Politiques agricoles 2022 : moins de green washing et plus d’intégrité

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Avec cette première nIEWs de l’année, l’heure est encore aux bons vœux… Pour 2022, je nous souhaite donc moins de green washing et plus d’honnêteté dans la communication en général. En particulier dans mes domaines de prédilections : les politiques et pratiques agricoles.

Avec une formulation un peu négative, aurais-je versé dans cette « tendance à ne jamais être totalement satisfait » du tissu associatif comme le disait la ministre de l’environnement il y a peu sur La Première ? Non ! Ce petit clin d’œil adressé à notre secteur que la ministre Tellier connaît bien fait suite à notre réaction dissonante par rapport à l’enthousiasme ambiant autour du Plan Stratégique PAC1 que le Gouvernement Wallon vient de présenter lors d’une conférence de presse. Comme l’a bien qualifié la journaliste, Danielle Welter, c’est un peu « l’école des fans » depuis hier entre les ministres du gouvernement wallon qui paraissent plus soudés que jamais et les syndicats agricoles qui rappellent les tracteurs encore encouragés à manifester cette semaine.

J’écrivais dans une précédente carte blanche qu’il n’avait déjà pas été agréable de jouer le rôle de l’environnementaliste dans les négociations. Aujourd’hui, éduquée à l’option de voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide, jouer les troubles fête ne me réjouit pas davantage.

Dans ce plan mammouth de 800 pages, il y aura évidemment énormément d’éléments à commenter. Je ne relèverai donc ici que quelques déclarations entendues ou lues au cours des dernières 24 heures pour majeure partie dans la conférence de presse officielle du GW (CdP).

Une com très pub

Le ministre Borsus a commencé son intervention en mentionnant le temps de processus record qu’a totalisé le dossier PAC au niveau européen. Le texte final était pourtant tellement décevant que les députés belges PS et Ecolos avaient voté contre. La longueur d’un processus ne garantit en rien la qualité de l’accord qui en sort… Au niveau wallon, un processus constructif où de manière inédite de nouvelles parties prenantes comme IEW étaient conviées aux discussions, s’est tenu de juin 2020 à mai 2021. Un travail remarquable des services du SPW-ARNE 2 a été abattu pour alimenter et synthétiser les débats. Et puis, plus rien pendant 6 mois ; un passage au niveau politique où il aura finalement fallu descendre dans la rue en décembre et passer dans une sorte de bras de fer caricatural. On se retrouve en janvier 2022 avec un plan, certes où il y a des avancées que nous avons saluées, mais aussi un tour de passe-passe communicationnel comme l’avait fait l’Europe avec sa PAC « plus verte et plus juste » 3. En Wallonie, elle est e.a. « plus durable » et « équilibrée ».

Plus loin dans la conférence de presse, notre ministre de l’agriculture se félicite de ne pas avoir activé la dérogation au prescrit européen d’accorder au moins 25% du budget des aides directes aux écorégimes ; en allant même au-delà avec 26% estimés4. Par contre, il ne se vante pas d’avoir obtenu celle pour les aides couplées 5 de 13 à 21,3%. Une dérogation qui soutiendrait e.a. les éleveurs viandeux alors que ce secteur souffre depuis des années déjà malgré cette mesure qui semble incapable de traiter le fond du problème.

Il y a de bonnes petites surprises symboliques comme un soutien à la culture de protéagineux 6, qui n’avait pas été évoqués dans les discussions avec les parties prenantes. Le ministre Borsus ne manque pas de souligner que « cela fait partie de notre accord de gouvernement ».

Le bio : oui, mais…

Mais, cet accord du gouvernement – soit la Déclaration de Politique Régionale (DPR) – parlons-on en justement7… Pour l’Agriculture Biologique (AB), la conférence de presse rappelle bien la cible ambitieuse de la Région d’atteindre 30% des surfaces agricoles du territoire d’ici 2030. On peut voir sur le graphe ci-dessous que ces surfaces couvraient un peu plus de 12% de la Wallonie en 2020.

SAU= Surface Agricole Utile – Source : SPW-ARNE

La progression des conversions à l’AB est assez impressionnante ces dernières décennies (x4 en 20 ans ; x2 en 10 ans). Il faut savoir que 3/4 des surfaces bio sont des prairies. Ce sont souvent des fermes familiales de polycultures-élevage situées dans la province du Luxembourg (43% des surfaces bio dans cette province). Des fermes où la transition est, entre autre, facilitée par la présence de matière organique (via les déjections animales) pour fertiliser les cultures. Depuis quelques années, l’enjeu des conversions à l’AB se situe au niveau des fermes dites de grandes cultures où l’élevage n’est pas présent. D’ailleurs, depuis 2018, on note une diminution du nombre de fermes 8 qui se convertissent sans réelle conséquence sur l’évolution des surfaces. Cela pourrait s’expliquer par le passage de ce type de fermes dont les superficies exploitées sont généralement plus grandes.

