L’électrification en Wallonie, une opportunité à maîtriser

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La guerre en Ukraine et les prix de l’énergie nous invitent à prendre en main nos consommations d’énergie et d’électricité. Mais que pouvons-nous faire pour maîtriser cette consommation d’électricité quand la transition énergétique prévoit l’électrification de la mobilité, du chauffage et de l’industrie ? L’ efficacité énergétique sera-t-elle suffisante ou doit-elle s’accompagner de sobriété pour éviter l’effet rebond ? Après avoir abordé la question à l’échelle d’un ménage, nous le faisons à présent à l’échelle de la Wallonie et de l’Europe.

L’électricité, moins de 20% de notre consommation d’énergie aujourd’hui

Les débats sur le nucléaire et la sécurité d’approvisionnement nous le font presque oublier : en Wallonie, l’électricité c’est moins de 20% de notre consommation finale d’énergie (CF), avec environ 23 TWh/an actuellement. Toute l’énergie restante provient principalement des combustibles fossiles (pétrole, gaz naturel, charbon) et dans une bien moindre mesure des renouvelables (bois, pellet, biogaz et biocarburant). Nous utilisons ces combustibles pour le transport des personnes et des marchandises (36,7 TWh en 2018), le chauffage résidentiel et tertiaire (35,2 TWh en 2018) et la chaleur industrielle (33,6 TWh en 2018). Le vrai enjeu de la transition énergétique est donc de remplacer ces combustibles fossiles émetteurs de CO2.

Figure 1 L’électricité représente moins de 20% de notre consommation d’énergie finale.

L’industrie, puis le résidentiel et le tertiaire

Depuis plus de 30 ans en Wallonie, l’industrie est le principal consommateur d’électricité. En 2018, elle totalise 10,1 TWh, soit 43% du total des 23,4 TWh. Viennent ensuite le résidentiel en tendance baissière et le tertiaire en augmentation, tous deux aux alentours de 6 TWh. Rappelons que le tertiaire couvre les commerces, banques et assurances, mais aussi les écoles, les administrations, la culture et les centres sportifs. Les consommateurs résiduels d’électricité en consomment peu : le transport avec seulement 0,6 TWh et l’agriculture encore moins (<0,1 TWh).

Figure 2 – Evolution des consommations d’électricité en Wallonie.

La consommation d’électricité va augmenter, mais l’énergie totale va diminuer

Question au cœur de nombreux débats : quelle quantité d’électricité allons-nous consommer à l’avenir ? Un enjeu de la transition énergétique est en effet d’être plus efficace en électrifiant la mobilité, le chauffage et certains procédés industriels. La consommation d’électricité va donc augmenter, tout en diminuant notre consommation d’énergie totale.

Illustrons cela à l’échelle européenne, plus appropriée pour discuter l’évolution de notre mix énergétique et électrique. Actuellement, en Europe des 28 (UK inclus), l’électricité représente 23% de la consommation finale d’énergie, qui s’élèvait à 13.800 TWh en 2018. Pour 2050, le transporteur belge d’électricité, Elia, a développé deux scénarios « 100% renouvelable » instructifs, basé sur l’amélioration de l’efficacité énergétique.

Figure 3 – Pour l’Europe des 28 (incluant la Grande-Bretagne), mix de consommation finale d’énergie en 2018, mesurée, et estimée en 2050 par Elia, selon deux scénarios exclusivement basés sur l’efficacité technique : « MOL » pour Molécule Verte et « ELEC » pour Electrification maximale.

Le scénario « MOL » recourt grandement aux « molécules », c’est-à-dire les carburants alternatifs de synthèse (ou « efuels ») comme l’hydrogène, l’ammoniac ou le méthanol. Ce scénario induit des pertes d’énergie importantes, non seulement à la synthèse de ces carburants à partir d’électricité renouvelable (30 à 50% de perte), mais aussi à leur combustion dans des moteurs de véhicules ou de grandes centrales électriques (50 à 70% de perte). L’électrification y serait de 45% en 2050 avec une consommation finale totale de 9.400 TWh/an.

Le scénario « ELEC » est quant à lui basé sur une électrification plus importante (70% en 2050) de la mobilité, du chauffage (par pompe à chaleur) et de certains procédés industriels. Ce scénario a l’avantage de minimiser les pertes pour synthétiser et consommer les carburants alternatifs, ce qui explique pourquoi nos besoins peuvent être assurés avec 15% d’énergie en moins par rapport au scénario MOL, à savoir 8.000 TWh/an.

L’effet rebond ?

