Maudits mandats

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La relation Prince-Scribe remonte aux plus anciennes civilisations, et l’histoire n’a pas fondamentalement changé sa nature. (…). Si l’un et l’autre se distinguent par leur sagesse, nos sociétés sont admirablement gouvernées. Le Prince sait alors que son Scribe peut être expert et loyal à la fois. (…) Son avis lui sert toujours, même lorsqu’il ne le suit pas, car il l’aide à mûrir ses décisions. Hélas, il arrive que le suffrage universel, comme la succession héréditaire d’autrefois, installe un Prince sot. L’idée même d’une expertise loyale dépasse son entendement. Aussi s’entoure-t-il comme il peut. Sa sottise le rend plus vulnérable que quiconque à la flatterie. Ainsi se constituent les nuées de courtisans. (…)
Nous, électeurs, avons le Prince que nous méritons. A nous de l’écarter, si nous le jugeons bon (…). Que peut faire le Scribe face à la sottise d’un Prince ? Le remercier, de ne l’avoir pas gardé à son service.

Philippe Doucet, sur http://www.vieillechaussette.be

On va dépolitiser disaient-ils. Pour dynamiser les administrations, les rendre performantes et attentives aux besoins des citoyens, le Gouvernement wallon a eu, sous la législature précédente déjà, l’idée de mandater tous les hauts fonctionnaires, entendez les Secrétaires généraux[[Ceux-ci dirigent tout un Ministère. La Région en avait deux, le MET et le Ministère de la Région wallonne regroupant des Directions telles les Ressources naturelles et l’environnement, l’Aménagement du territoire, le logement et le patrimoine, les Pouvoirs locaux, l’Economie et l’emploi etc.. La restructuration liée aux décision prises par le Gouvernement ce 24 juillet prévoit le regroupement de ces deux ministères, il ne restera donc qu’un seul Secrétaire général en Région wallonne.]], les Directeurs généraux et les Inspecteurs généraux. Mandater ? Késako ? Cela signifie, chers amis, qu’au lieu de conserver leur chaise, leur bureau et leur statut, ce hauts fonctionnaires sont désormais périodiquement nommés par le Gouvernement, ce qui devrait éviter les incompatibilités d’humeur entre Ministres et grands commis de l’Etat.
Car enfin, il en va des fonctionnaires comme du carrelage des cuisines ou du papier peint du salon : vous ne voudriez tout de même pas qu’on réutilise ceux qui ont servi aux précédents locataires, non ? On ne vit bien qu’au milieu de ce qu’on a choisi, qu’il s’agisse de vaisselle ou bien de relations humaines. Surtout de relations humaines d’ailleurs, ceux qu’on a choisi présentant le double avantage d’être plus susceptible de nous plaire, d’une part, et d’autre part d’être priés de le faire puisque, nommés par nous, ils y ont tout intérêt.

En outre, on ne gagne rien à conserver des hauts fonctionnaires qui ont déjà beaucoup servi. Ayant souvent le caractère forgé par des années de pratique, ils sont peu plastiques et enclins à donner de la voix. Certes ils peuvent se prévaloir d’une excellente connaissance de la matière et d’une grande expérience, mais ce sont des managers qu’on demande, et le managment n’a rien à voir avec la connaissance de la matière. Cette dernière permettrait seulement de mesurer les enjeux des décisions qu’on prend, et si il faut se tracasser avec ce genre de soucis on n’en sortira jamais, car l’urgence des décisions, qui va croissant avec le temps, ne s’accommode guère des réflexions préalables ; et le monde allant vite, il est aussi changeant, ce qui rend l’expérience superfétatoire puisque sans objet.
Neuf donc, et f.f. si possible (cela coûte un peu moins cher), le haut fonctionnaire offre bien plus d’attraits. Certes il vieillira aussi, acquérra à son tour de l’expérience et se forgera le caractère ; il suffira alors de le remplacer, et pour cela, préalablement, de le jeter. Comme une vieille chaussette.

Www. vieillechaussette.be, c’est désormais un site web. Un site créé par des fonctionnaires écoeurés de l’administration de l’aménagement du territoire, car leur directrice générale, Danielle Sarlet, a été jetée, quoiqu’ayant réussi les examens du Sélor, comme une vieille chaussette selon sa propre expression.

Directrice de l’administration de l’aménagement du territoire, du logement et du patrimoine depuis plus de vingt ans, Madame Sarlet est bien connue dans le petit monde wallo-wallon : connue pour sa compétence, pour la connaissance de sa matière et l’enthousiasme avec laquelle elle la traite, enthousiasme qui n’a jamais faibli ; connue pour avoir rénové une administration qui a un moment de son histoire, en avait bien besoin ; connue enfin, surtout, pour un franc-parler peu commun, peu soucieux de politique politicarde, mais doublé d’une réelle ouverture au débat : tout interlocuteur peut lui exposer sa pensée aussi vigoureusement qu’elle lui expose la sienne. Parmi ceux qui pratiquent la matière et en connaissent le contexte politique, qui peut douter que c’est cette dernière qualité qui lui a valu son éviction ? Il est des princes sots, comme dit Philippe Doucet. Il est surtout, de plus en plus, des Princes qui vont au pouvoir mais ne supportent pas la critique alors que celle-ci est l’incontournable revers de toute forme de pouvoir – n’y avaient-ils donc pas pensé ?-. Qu’une telle attitude existe ponctuellement, on peut le concevoir : personne n’est parfait. Qu’elle soit avalisée par tout un Gouvernement, voilà qui est plus qu’inquiétant. Ccomme devrait inquiéter le fait que des vacances de postes, à des fonctions élevées de l’administration, ne tracassent visiblement pas nos gouvernants.

Que peut faire le Scribe face à la sottise d’un Prince ? Le remercier, de ne l’avoir pas gardé à son service. C’est vrai. Le citoyen, lui, restera Grosjean comme devant, mais doit-il s’en plaindre ? Nous, électeurs, avons le Prince que nous méritons…

Quel futur mériterons-nous désormais ? L’éviction de Danielle Sarlet montre à tous que oui, on risque sa tête (au figuré quand même !), à vouloir la relever. Elle incitera donc certains à se taire et d’autres à parler. Les premiers risquent d’avoir, à leur tour, la tête tranchée. Le sort des seconds est plus sûr: ils n’auront désormais d’autre horizon que leurs souliers. Cela leur évitera, au moins, l’impitoyable retour de leur miroir.