La problématique des pesticides à partir des cas de l’atrazine et de la terbuthylazine.
Beaucoup (trop) de pesticides
Les pesticides figurent parmi les substances les plus préoccupantes pour la population générale. Ils sont aujourd’hui présents partout.
Si l’on tient compte des utilisations en rapport avec la Superficie Agricole Utile de chaque Etat membre de l’Europe, on constate que les quatre pays les plus grands consommateurs sont les Pays-Bas, Chypre, la Belgique et l’Italie1. La Belgique est donc un gros consommateur de pesticides, et ses consommations n’ont pas tendance à diminuer depuis la mise en place des programmes de réduction, débutés en 20132.
Si en 2005, la quantité de pesticides vendus aux particuliers affleurait les 30% des quantités totales, elle est descendue à 4% en 2017. Ce n’est donc plus aux particuliers de porter la charge de la réduction de l’usage des produits phytopharmaceutiques.
Nos eaux sont contaminées
La moitié de nos masses d’eau souterraine en Wallonie sont déclassées3 (14 sur les 38 masses d’eau que compte la Wallonie, sur base de l’analyse de seulement 18 pesticides). Entre 2017 et 2020, 70% des eaux souterraines contrôlées en Wallonie sont contaminés par des pesticides et lorsque l’on regarde de plus près, 80% de ces pesticides sont interdits depuis plus de dix ans !
L’eau de distribution est par contre l’une des plus contrôlées et est globalement d’excellente qualité. Il n’y a que 1,1% des contrôles effectués qui retrouvent des traces de pesticides, dont 70% reviennent positifs pour l’atrazine.
L’atrazine ?
Dans la famille des triazines, nous avons l’atrazine et la terbuthylazine. En quoi sont-elles différentes ?
L’atrazine a été interdite en 2004 au sein de l’Union Européenne. Elle a par contre été classée comme probablement non cancérogène aux USA la même année, et est donc encore largement utilisée là-bas. Le fait qu’elle soit encore présente dans nos eaux ne résulte pas d’usages illicites mais bien de la simple persistance de la molécule et de ses produits de dégradation dans l’environnement. Nous sommes donc face à des pollutions persistantes et irrémédiables.
Lorsque l’atrazine a été interdite en Europe, les industries phytopharmaceutiques ont alors proposé comme substitution la terbuthylazine, qui a passé (comme l’atrazine) avec brio les tests de toxicité sur modèle animal.
Cependant, en comparant les structures chimiques, nous sommes en droit de nous poser des questions sur la sécurité de la terbuthylazine qui est dans le top 15 des pesticides les plus pulvérisés en Wallonie. La comparaison entre les deux structures sautera aux yeux du lecteur attentif.
Étant donné que peu de pays utilisent la terbuthylazine (car interdite en France et l’atrazine est toujours utilisé aux USA), peu d’études scientifiques indépendantes ont été à ce jour réalisées. Celles-là même qui ont conclu à la toxicité de l’atrazine avec des décennies de retard. On navigue donc à peu près à l’aveugle à propos de la toxicité de la terbuthylazine chez l’homme.
De plus, la chimie se souviendra également du système de clé-serrure régulant la signalisation cellulaire et hormonale dans notre corps humain. Si une molécule a une structure semblable à une autre, il est fortement probable qu’elle puisse, par mimétisme, activer le même genre de fonction cellulaire que la molécule-mère. Certainement lorsque l’on a affaire à des perturbateurs endocriniens ! C’est de nos jours un des principes de base dans la recherche en pharmacologie.
Avant mise sur le marché
Avant la commercialisation de tout pesticide, chaque molécule doit être évaluée devant une « commission d’étude de toxicité », qui est en charge de dresser le profil toxicologique de la molécule. Cependant, ces tests sont financés par la l’industrie qui désire mettre le produit sur le marché. Ils se concentrent uniquement sur un modèle animal et évaluent la cancérogénicité, mutagenicité et reprotoxicité. Donc lorsque l’EFSA, agence européenne de la sécurité alimentaire, doit évaluer et autoriser une molécule telle que l’atrazine, c’est au fabriquant qu’elle demande de fournir des données sur sa toxicité.