Les hypothèses utilisées dans les scénarios présentés de Elia sont exclusivement basées sur l’efficacité technique (isolation, voiture électrique, pompe à chaleur, électrification industrielle), ciblée par la nouvelle proposition de directive de l’Union Européenne (Energy Efficiency Directive), à savoir -36% de CF en 2050 p/ 2007. Cette vision européenne n’intègre cependant pas l’effet rebond.

L’effet rebond, c’est cette incroyable tendance humaine à gaspiller un bien, un service ou une technologie dès qu’ils coûtent moins cher, consomment moins ou sont plus faciles d’accès : le nombre d’équipements d’éclairage a explosé avec les LED, l’amélioration des moteurs d‘avion a entrainé la diminution du prix des vols et augmenté leur nombre… Ainsi, malgré une amélioration relative de la consommation d’une innovation, son adoption à grande échelle augmente la consommation absolue, en permettant à plus de consommateurs d’accéder au bien ou au service, inversant l’effet attendu. C’est d’ailleurs une des critiques au déploiement de la 5G et de la digitalisation : entrainer une augmentation nette de consommation d’électricité, malgré une consommation « relative » réduite par GB transféré.

Activer la sobriété en plus de l’efficacité, pour éviter l’effet rebond

Au vu de l’effet rebond, l’efficacité technique des équipements ne sera certainement pas suffisante pour atteindre les objectifs de réduction de consommation finale en Union Européenne. Elle doit donc absolument s’accompagner d’une politique de sobriété et d’une culture de la sobriété.

La sobriété est entendue ici comme les choix individuels ou les modifications de l’organisation sociale, qui ne sont pas de nature technique et permettent de réduire davantage notre empreinte. Ainsi la voiture électrique ou l’allégement de la voiture constituent des exemples d’efficacité technique. A l’inverse, des exemples de « sobriété » sont le prêt de voiture entre voisins, le carsharing, le transfert modal vers le vélo, la marche ou les transports en commun.

Dans les deux cas, des politiques publiques doivent canaliser l’effet rebond en conservant d’une part l’amélioration de l’efficacité technique (l’amélioration du moteur ne doit pas s’accompagner d’un alourdissement de la voiture ou d’une puissance accrue) et doivent promouvoir une organisation sociale et des comportements individuels sobres.

La menace de l’explosion du numérique

L’exemple phare d’effet rebond, c’est le développement du numérique, pourtant associé dans les politiques européenne et nationale à une opportunité de réduire les consommations d’énergie. Le développement du numérique, ou des « Technologies de l’Information et de la Communication » (TIC), c’est l’augmentation des contenus vidéos online, des objets connectés, des centres de données, des jeux vidéo. Non seulement, il faut des matériaux précieux pour fabriquer les équipements, mais en plus ils consomment de l’énergie. Une analyse exploratoire de Climact montre que le déploiement des TICs augmenterait de 1,3 en 2020 à environ 4 TWh/an en 2030 la consommation pour leur seule utilisation (en dehors de leur fabrication). La mise en œuvre d’une sobriété numérique est donc indispensable, option défendue par Justice et Paix.

Limiter la consommation des voitures électriques est possible

La voiture électrique va augmenter notre consommation d’électricité totale, c’est sûr ! Un calcul simple permet cependant d’évaluer que celle-ci n’augmenterait « que » de 31% à « parc constant ». Si nous reprenons le bilan 2010 de l’ICEDD, le carburant pour le transport de personne s’élève à 21 TWh/an. En postulant une consommation de 6L/100 km pour les véhicules thermiques d’alors et de 20 kWh/100 km pour les véhicules électriques de format similaire demain, la consommation d‘énergie est réduite par 3 à seulement 7 TWh. Ce scénario est à nombre constant de voitures, à km constants (14.800 km/an) et à « cylindrée similaire ».

Cependant, deux mesures permettraient de limiter cette augmentation d’électricité.

La première est de promouvoir de manière assumée la « LISA car » ou Light and Safe Car. Limiter la puissance, la taille et la vitesse des voitures permettrait en effet de réduire la consommation à seulement 10 kWh/100 km, limitant l’augmentation d’électricité à 3,5 TWh pour l’électrification des véhicules !

Plus importante, la 2e est d’appliquer le Stratégie Régionale de Mobilité et le principe « Stop Béton »: le développement des alternatives en transport en commun, en pistes cyclables et en aménagement du territoire permettrait de diminuer le nombre de voitures et le nombre de km parcourus au total tout en bénéficiant d’une mobilité attractive. L’intérêt est triple : maîtriser encore plus la consommation d’électricité, libérer de l’espace de qualité en ville et à la campagne, et aussi diminuer notre dépendance aux métaux précieux et réduire ainsi notre impact environnemental, grâce à une moindre quantité de batteries, d’éoliennes et de panneaux photovoltaïques.

