L’urbanisme circulaire : vers un nouveau ménagement du territoire ?

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Il y a quelques mois, à l’occasion d’un article publié dans la newsletter Echelle Humaine et consacrée à la rénovation, j’avais rapidement fait le lien entre la construction circulaire du bâtiment, l’aménagement du territoire et le concept d’urbanisme circulaire comme perspective de changement vers un nouveau ménagement du territoire. Je vous propose de continuer à approfondir le sujet et à nous pencher sur les applications des principes de l’urbanisme circulaire et leur potentiel réel pour répondre à nos besoins d’ici 2050, voire plus.

Partant des postulats

  1. qu’il n’y a pas d’aménagement du territoire sans construction,
  2. que le secteur de la construction a un bilan carbone conséquent :
  1. de même que notre façon d’aménager notre territoire :
    • L’étalement urbain provoque, chaque année, une augmentation des surfaces artificialisées, au détriment des terres agricoles, et des services écosystémiques rendus par les sols,
    • L’étalement urbain renforce la dépendance accrue à la voiture individuelle, au détriment des transports collectifs, ce qui a des effets directs sur les émissions de gaz à effet de serre en raison de la croissance des déplacements domicile-travail,
    • L’étalement urbain, par sa forme diffuse et peu dense, ne valorise pas la mitoyenneté comme moyen d’augmenter la performance énergétique des bâtiments,
  2. qu’à ces bilans, s’ajoute la raréfaction et l’épuisement des ressources, y compris foncières, l’effondrement de la biodiversité, la crise climatique, la transition énergétique, etc., nous comprenons que construire un bâtiment, aussi « durable » soit-il, sans penser à son emplacement n’a aucun sens. Nos 8 balises le soulignent d’ailleurs très bien.

Par ailleurs, considérant que, chaque année, en Occident, les constructions neuves ne représentent que 1 % du bâti existant, ce n’est pas avec la construction « durable » neuve que nous allons sauver la planète1.

« Construire durable, c’est aussi savoir ne pas construire. Le principal enjeu, c’est d’arrêter de détruire, pour plutôt réhabiliter massivement le monde déjà là » : nous n’aurions pas pu mieux le dire que Philippe Madec.

Il est urgent de changer de modèle d’aménagement du territoire et d’adopter un ménagement plus parcimonieux des ressources, y compris foncières, et de permettre la mise en place de nouveaux modèles d’urbanisation et de construction en vue de :

  • Préserver les ressources et fonctions non renouvelables des sols et des sous-sols, ainsi que leurs services écosystémiques et-, maintenir les terres agricoles, naturelles et forestières,
  • Consommer sobrement les ressources (du territoire aux matières premières indispensables à la construction) et avec la plus grande efficacité possible.

Autrement dit, les enjeux sont de réduire l’étalement urbain, jusqu’à ne plus s’étaler du tout – ni artificialiser les sols – et de construire moins (de neuf)2 et mieux.

L’application des principes d’économie circulaire au bâtiment

Bien que les limites de l’économie circulaire aient été brillamment démontrées par ma collègue Agathe Dufourny dans son article Ralentir la boucle, la réflexion sous-jacente à ce concept nous permet, a minima, de challenger notre conception de la fabrique de la ville.

« L’urbanisme circulaire est un modèle alternatif inspiré des principes de l’économie circulaire appliqués à la fabrique de la ville. C’est un appel à inverser les priorités en allant chercher la réponse à nos besoins de développement urbain dans l’emprise de la ville déjà là. Les boucles de l’urbanisme circulaire sont donc des alternatives à la consommation de nouveaux sols naturels ou agricoles. »

Les grands principes de l’économie circulaire sont :

  • Partage et mutualisation des ressources et des biens,
  • Maintenance et réparation,
  • Conception écologique, c’est-à-dire en prenant en compte toutes les étapes du cycle de vie et en portant une attention particulière au choix des matériaux et composants,
  • Favoriser le réemploi (démontabilité, déconstruction sélective, réparabilité, etc.),
  • Réutilisation des biens,
  • Recyclage – si pas d’autres « meilleures » options possibles.

Ils peuvent aussi bien s’appliquer à un bien de consommation courante, qu’à la conception d’un bâtiment ou d’un lieu et même à l’aménagement du territoire.

C’est également le cas de l’échelle de Lansik.

