Le rail belge : la grande ambition ?

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Au-delà  de la polémique liée à la suppression de guichets de gare, il est indéniable que ça bouge pour le chemin de fer en Belgique ! La réduction des émissions de CO2 du secteur des transports impose de mettre en place une mobilité durable. Dans ce contexte, le gouvernement fédéral témoigne d’une nouvelle ambition pour le rail, destiné à devenir la colonne vertébrale du réseau de transports publics du Royaume. Il est question de transfert modal, de vision à 2040, de refinancement, de redéploiement de l’offre, d’intermodalité accrue… Sommes-nous en train de vivre un tournant dans la politique ferroviaire belge ? Ces intentions doivent maintenant se concrétiser dans les nouveaux contrats de gestion qui seront conclus entre l’Etat, la SNCB et Infrabel ! 

Retour sur les causes de la suppression de 44 guichets en 2021

Septembre 2020 : L’accord de gouvernement fédéral prévoit la conclusion de nouveaux contrats de gestion pour Infrabel et pour la SNCB pour une durée de dix ans 1. Cette information n’est pas anodine quand on sait que les derniers contrats de gestion des deux entreprises publiques ont été conclus en 2008 pour une durée de cinq ans… Même s’ils ont été modifiés à la marge par des avenants et prolongés par Arrêtés Royaux, il n’y a plus eu de grandes réflexions sur les enjeux ferroviaires entre l’Etat et les deux entités depuis plus de dix ans !

Février 2021 : Une polémique nait autour de la décision prise par la SNCB de fermer définitivement d’ici fin 2021 les guichets de 44 gares et de réduire les heures d’ouverture dans 38 autres. Un choix qui interpelle quand on sait que la SNCB a pour slogan « le client est central ». Une devise qui semble très théorique avec cette réduction du service aux voyageurs dans ces 82 gares. La SNCB se réfugie derrière l’argumentaire selon lequel il s’agit d’une tendance voulue par les clients eux-mêmes. On constate en effet une diminution de la vente aux guichets depuis qu’on en ferme à tour de bras. Tout est fait pour aller dans le sens de « l’histoire » : la digitalisation. Et tant pis pour la fracture numérique… qui finira peut-être par déplacer le personnel des guichets vers les automates pour y aider les voyageurs, comme en Suède ?

Quel lien entre ces deux décisions ?

L’absence de renouvellement de contrats de gestion, en bonne et due forme, pendant 10 ans est symptomatique des relations entre l’Etat et ses entreprises ferroviaires. Pour bien interpréter le psychodrame de février entre la SNCB et le Ministre de tutelle, il est important de comprendre que la SNCB et Infrabel sont presqu’en roue libre depuis une décennie. Elles appliquent leurs propres stratégies sous la tutelle peu contraignante de l’Etat, qui les a bien souvent laissé agir à leur guise tout en réduisant leurs financements.

Le contrat de gestion 2008-2012 est obsolète au niveau de la plupart de ses objectifs. La société a évolué, la crise climatique s’est accentuée. Le résultat est problématique : la SNCB et Infrabel frayent leur chemin en gérant d’année en année leurs activités sans vision politique à long terme. Renouveler un contrat de gestion, c’est fixer de nouveaux objectifs de service public aux deux entreprises. Le maintien des guichets aurait pu être un de ces impératifs fixés par l’Etat. On ne saura jamais si des contrats de gestion plus récents auraient permis d’éviter ces fermetures.

C’est aussi une histoire de gros sous : les impératifs budgétaires imposés par les gouvernements successifs sont tels que le rail belge n’a eu d’autre choix que de rationaliser certaines activités pour en maintenir ou accroître d’autres. Aussi, la SNCB applique, depuis des années, le choix de réduire ses coûts par la digitalisation de la vente de ses produits : généralisation des automates, ventes en ligne. La présence de guichets ne cesse de s’estomper dans le paysage belge. Le tardif sursaut du Ministre Gilkinet en février n’y changera rien. 

En conclusion, la fermeture des guichets, mais également le retard abyssal des travaux du RER bruxellois, sont le résultat d’un manque d’ambition et de vision politique pour le rail aggravé par des restrictions budgétaires qui imposent aux entreprises ferroviaires de faire des choix pouvant s’avérer défavorables aux voyageur.euses.

Il est temps de se poser les bonnes questions. Que voulons-nous pour nos guichets ? Que voulons-nous pour nos gares ? Quelle ponctualité souhaitons-nous pour nos trains ? Quelle qualité de service attendons-nous du chemin de fer en Belgique ? Quelles lignes voulons-nous conserver ou réactiver ? Voulons-nous que les transports publics constituent une alternative crédible à l’automobile ? Comment organiser efficacement l’intermodalité entre les différents modes de déplacements ? Ne faut-il pas imaginer d’ici à 20 ans un doublement de l’offre de transport ferroviaire en termes de fréquence et d’amplitude pour prendre des parts de marché à la voiture ? Comment nos gares pourront-elles accueillir un flux de voyageur·euses beaucoup plus important ?

Un réinvestissement du rail au niveau fédéral ?

