se dégageait déjà. En effet, il ne fallut pas attendre longtemps avant de voir l’intégration d’un nouveau mécanisme dans le CoDT Ier dénommé « permis parlementaire » et présenté comme intégrant les griefs formulés par la Cour constitutionnelle. Bien que remis sur le métier par le Ministre de l’aménagement du territoire actuel, le projet de CoDT II a très vite laissé entrevoir qu’aucune modification substantielle ne serait apportée au mécanisme du permis parlementaire. Et pour cause…

Envers et contre tout(s) !

S’il est une constante depuis 2008 et l’adoption du DAR, c’est bien la volonté des autorités wallonnes de consacrer le mécanisme permettant au Parlement de valider des projets qualifiés « d’intérêt général ». On est même en droit de s’interroger si le ministre en charge du dossier a réellement son mot à dire si ce n’est à faire adopter le « truc ». A titre d’exemple, que penser de l’intégration du permis parlementaire dans le CoDT Ier par Philippe Henry, un Ministre dont le parti avait pourtant tiré à boulet rouge sur le DAR durant la législature 2004-2009 ?

On a l’impression que, dans ce dossier, les choses sont cousues de fil blanc. Il suffit de lire les innombrables déclarations politiques sur le sujet. L’histoire ne dira jamais si la tournure des évènements eut été différente à l’époque avec une communication moins virulente/vindicative ou, à tout le moins, plus respectueuse de la société civile et des droits fondamentaux reconnus à celle-ci.

Citoyens et associations ont bon dos… le Conseil d’Etat aussi !

Soyons de bon compte : des projets bloqués par des recours animés par de pures prétentions nymbistes sans réels arguments de fond, il y en a certainement. Ne sombrons pas dans l’angélisme, certaines expériences malheureuses existent, mais elles ne sont pas la généralité. En outre, la récente réforme du Conseil d’Etat (2014) tend également à décourager ces recours abusifs avec, par exemple, la condamnation au paiement d’une indemnité de procédure à charge de la partie qui perd le procès. De l’autre côté de la barrière, nos élus sont-ils eux aussi toujours animés par la poursuite de l’intérêt général et s’abstiennent-ils systématiquement de faire preuve d’un certain esprit de clocher ? Poser la question, c’est probablement y répondre.

Par ailleurs, faire reposer la lenteur d’instruction de certains projets exclusivement sur les procédures en justice s’avère réducteur et inopportun. D’autres causes peuvent expliquer l’absence de finalisation parmi lesquelles l’absence de moyens financiers suffisants.
Le Conseil d’Etat en a également pris pour son grade. Fustiger la juridiction administrative est également inadéquat quand on sait qu’elle traite un contentieux objectif de légalité sans se prononcer sur l’opportunité du projet. Lors de l’introduction de son recours contre le DAR en janvier 2009, IEW se permettait une double interrogation :

 Si le Conseil d’Etat sanctionne de manière « excessive » des décisions administratives, pourquoi créer un mécanisme différent pour les projets qualifiés « d’intérêt général » alors que les projets de n’importe quel autre citoyen ou entreprise passent par la procédure « classique » ?

 A l’inverse, si le Conseil d’Etat annule des décisions administratives pour de « bonnes » raisons, quelle lecture faut-il avoir sur cette volonté politique de trouver un mécanisme sibyllin pour échapper au contrôle du Conseil d’Etat ?

Voilà plus de six ans désormais que la Fédération attend des réponses mais, au jour d’aujourd’hui, la politique de la carpe est toujours de mise…

La validation législative est-elle vraiment nécessaire et sera-t-elle la solution miracle ?

La volonté de vouloir associer le Parlement wallon aux projets qualifiés d’intérêt général passe-t-elle nécessairement par l’adoption d’une procédure dérogatoire à la pratique administrative habituelle ? Nos élus wallons ne bénéficient-ils pas à suffisance d’un arsenal d’outils parlementaires pour se soucier du devenir de tel ou tel projet ? Interpellations en commission parlementaire, questions écrites, dépôt de propositions de décret ou de résolution, etc . Cette volonté de vouloir associer les parlementaires est-elle pertinente, lorsqu’on sait que la particratie prédomine dans le fonctionnement de nos institutions et, qu’au final, il est vraisemblable que les consignes de vote seront établies dans cette logique ? La validation par le Parlement empêchera-t-elle réellement les recours, qu’ils soient fondés ou non ?

Tel père, tel fils

Alors que le dispositif du DAR était censé bétonner les projets concernés, un constat s’impose aujourd’hui bientôt huit ans après son adoption : le béton n’a visiblement pas pris. Le fils du DAR n’ayant pas encore formellement été adopté avec le projet de CoDT II, il n’est pas trop tard pour pratiquer une IVG. Quoiqu’il en soit, à supposer que le new PeP voie le jour (ne soyons pas dupes, il le verra), reste à savoir si les foudres à son encontre s’abattront avec la même virulence que celles infligées à l’encontre de son ancêtre législatif.