Les autres effets sur la santé et sur les générations suivantes ne sont pas étudiés avant la mise sur le marché. Par exemple la neurotoxicité, l’effet perturbateur endocrinien, l’épigénétique, la transmission sur plusieurs générations… ne sont pas détectables. De plus les scientifiques en se basant sur un modèle animal, exposé à un seul toxique et isolé de toute autre exposition, sont bien loin des réalités humaines.
Effet à retardement
Les effets sur la santé de l’atrazine sont nombreux : elle induit une féminisation des gonades mâles (via une action sur l’aromatase) et cet effet a été démontré sur les mammifères, reptiles, les poissons et les amphibiens4. Des études suspectent également une augmentation des malformations chez les fœtus nés des mères les plus exposées5.
Une étude réalisée sur les souris illustre même un effet à retardement via des modifications épigénétiques6. Une souris gestante exposée sur une courte période à de l’atrazine n’aura pas ou peu d’effets observables, ni son fœtus. Par contre, c’est lors des générations suivantes que cela se complique : plus petit poids de naissance, tumeurs testiculaires et mammaires ainsi qu’une puberté précoce qui ne sont observés qu’à partir de la 2eme génération.
Une étude a également montré l’impact des sponsorings sur les résultats scientifiques. Statistiquement, si une étude est financée par une industrie, elle a une plus petite probabilité de conclure à un effet néfaste de l’atrazine7.
Les études scientifiques actuelles, du fait des conditions de réalisation, détectent donc peu les effets réels sur la santé.
« Evaluer la toxicité d’un pesticide via les études animales telles qu’elles sont faites, c’est un peu comme se limiter à vérifier qu’on a bien lacé ses chaussures avant un saut en parachute. »
Ce système de passe-passe est une belle illustration des rouages qui entourent l’autorisation des molécules et le travail immense de « Fabrique de l’Ignorance » réalisé par les industries : le détournement des cibles scientifiques, la substitution vers une molécule semblable mais différente, le retard dans la prise en compte des effets…
Inter Environnement Wallonie plaide donc pour :
- Un soutien à une transition agricole qui se passe de produits phytosanitaires. Le meilleur pesticide est celui que l’on ne pulvérise pas.
- Un plan de réduction de pesticides wallon ambitieux, contrairement à celui proposé pour 2023-2027.
- Un soutien (à l’échelle de l’Europe) pour obtenir un changement des procédures de mise sur le marché, intégrant une toxicologie par classe et par famille et non par molécule, avec une évaluation toxicologique non plus faite par les firmes, mais par des organismes indépendants.
- Une protection et information efficace des agriculteurs, les premiers en contact avec ces molécules.
Aidez-nous à protéger l’environnement,
faites un don !
- Plan d’Action National de Réduction des Pesticides (NAPAN) – projet de programme 2023-2027.
- CORDER asbl- Comité régional PHYTO. Estimation quantitative des utilisations de produits phytopharmaceutiques par les differents secteurs d’activité. 2017
- Plan d’Action National de Réduction des Pesticides (NAPAN) – projet de programme 2023-2027.
- Hayes TB, Anderson LL, Beasley VR, de Solla SR, Iguchi T, Ingraham H, et al. Demasculinization and feminization of male gonads by atrazine: consistent effects across vertebrate classes. J Steroid Biochem Mol Biol. oct 2011;127(1‑2):64‑73
- Mattix KD, Winchester PD, Scherer LR. Incidence of abdominal wall defects is related to surface water atrazine and nitrate levels. J Pediatr Surg. juin 2007;42(6):947‑9
- Atrazine induced epigenetic transgenerational inheritance of disease, lean phenotype and sperm epimutation pathology biomarkers. – PubMed – NCBI [Internet]. [cité 18 mai 2019]. Disponible sur: https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/28931070
- Bero L, Anglemyer A, Vesterinen H, Krauth D. The relationship between study sponsorship, risks of bias, and research outcomes in atrazine exposure studies conducted in non-human animals: Systematic review and meta-analysis. Environ Int. août 2016;92‑93:597‑604