Mais, ça bouge ! Le nouveau gouvernement fédéral a pris la mesure de l’importance du chemin de fer pour la mobilité durable en Belgique. Un réinvestissement dans le rail est à l’ordre du jour tant dans les projets qu’au niveau des finances. L’urgence climatique sert d’aiguillon : le train apparaît comme un moyen de transport de l’avenir en termes d’émissions de CO2. Le plan de relance européen va d’ailleurs dans ce sens avec un tiers du budget fédéral dévolu au rail. 

On trouve des signaux positifs tant dans l’accord de gouvernement 2 que dans la note de politique générale présentée à la Chambre des représentants en novembre 2020 par le Ministre fédéral de la Mobilité 3

Accord de gouvernement : « Le rail a besoin d’un pilotage et d’une vision à long terme de ce que devra être le service ferroviaire en Belgique. Le SPF Mobilité et Transports, soutenu par Infrabel, la SNCB et les différentes parties prenantes, comme les entreprises de transports régionales, développeront une vision du service et de l’exploitation attendue d’ici à 2040. Cette vision sera basée sur des objectifs ambitieux en termes de part modale et visera notamment le développement d’un système intégré de transports publics. La vision 2040 sera prise en compte par la SNCB et Infrabel dans la planification de leurs investissements ».

 « Cela impliquera plus particulièrement de nouveaux financements pour mettre la SNCB et Infrabel en état de procéder aux investissements nécessaires à un transfert modal durable ». 

Note de politique générale: « Il est de la responsabilité de l’État de donner des orientations claires à Infrabel et à la SNCB quant aux prestations attendues des entreprises publiques autonomes ».

« Nos concitoyens et les entreprises utilisatrices du rail ne demandent pas plus de béton ou plus de rails, ils veulent avant tout plus de trains, fiables et ponctuels. De quoi avons-nous réellement besoin pour garantir à terme la circulation de trains toutes les demi-heures sur les différentes lignes du pays, et toutes les 10 minutes dans le cœur des grandes agglomérations? Qu’est-ce qui est réellement requis pour doubler les volumes de marchandises sur le rail d‘ici à 2030? ».

Nous retrouvons dans ces différentes déclarations des thèmes portés par IEW et le Comité Consultatif des Voyageurs Ferroviaires (CCFV). Point d’importance : on y trouve la définition d’une vision pour 2040 basée sur le développement des chemins de fer comme ossature d’un réseau intégré de transports publics. Ce système, qui a fait ses preuves en Suisse (champion d’Europe en la matière), est basé sur des nœuds de correspondance permettant des transferts efficaces entre trains, bus, vélo et autres moyens de déplacements. Nous vous présentions déjà ce modèle dans une nIEWs en 2017.

Cette avancée pourrait être majeure. Elle doit encore être confirmée : vient d’être lancée « une étude de faisabilité technique et budgétaire de l’application progressive, à l’horizon de 2040, du cadencement sur le réseau ferroviaire autour de nœuds de correspondance, couplée à l’ajustement des horaires avec les autres modes de transport public gérés par les Régions ». 

IEW est confiant puisque l’initiative citoyenne « Integrato » a déjà publié une étude qui montre que le transport public intégré autour de nœuds bien choisis peut être appliqué au réseau ferroviaire belge. Consultez leur site pour plus d’informations.

Cette vision devra être traduite en objectifs concrets dans les nouveaux contrats de gestion qui seront établis entre l’Etat d’une part et la SNCB et Infrabel d’autre part. Après une attente de plus de dix ans, réjouissons-nous de voir émerger une ligne directrice claire sur le long terme pour les entreprises publiques. Les deux gestionnaires du rail belge pourront dorénavant planifier leurs investissements sur un temps long au service d’un projet qui met le voyageur au centre du service ; temps long qui s’avère nécessaire quand on parle d’investissements dans le secteur ferroviaire, le RER bruxellois en est un bon exemple (enfin, mauvais pour le coup). 

Par ailleurs, des mécanismes se mettent en place pour améliorer la coordination entre Infrabel et la SNCB, primordiale pour la ponctualité des trains. On parle, entre autres, d’une grande première : l’inscription dans les contrats de gestion des deux entités d’un objectif commun de 92% de ponctualité à atteindre. 

Contrats de gestion : début des négociations entre le Fédéral, la SNCB et Infrabel

Le 02 avril, le Ministre fédéral de la Mobilité a rendu public les « spécifications préalables des objectifs, de l’objet et du périmètre des futurs contrats de gestion» de la SNCB et d’Infrabel » 4. Quèsaco ? Pour faire simple, ce sont des documents rédigés par le gouvernement qui définissent les grands axes des négociations à venir entre l’Etat et les deux entreprises publiques en vue de la conclusion des fameux contrats de gestion 5. Il est important de préciser que ces contrats seront contraignants et que des pénalités seront définies en cas de non respects de certaines missions de service public. 

