Nucléaire ou climat ? Un faux débat

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Prolonger les réacteurs nucléaires techniquement prolongeables ? Cela aurait peu d’impacts en terme climatique. Alors que leur manque de fiabilité et de flexibilité et le risque nucléaire toujours bien présent plaident pour une fermeture rapide.

Prolonger le nucléaire est un débat secondaire pour le climat

Sur 7 réacteurs en activité en Belgique, 5 sont « improlongeables » pour des raisons techniques.

Doel 1 et 2 et Tihange 1, ont déjà été prolongés en 2015 ! Ils auront donc 50 ans en 2025, c’est à dire 10 ans de plus que leur durée de vie prévue initialement. Ils ne répondent plus aux standards de sécurité actuels édictés par l’Association des autorités de sûreté nucléaire des pays d’Europe de l’Ouest (WENRA), notamment en matière d’attaque terroriste. Les re-prolonger semble dès lors hautement hypothétique et serait en tout état de cause impayable vu les travaux qu’il faudrait y faire …

Des milliers de microfissures ont été découvertes en 2017 dans la cuve de Doel 3 et Tihange 2. Pour beaucoup d’experts indépendants, ils auraient dû être fermés depuis longtemps tant leur fragilité pose de graves questions de sécurité (comment la cuve nucléaire fragilisée réagirait-elle par exemple en cas de refroidissement d’urgence ?). Les prolonger n’est même pas envisagé par le plus fervent des nucléaristes. Notons que ces 2 réacteurs ne respectent pas non plus les standards de sécurité du WENRA.

Agenda de sortie du nucléaire au terme de la loi. Les 7 réacteurs fermeront entre 2022 et 2026. Le débat sur le nucléaire ne porte que sur Doel 4 (D4) et Tihange 3 (T3) qui doivent fermer mi 2025.

Il ne reste que 2 réacteurs nucléaires sur 7 pour lesquels une prolongation est « envisageable » techniquement. S’il y a encore un « débat nucléaire », c’est uniquement sur la prolongation des réacteurs qui auront bientôt 40 ans, Doel 4 et Tihange 3, soit environ 10-15% de notre production d’électricité. L’électricité ne représentant que 20% de notre consommation d’énergie (on consomme surtout du pétrole pour nos industries et pour se chauffer et se déplacer), ces 2 réacteurs « prolongeables » ne produisent que 4% de notre énergie ! 

Dès lors, vouloir faire du « débat nucléaire » un débat central pour le climat est tout simplement inexact, voire malhonnête.

Peu d’avantages pour le climat, mais de nombreux défauts

Ces réacteurs pourraient nous aider, à la marge, dans notre lutte contre les changements climatiques. En effet, les prolonger pourrait éviter de construire et d’utiliser une ou 2 centrales au gaz émettrices de CO2… Selon l’étude Energyville/VITO de 2020 commandée par Electrabel, prolonger ces centrales  pourrait diminuer nos émissions de GES de 1 à 2%. Et encore, si on « élargit la focale » au niveau européen, les centrales au gaz belges qui émettront du CO2 en Belgique remplaceront en partie des centrales au charbon bien plus polluantes. « D’un point de vue européen, l’impact pour le climat est donc négligeable » conclut ainsi le directeur du centre d’étude Energyville (lien en NL).

Pourquoi ne pas les prolonger tout de même ? D’autres éléments rentrent dans l’équation : leur manque de flexibilité, de fiabilité et les questions de sécurité.

1. Les réacteurs sont inflexibles

Un défaut majeur des 2 réacteurs nucléaires prolongeables est leur manque de flexibilité. Le renouvelable, étant donné son coût, va prendre le lead de notre production d’électricité. En Belgique, il représente encore un modeste 18% en 2020 (une croissance de 35% par rapport à 2019 tout de même). Mais dans certains pays limitrophes comme l’Allemagne, il représente déjà 50% de la consommation d’électricité. En 2030, selon les estimations les plus prudentes, il en sera de même en Belgique.

En Allemagne, les renouvelables sont maintenant la première source d’électricité. Ce sera bientôt le cas chez nous aussi. Le manque de flexibilité du nucléaire risque de poser sérieusement problème dans un système de ce type.

La flexibilité est fondamentale pour venir en complément des énergies renouvelables (quand le vent ne souffle pas ou le soleil ne brille pas). Mais les centrales nucléaires belges n’ont pratiquement aucune flexibilité : c’est difficile de diminuer leur puissance et de les éteindre/redémarrer.

Ce défaut explique en partie les prix négatifs de l’électricité que nous avons observés sur le marché « journalier » européen de l’électricité. A certain moment (quand le vent souffle bien), il y a trop d’électricité sur les réseaux. Les producteurs doivent alors payer pour s’en débarrasser ou couper leurs installations. Le peu de flexibilité des centrales nucléaires s’avère alors coûteux pour l’ensemble du système.   

2. Les réacteurs sont peu fiables

Comme le graphe ci-dessous le montre bien, ces dernières années, la production nucléaire (en rouge dans le graphe) joue au yoyo couvrant entre 31% (2018) et 47% (2019) de nos consommations d’électricité.

La production d’électricité nucléaire joue au yoyo depuis 2010 alors que depuis l’ouverture des centrales, elle avait été stable. C’est en partie dû à des fermetures liées au vieillissement du parc de réacteurs. (Chiffre AIE)

La raison en est simple. Nos centrales vieillissantes ont tendance à multiplier les fermetures non prévues parfois pour des durées très longues. Les raisons sont variables. Elles sont le plus souvent liées à l’infrastructure comme les microfissures découvertes dans les cuves de Doel 3 et Tihange 2. Certains arrêts sont clairement liés à l’ancienneté des installations comme à Doel 3 et Tihange 3 ou des problèmes de dégradation dans certaines parties en béton ont provoqué la fermeture des réacteurs. La fermeture de Doel 4 en 2014 suite à un sabotage qui n’a jamais été élucidé éclaire aussi la fragilité de ces installations.

3. Un risque nucléaire pas si faible

Les matériaux et les équipements d’une centrale s’usent au fil du temps comme ceux de toute installation. Surtout, les 20 cm d’acier des parois de la cuve d’un réacteur nucléaire accusent l’impact d’années de contraintes thermiques et de bombardement nucléaire. Au final le risque de fusion du cœur – soit un accident de type Fukushima – demeure bien entendu limité mais il est loin d’être nul. En 2016, Jan Bens, le directeur général de l’agence fédérale pour le contrôle nucléaire et  ancien directeur de la centrale de Doel évoquait ainsi dans une lettre envoyée à Electrabel « les valeurs alarmantes des probabilités de fusion de cœur » pour les trois réacteurs de Tihange et les réacteurs Doel 3 et 4.

Simulation des zones d’évacuation en cas d’accident grave  pour la centrale de Graveline à la Frontière belge.

Si le risque est faible, les conséquences par contre ne sont même pas envisageables…  Dans un pays aussi peuplé, il faudrait évacuer une grande part de la population pour des années. Mieux vaut ne pas y penser. C’est d’ailleurs ce que préfère faire les autorités dont les plans d’évacuation en cas d’accident sont très largement insuffisants.

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