Le graphe montre aussi clairement que dès 2023, il est déterminant de donner un coup de boost au soutien actuel de l’AB pour propulser la courbe sur la trajectoire au trait continu. Car la « tendance naturelle » en pointillé ne permettra pas d’atteindre l’objectif des 30% en 2030.

Ce coup d’accélérateur a été calculé à une majoration de 20% des primes bio actuelles. Dans son PS PAC, le gouvernement le monte à 7%. Si tout va bien, avec cette bonification de 7%, nous atteindrons au mieux 24% de SAU bio d’ici 2030. Mais cet incitant est certainement insuffisant pour surmonter une frilosité ambiante pour la bio ces deux dernières années…

Du côté de la production, elle s’expliquerait par une demande qui stagne pour certain secteur comme la viande bovine notamment. Mais plutôt qu’un problème de demande, c’est un problème d’organisation professionnelle de la filière « de la fourche à la fourchette » qui manque. Tiens, tiens Farm to Fork… cela sonne comme une stratégie européenne du Green Deal pour laquelle la PAC contient des outils comme les aides sectorielles qui auraient pu être activées à hauteur potentielle de près de 40 millions d’euros. Une manne qui fait rêver par rapport au budget déficitaire de la Wallonie…

De fragiles garanties budgétaires

Il faut savoir que les aides « directes » du 1er pilier de la PAC viennent à 100% de fonds européens. Par contre, celles du 2ème pilier, comme le rappelait le ministre Willy Borsus, sont assurées par co-financement de l’Europe (pour un tiers) et de la Région Wallonne (pour deux tiers). Comme c’est le cas actuellement, les aides bio sont budgétisées sur ce 2ème pilier. C’est donc une excellente nouvelle que l’enveloppe prévue ait pu être augmentée dans le contexte actuel des finances de la Région…

Dans la situation inédite que nous connaissons suite aux inondations de juillet, on est en droit de craindre pour le maintien de ce budget sur l’ensemble de la programmation PAC (jusqu’en 2027 inclus).

D’autant plus que le secteur bio a déjà été échaudé avec le budget d’un autre Plan Stratégique, celui du développement de l’agriculture biologique cette fois 9… Le 4 juin 2021, lors de la conférence de presse de lancement de la semaine bio, le ministre Borsus annonçait l’adoption du PSDAB par le gouvernement wallon. En septembre, les acteurs de la recherche, de l’encadrement et de la promotion, dans l’attente de leur budget, apprenaient que seul le contenu du plan avait été adopté mais pas le budget prévu.

Résultat: un sauvetage à l’arrachée du conseil et de l’encadrement, plus de cellule de recherche bio et un budget de statu quo annoncé pour la promotion alors qu’il devait être doublé. Motif (légitime) évoqué : les finances de la RW dans le contexte post-inondations.

Ecorégimes : des opportunités manquées

La « grande nouveauté » dont tout le monde parle sont les fameux écorégimes qui devraient concerner 26% du budget du 1er pilier. Il s’agit en fait du remplacement de l’ancien verdissement – 30% du budget des précédentes programmations PAC – qui n’avait pas réussi à faire ses preuves en matière de préservation des ressources environnementales et de la biodiversité. Cela a été pointé dans plusieurs rapports de la Cour des comptes européenne. Dans ce nouveau mécanisme, les Etats-Membres devront justifier comment les écorégimes qu’ils proposent répondront au mieux aux objectifs de la PAC. Afin de les inspirer, la Commission a même sorti une liste de pratiques qui pourraient tout à fait correspondre à ces objectifs. La première pratique de la liste est l’agriculture biologique en cochant 5 objectifs sur les 7. Pour cette raison et pour garantir la disponibilité du budget aux agriculteurs IEW a toujours plaidé pour qu’une partie des primes bio, celles dites au maintien 10, fassent l’objet d’un écorégime dans le 1er pilier de la PAC.  

En matière de réduction des pesticides, aujourd’hui, au rayon des mauvaises surprises, on se retrouve avec un écorégime « réduction d’intrants » encore indéfini si l’on se base sur la réponse du ministre Borsus à une question lors de la conférence de presse. Or, toutes les surprises de dernière minute, n’ayant pas été travaillées par l’administration et discutées avec les parties prenantes, risquent d’être assez faible en termes d’ambition environnementale.