Figure 4 – En Wallonie en 2018, comparaison de l’énergie consommée sous forme électrique, avec la quantité de carburant pour voiture à essence et diesel (bilan ICEDD 2010) et estimation de la quantité d’électricité qui serait consommée avec un parc automobile électrifié « constant » (nombre de véhicules et de km/véhicule), pour une cylindrée similaire ou des « LISA car » efficaces.

La pompe à chaleur électrique, une solution mais qui consomme en hiver

Faisons un exercice similaire pour le chauffage par pompe à chaleur (PAC). En Wallonie en 2018, les chauffages résidentiel (14,4 TWh/an) et tertiaire (6,7 TWh/an) consomment au total 21,1 TWh/an, ce qui est proche de la consommation finale d’électricité.

La pompe à chaleur électrique fonctionne à l’inverse d’un frigo : elle prélève de la chaleur dans l’air extérieur de la maison et l’injecte à l’intérieur moyennant une consommation d’électricité. Une PAC « Air » prélève cette chaleur dans l’air extérieur. Cet air étant très froid en hiver, par exemple 0°C, le rendement n’est pas très bon : le « Coefficient of Performance » ou CoP est dit de 3, voire 2, au cœur de l’hiver : pour chaque kWh consommé par la PAC, 3 à 2 kWh sont injectés dans la maison.

Par contre, avec une PAC eau « géothermie », la chaleur est prélevée dans un circuit d’eau qui circule dans le sol, qui est plus chaud que l’air en hiver. A quelques mètres du sol, on atteint 4 à 6°C, à 100 mètres de profondeur l’eau revient avec une température de 14°C. Dans ce cas, le CoP est bien meilleur, atteignant jusqu’à 4,8 au creux de l’hiver, soit 4,8 kWh injecté dans la maison pour 1 kWh électrique consommé, comme montré par l’excellente étude comparative de 17 PAC réalisée par la Région Flamande.

Par conséquent, toute la chaleur nécessaire pour chauffer nos logements et les bâtiments tertiaires publics et privés se situerait entre 4,4 et 7,0 TWh en fonction du mix de PAC mis en place et ce sans isoler aucun bâtiment. Si l’ensemble des bâtiments son isolés, on peut encore espérer diviser par 2 ou 3 (en fonction de la profondeur de la rénovation) la quantité d’électricité nécessaire pour alimenter les PAC..

Figure 5 – Evolution de la consommation d’électricité et d’énergie en cas de déploiement complet de la Pompe à Chaleur (PAC) électrique, par rapport à l’électricité totale consommée en Wallonie et aux carburants actuels de chauffage.

Bien entendu, avec une mise en œuvre complète de la Stratégie Régionale de Rénovation, donc une isolation massive, ce besoin de chaleur pourrait encore diminuer d’un facteur 3 à 4. De manière plus réaliste, le chauffage de demain sera probablement une combinaison de PAC et de chaudières à carburants synthétiques renouvelables qu’ils soient gazeux ou liquides.

Enfin, les PAC électriques posent un enjeu : elles consomment en hiver une électricité qu’il est  impossible de stocker dans des batteries rechargées en été (il en faudrait beaucoup trop). L’électricité qu’elles consomment doit donc être produite en hiver, par une combinaison d’éolien terrestre et maritime, en plus de centrales à carburants synthétiques renouvelables comme l’hydrogène ou l’ammoniac.

Favoriser le prix de l’électricité, tout en assurant une transition juste

Pour le citoyen en Wallonie, en fonction des contrats, le prix de l’électricité est d’environ 30 cents/KWh, tandis que le gaz et le mazout sont entre 5 à 10 cents/kWh, et le carburant de voiture à 16-20 cents/kWh.

Si, comme nous l’avons vu, l’électrification apporte de grands avantages pour réduire la consommation d’énergie, il faut que les prix favorisent les équipements électriques. De plus en plus d’acteurs réclament une réforme de la fiscalité qui favoriserait l’électricité et dissuaderait les combustibles fossiles. L’Europe envisage à ce propos d’élargir son système de quotas carbone « ETS » aux combustibles et carburants utilisé dans le transport routier et les bâtiments à partir de 2026, ce qui aurait un impact direct sur le portefeuille des citoyens.

Tout l’enjeu est de réaliser cette transition pour qu’elle soit suffisamment incitative et juste socialement, en prenant soin des plus fragiles.

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Xavier Gillon

Énergie