L’échelle de Lansik doit servir de guide/d’aide à la décision.
Repenser & éviter : le besoin auquel je veux répondre nécessite-t-il un nouveau bâtiment/un bâtiment pour son seul usage ? Ce besoin est-il ponctuel ou pérenne ? Le bâtiment peut-il être temporaire ?
Prolonger & réemployer : Y a-t-il un bâtiment sur mon territoire qui peut répondre à ce besoin ? Doit-il être rénové/transformé/adapté ?
Optimiser & recycler : Y a-t-il un terrain/bâti qui peut être recyclé pour cet usage (avec déconstruction sélective, récupération de matériaux de réemploi, etc) ? Est-ce que le choix d’emplacement est le plus judicieux possible (accessibilité en mobilité active et collective, impact sur les activités existantes, intégration dans le paysage bâti et non-bâti, santé des sols, etc) ?  
Répondre à ces questions devrait nous amener à ne plus artificialiser et moins (=ce qui est vraiment nécessaire) et mieux construire (éco-conception des bâtiments, attention aux choix des matériaux (bio-sourcés, locaux, de réemploi, etc.), attention à la modularité et à la réversibilité, etc.)

« La circularité doit prendre une nouvelle place dans la manière de fabriquer les espaces urbains en se présentant comme un intermédiaire entre la démolition et la conservation, et offrir la possibilité de transformer la ville sans en faire table rase. »

Vers l’urbanisme circulaire : exemple d’applications

© Sylvain Grisot, Dixit.com

Nos deux enjeux établis (« moins artificialiser, jusqu’à ne plus artificialiser du tout » et « moins (de neuf) et mieux construire »), en appliquant les concepts de l’urbanisme circulaire : questionner la nécessité, intensifier, transformer, densifier, recycler, nous nous proposons de répondre à ces deux questions :

  • Où trouver des mètres carrés sans construire (du neuf) ?
  • Où construire sans artificialiser/étaler la ville ?

Où trouver des mètres carrés sans construire (du neuf) ?

  • En remettant sur le marché les bâtiments inoccupés : logements inoccupés, celluless commerciales vides, bureaux, espaces vacants dans les parcs d’activité économique, gares désaffectées, églises abandonnées, etc. Sachant qu’à lui seul le parc de logements inoccupés en Wallonie s’élèverait à 100 000 unités, le stock cumulé de cette liste non-exhaustive devrait être un gisement conséquent. Leur remise sur le marché peut s’accompagner d’un changement d’usage : des cellules commerciales vides pourraient devenir des bureaux, des ateliers, des logements, etc.
  • En réduisant la sous-occupation du bâti et des lieux, grâce à l’intensification et la mutualisation de leur usage : grâce à la chronotopie, c’est-à-dire, l’accueil de différentes fonctions au sein d’un même espace en fonction des temporalités. Un exemple bien connu d’espace chronotopique sont les académies de musique qui prennent place dans les écoles en fin de journée, ou encore, dans l’espace publique, la place communale qui accueille le marché hebdomadaire, le stationnement, le banquet/la fête du village, la déambulation et les temps de jeu et de pause pour certains usagers etc. Cette utilisation chronotopique peut se faire :
    • En simultané : un même espace peut remplir plusieurs fonctions grâce à la mixité des fonctionnalités. Il s’agit par exemple de mélanger logement, artisanat et commerce dans un même bâtiment.
    • En rotation : un espace peut remplir différentes fonctions à différents moments. Cela permet une certaine « malléabilité urbaine », avec par exemple, un espace où des gens circulent en journée et qui se transforme en parking pendant la nuit.

Des espaces peuvent également faire l’objet d’une mutualisation. Nous pensons par exemple, aux buanderies dans des logements collectifs, aux garages à vélos dans les quartiers, etc.

  • En remettant en perspective notre idée de « une maison pour la vie » : la proposition est clivante mais nécessite d’être posée. Nos maisons familiales passent une partie de leur cycle de vie en état de sous-occupation3 : avant l’arrivée des enfants et, surtout, après leur envol du nid familial. Une solution pour passer ses vieux jours dans son logement sans déménager est de diviser les logements : soit structurellement, en transformant l’espace en logements distincts, soit culturellement, via la colocation, en devenant un logement-kangourou ou un habitat intergénérationnel.

Si les nouvelles maisons unifamiliales qui vont « sortir de terre » à partir de 2023 intégraient dès leur conception la possibilité d’une transformation modulaire pour favoriser l’adaptation et la division des maisons, le processus n’en serait que plus facile.

Outre la division des logements, favoriser le déménagement des personnes vers des logements à la taille plus adaptée et « libérer » ainsi des maisons nécessaires aux familles est évidemment également nécessaire.

Où construire sans artificialiser/étaler la ville ?