« La concession de services publics a pour objectif de renforcer l’accessibilité du territoire par des services de chemin de fer efficaces, attractifs et sûrs constituant l’épine dorsale des transports publics en Belgique. Elle contribue à un report modal significatif vers le train et, incidemment, vers les transports publics et les modes actifs. Une mobilité durable sera ainsi à la portée du plus grand nombre ». 

L’ambition précédemment présentée par le Gouvernement se confirme. Reste à savoir si la SNCB et Infrabel y trouveront leur compte et joueront le jeu du renouveau jusqu’au bout ! Un blocage n’est en effet pas à exclure car cette vision inclut un vrai changement de paradigme pour les deux sociétés publiques tout en constituant une magnifique opportunité de redéploiement. Pour schématiser, l’habitude est de faire passer des trains où l’infrastructure le permet. Pour la première fois, il est question de définir une vision ambitieuse puis d’effectuer les travaux nécessaires à son application progressive pendant les 20 prochaines années. 

Un processus de négociations et de consultations va maintenant s’entamer entre les différentes parties avec pour obligation d’aboutir en 2022. La société civile sera largement consultée. IEW et d’autres associations spécialisées en mobilité et environnement sont, d’ores et déjà, invitées à faire part de leurs points d’attention. Cette volonté participative est à souligner. Le secteur environnemental souhaite que les contrats permettent de mettre sur pied un système de transports publics conçu comme une alternative crédible et fiable à la voiture. Quelques avancées allant dans ce sens :

  • La confirmation de la mise en place d’une vraie vision de mobilité durable centrée sur un système de transport public intégré.
  • Un meilleur service aux usagers : temps de parcours acceptables, correspondances fiables, informations en temps réel, tarification simple, gares agréables avec des services variés…
  • La redéfinition de l’offre de train : un train toutes les demi-heures doit devenir la norme sur la plupart des lignes, augmenter l’amplitude horaire avec plus de trains tôt le matin, en soirée et les week-ends.
  • Convaincre les gens de choisir les transports publics en leur facilitant la tâche : un tarif, un billet, une source d’information unique pour tous les transports publics.
  • Réinvestir dans les liaisons transfrontalières : services actuellement trop rares et de mauvaise qualité.
  • Une accessibilité totale et autonome aux gares, aux quais et aux trains pour tous les usagers : PMR, malvoyants, familles, vélos… 
  • Renforcer la ponctualité et assurer le retour à la maison en cas d’incident ou correspondance manquée.

Les attentes autour de ces contrats de service public et de performance sont grandes ! Même la chambre des représentants s’y est mise puisqu’elle a adopté une résolution en 10 points demandant au gouvernement fédéral d’imposer à la SNCB plusieurs obligations concernant une combinaison train/vélo plus efficace et plus attrayante 6

Nous ne manquerons pas de revenir vers vous pour analyser le contenu des contrats dès qu’ils seront finalisés. 

Où en est la libéralisation européenne du trafic des voyageurs ?

L’Accord de Gouvernement stipule aussi que la mission de service public d’opérateur du transport de personnes par chemin de fer dans notre pays sera attribuée directement à la SNCB pour la période 2023-2033. Cela signifie que la SNCB restera le seul opérateur subventionné pour le transport national de passagers. Cette décision politique devrait consolider l’entreprise publique dans un contexte de libéralisation progressive du rail européen 7. Toutefois, il ne sera plus possible de repousser la libéralisation des lignes intérieures au-delà de 2033 sauf inflexion dans la politique européenne. 

La SNCB peut donc continuer à mettre à profit les prochaines années pour améliorer ses prestations afin de faire face à la future concurrence d’autres opérateurs. La mise en place d’un service efficace centré sur le voyageur est donc primordiale pour la survie même de l’entreprise publique. Concevoir un projet de mobilité solide pour la population belge, c’est aussi préparer l’avenir de la SNCB et d’Infrabel ainsi que leurs milliers de travailleurs.

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  1. Pour rappel, la SNCB unitaire n’existe plus. Infrabel est le gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire tandis que la SNCB s’occupe du transport de voyageurs par chemin de fer en Belgique.
  2. Accord de Gouvernement, 30 septembre 2020
  3. Chambre des représentants de Belgique : note de politique générale Mobilité, 12 novembre 2020
  4. Vous trouverez les spécifications sur ce site : https://mobilit.belgium.be/fr/traficferroviaire/financement/contrats_de_gestion
  5. Contrats renommés pour l’occasion : contrat de service public pour la SNCB et contrat de performance pour Infrabel.
  6. Article du GRACQ publié le 22 avril 2021.
  7. Libéralisation du fret ferroviaire en 2007, libéralisation du transport international de passagers en 2010. Depuis décembre 2020, tout opérateur ferroviaire agréé peut, pour la première fois, faire une demande de sillon en vue de transporter des voyageurs sur le réseau ferroviaire belge (mais sans aide publique). A partir de décembre 2023, ces opérateurs pourront prétendre à la mission de service public ainsi qu’aux dotations publiques sauf en cas d’attribution directe à un exploitant pour 10 ans sans recours à une procédure de mise en concurrence, la SNCB dans le cas de la Belgique.

Denis Jacob

Mobilité