Ne pas avoir d’écorégime bio n’est malheureusement pas une surprise. Car, au-delà de ces considérations de fond, au niveau du processus, nous n’avons jamais obtenu les simulations que nous demandions pour évaluer l’intérêt pour les agriculteurs bio actuels et à venir de répartir ces aides dans les deux piliers. Les parties prenantes ont pourtant passé beaucoup d’heures à discuter autour de l’AB.

Alors qu’un marché public était désigné pour faire ce type de simulations et que nous faisions partie du comité d’accompagnement, nous n’avons jamais vu de comparaison de scénarios sur ce point précis. Nous n’avons d’ailleurs jamais reçu le rapport final de ce marché.

A l’instar des mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC), les primes à la production bio peuvent être perçues, d’abord, comme une opportunité économique. Mais la démarche peut ensuite constituer une porte d’entrée vers une sensibilisation et une évolution écologique par les acteurs encadrants dans le cas des MAEC. Dans le cas de l’AB, c’est s’inscrire dans un modèle vertueux qui vise à allier écologie et économie tout en autonomie pour les agriculteur.trice.s.

Finalement, la plus grande déception est de constater que l’agriculture biologique est financée uniquement par du budget environnemental. Comme si elle n’était qu’une pratique pour protéger les ressources alors qu’elle est tellement plus que cela…

Construire l’avenir, ensemble…

Alors oui, l’environnement, le climat et la biodiversité sont de tous les discours mais pour des actes significatifs, les rendez-vous politiques manqués commencent à s’accumuler… Pour que 2022 ne nous enfonce pas dans le green washing, je nous souhaite plus de courage et de transparence du GW mais aussi plus d’honnêteté dans la communication y compris des syndicats agricoles. Personnellement, j’espère que l’essentiel de mon métier ne sera pas de déconstruire des slogans un peu surfaits mais bien de construire un avenir meilleur avec et pour les agriculteurs et les citoyens wallons et au-delà…


Aidez-nous à protéger l’environnement,
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  1. Plan Stratégique (PS) pour la Politique Agricole Commune de 2023 à 2027.
  2. Service Public de Wallonie – Agriculture, Ressources Naturelles et Environnement
  3. Voir à ce sujet nos différentes analyses sur le site d’imPAACte.
  4. La PAC comporte deux piliers. Le 1er représente des aides directes (primes) aux fermes wallonnes qui doivent respecter certaines conditions pour les obtenir. Elles peuvent activer des aides supplémentaires baptisées écorégimes dans cette nouvelle PAC (ex-verdissement). Tout l’enjeu des négociations était de définir 1) quelle part du budget du 1er pilier y était accordée ; 2) que vont contenir ses écorégimes sensés promouvoir des pratiques respectueuses des ressources environnementales.
  5. Ces aides font aussi partie du 1er pilier comme aides directes aux revenus accordées aux éleveurs à la tête de bétail. Si la tendance est au découplage des aides, les Etats-Membres peuvent activer un soutien pour des secteurs qui en ont plus besoin que d’autres comme l’élevage bovin en Wallonie.
  6. Une prime à l’hectare pour des cultures comme le pois, les fèves, féveroles et lupin qui constituent une source alternative locale de protéines par rapport au soja importé.
  7. Voir aussi son évaluation à mi-mandat.
  8. La moyenne du nombre de conversions de fermes était de plus de 100 par an (102,67) entre 2008 et 2014. 2014 et 2015 sont des années record avec 146 conversions ces deux années. On note une chute à seulement 74 nouvelles exploitations bio en 2018 et 85 en 2019.
  9. Un PSDAB avait été initié par la Région en 2013 pour stimuler le développement de l’agriculture biologique en Wallonie à l’horizon 2020. Il s’agit d’un soutien aux acteurs de la recherche (via le CRA-W), l’encadrement (Biowallonie) et la promotion (APAQ-W). Le soutien aux producteurs étant du domaine de la PAC. Un nouveau PSDAB à l’horizon 2030 a donc été préparé sous le nouveau gouvernement.
  10. Les aides bio comportent deux volets : 1) Les aides à la conversion pour inciter à passer vers ce mode de production et compenser les pertes économiques qu’engendrent les années de transition où on ne peut commercialiser ses produits avec le label et 2) Les aides au maintien pour, comme son nom l’indique, maintenir l’activité une fois la transition achevée.