  • En valorisant – à juste escient et avec discernement – le potentiel foncier existant dans certains espaces : les dents creuses, les friches, les interstices, les fonds de jardin (selon le modèle Build In My BackYard, aussi connu sous l’acronyme BIMBY). Le modèle BIMBY, connu outre-Atlantique sous l’appellation « granny flats », émerge de plus en plus dans nos Régions. En France, le modèle fait son petit bonhomme de chemin et plusieurs communes ont adopté le « Bimbyisme » avec succès. A quand des tests en Wallonie ?
  • En favorisant la rénovation et réhabilitation du bâti déjà-là, avec ou sans changement d’usage : parfois des bâtiments deviennent « obsolètes », leur usage premier périclite ou menace de péricliter. Des gares aux églises en passant par les bureaux : certains bâtiments peuvent se transformer en lieux de vie extraordinaires. C’est le cas de l’église désacralisée Sainte Marguerite à Tournai, qui après de longues années de désaffectation, accueille désormais 4 logements en son sein. Parfois, certains bâtiments peuvent paraitre « obsolètes » ou désuets au point qu’une démolition est envisagée. C’était le cas d’une impressionnante barre à appartements moderniste, deFlat Kleiburg, située à Amsterdam et sauvée de peu par un consortium convaincu qu’une réhabilitation de l’immeuble était possible. L’opération de rénovation a été menée avec la participation des habitant.e.s et futur.e.s habitant.e.s et a permis une réhabilitation pertinente de l’ensemble.
  • Via l’extension verticale ou horizontale du bâti déjà-là : pour augmenter la taille du bâti et permettre, via division, la création de nouveaux logements.
  • En recourant à l’architecture éphémère : certains besoins sont ponctuels (une exposition extraordinaire, un salon ou festival thématique, etc) et l’architecture éphémère est alors une solution idéale. Le Grand Palais Ephémère à Paris est un très bel exemple d’installation éphémère.
  • En dernier recours, quand le bénéfice (une augmentation significative du nombre de logements, par exemple) excède le coût environnemental de la démolition, et après avoir procédé à un inventaire des matériaux réemployables et recyclables, en envisageant une opération de démolition-construction neuve.

Ces idées sont très inspirantes mais la question qui brûle toutes les lèvres est de savoir si ces stratégies seront suffisantes pour répondre aux besoins d’ici 2050 ?

En matière de production de logements : la réponse est OUI, selon la recherche « Recyclage urbain et exploitation optimale du stock bâti et du foncier artificialisé » menée par la CPDT :

Cinq scénarii de densification ont été étudiés (nouvelles constructions sur terrains déjà artificialisés, extension horizontale d’un bâtiment existant, extension verticale d’un bâtiment existant, démolition-reconstruction, division de logements existants).
©CPDT – Intersoil 2022
Le potentiel en termes de surface de terrains ou de surfaces plancher disponibles est converti en un nombre de logements potentiels, déterminé par des critères de densité en fonction du contexte bâti. Les résultats sont déclinés en fonction de la localisation du potentiel sur le territoire de manière à mettre en évidence le potentiel idéalement situé par rapport à la proximité aux services de base et à l’offre en transports en commun.
©CPDT – Intersoil 2022

Le but de la rechercher était « d’évaluer dans quelle mesure nous disposons de suffisamment de potentialités pour produire du logement sans artificialiser de nouvelles terres » et la conclusion est que « il s’avère, du point de vue théorique et sans dénaturer le tissu bâti existant, que des hypothèses de densification douce permettent de rencontrer les besoins en matière de logement pour les 50 prochaines années et même au-delà. 

  • Le potentiel est important même si on se limite aux zones proches de services et d’arrêts de transport en commun.
  • En moyenne, les communes peuvent augmenter leur parc de logements de 20 % via les modes analysés.
  • L’analyse ne prend pas en compte toutes les formes de production de logements sans artificialisation (ex. conversion de bâti économique en résidentiel), ni l’optimisation de l’utilisation du bâti existant sous-occupé. »

Alors bien sûr, nous n’avons pas abordé les freins et leviers à la mise en application de ces stratégies. Si les outils d’aménagement du territoire en cours de révision tels que le CoDT ou encore les schémas (SDT, SDC, etc) vont orienter le freinage de l’étalement urbain – ce dont nous nous réjouissons -, pour qu’un nouveau ménagement du territoire soit adopté, il faudra travailler sur d’autres piliers. Tant qu’il est plus facile sur les plans réglementaire, fiscal et financier, de construire sur « terrain neuf » plutôt que de privilégier l’urbanisme circulaire, la fin de l’étalement urbain ne sera pas pour demain…

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  1. Philippe Madec, Mieux avec moins, Editions Terres Urbaines, 2022
  2. La construction d’une maison neuve nécessite en moyenne entre 200 et 400 tonnes de matériaux, soit environ 40 fois plus de matériaux qu’une rénovation.
  3. Ainsi, est considéré comme sous-occupé un logement comportant un nombre de pièces habitables supérieur de plus d’un au nombre de personnes y ayant leur résidence principale.