Pour un moratoire sur les datacenters en Belgique 

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Bloquer le développement des datacenters en Europe est un enjeu crucial pour la planète et l’économie mais aussi pour développer un numérique raisonnable, ce qui est crucial. La Belgique prévoit la construction de méga data centers : cette prévision doit être revue largement à la baisse.  

Le 28 mai dans son éditorial Serge Quoidbach de L’Echo rappelait l’urgence de faire des choix en matière d’installation de data centers dans notre pays. Le quotidien relayait un nouveau rapport de Boston consulting (confidentiel) qui estime que ces centres de données consomment déjà 4% de notre électricité aujourd’hui, mais consommerons d’ici 2035 de 9,5 à 15 TWh, soit 12-18 % de la consommation 2024 d’électricité du pays, soit donc presque 1/5 de toute notre consommation ! 

 Les conséquences de cette explosion des consommations sont évidemment multiples et de facto inacceptables que ce soit pour notre économie, notre sécurité d’approvisionnement, mais aussi pour notre planète.   

  • Planète et portefeuille – Ces centres, en plus d’être des gouffres énergivores (mais également en eau et en matière première) sont très “inflexibles”. Ils tournent 24/24 7/7 et s’articulent très mal avec une production électrique de plus en plus variable. Quand la production renouvelable est moindre, ils exigent donc des capacités complémentaires, principalement fossiles (des centrales au gaz) financées par le contribuable via un mécanisme de rémunération de la capacité.  
  • Economie – Un data center qui s’installe à Baudours ou ailleurs, c’est une capacité de réseau réservée qui ne pourra pas être utilisée par une autre industrie jusqu’à ce que le réseau soit renforcé, ce qui demande du temps. Le développement des data centers se fait au détriment de notre développement et de l’électrification de notre industrie. 
  • Risque sur l’approvisionnement électrique – Dans ses dernières projections officielles servant de cadre à la détermination de nos besoins de production ou de réseau, Elia tablait plutôt sur ~4,5TWh en 2035… Loin des projections susmentionnées. En d’autres termes, les trajectoires prévues à ce stade dans les plans de gestion du réseau électrique pour garantir un approvisionnement ne sont plus d’actualité…  

Des solutions à la marge 

Des solutions existent pour mitiger cette explosion. L’ADEME en France en a fait le résumé en janvier 2025 dans un rapport de référence. En Belgique nous vous renvoyons vers l’expertise de Steve Tumson de tech 4good (beau podcast en lien pour ceux qui veulent creuser le sujet) ou de Martin Willame, doctorant belge qui a participé à l’écriture du rapport du Shift project en mars 25. 

Sans rentrer dans le détail, des améliorations techniques sont possibles pour limiter la consommation d’énergie ou mieux la répartir : l’amélioration de l’efficacité du data center, ou gérer le réseau plus intelligemment (par exemple, positionner les datacenters ou le réseau n’est pas déjà « saturé »), peuvent atténuer l’impact à la marge. NB : l’efficacité est déjà intégrée dans les projections citées ci-dessous. L’efficacité de la manière dont l’IT est consommé est aussi cruciale : l’éco-conception des sites (des formations à l’éco IT existent pour ceux qui veulent. A ce titre, les autorités (plutôt au niveau EU) disposent aussi de mégas leviers pour imposer une diminution de la qualité des images stockées et transférées sur des plateformes comme Netflix.  

Pas de salut sans une consommation numérique raisonnable 

Il apparait cependant évident à ce stade que, vu les chiffres avancés (1/5 de notre consommation actuelle d’électricité dans 10 ans !!!), il est urgent d’activer également les modérations de la demande. C’est que nos datacenters sont construits pour répondre à une explosion de nos consommations numériques (où l’intelligence artificielle ou les (inutiles ?) cryptomonnaies occupent une part croissante). Or, si certains usages amènent de vraies améliorations sociétales – on peut penser à l’utilisation de l’IA dans certaines applications médicales ou dans la mobilité – l’essentiel est plutôt récréatif (génération d’image sur des IA génératives).  

Une conclusion s’impose à la lecture de tous les experts et rapports sus mentionnés : un numérique raisonnable, c’est un numérique moins présent, développé en fonction des besoins sociétaux… et non des volontés des géants de la tech. 

Ne sous-estimons pas non plus l‘importance de mettre le turbo sur l’éducation au numérique. Des acteurs associatifs, ou du monde éducatif s’y attèlent déjà et doivent encore monter en compétence et en moyens. 

Mais encore une fois, ce serait une erreur de faire peser la responsabilité d’agir sur l’individu, tout en le submergeant de sollicitations IT. Là encore, un débat est plus que nécessaire sur les vrais besoins de notre société en IT. Passer à la 6G, 7G, 8G a-t-il encore du sens ? Cela relève de la simple décision de nos gouvernements de ramener ces évolutions à un niveau raisonnable.  

L’urgence d’un moratoire 

A écouter les experts de tous horizons, donc, il semble difficile de continuer à développer les projets de data centers prévus. Comme le rappelle L’Echo, des pays comme l’Irlande ont déjà imposé un moratoire sur le développement de nouvelles installations. Au Québec ou en Irlande, les autorités ont aussi refusé l’octroi de permis étant donné les risques qu’ils font courir à notre sécurité d’approvisionnement. Y compris dans le monde de l’entreprise, des voix s’élèvent également dans ce sens. Il nous revient également que les gestionnaires de réseau (Elia) ou le régulateur (CREG, CWAPE) tirent la sonnette d’alarme au cours d’évènements organisés sur le sujet. 

Le Ministre fédéral de l’énergie, Mathieu Bihet, interrogé par L’Echo ce 28 mai semble enterrer d’office la solution d’une limitation des nouvelles installations, mais, des contacts que Canopea a pu avoir, ce point de vue très questionnant du Ministre Bihet ne semble pas faire consensus dans les majorités régionales et fédérales. Les leviers d’actions sont à la fois fédéraux et régionaux… Mais une limitation belge ferait bien plus de sens.  

Réduire la demande par l’offre… 

Pour Canopea, réduire significativement le développement des datacenters aurait aussi la précieuse vertu d’agir « de manière indirecte » sur la consommation d’IT, ce qui, comme on l’a vu, est un point absolument nécessaire…  

En effet, il ne parait pas illusoire de penser que diminuer les infrastructures comme les datacenters (ou les capacités d’importations de données) va pousser les acteurs de la tech à réduire l’offre de « services » ou les obliger à internaliser davantage les coûts. En s’attaquant aux datacenters, on peut donc attaquer indirectement les usages déraisonnables du numérique… Cet effet devrait être vérifié en pratique. Mais s’il est avéré, il est loin d’être négligeable.  

Tous à Baudour ! 

Plusieurs mégas datacenters sont en cours d’autorisation en Belgique. Un projet Google à Baudour, et 3 projets Microsoft. On attaque ici les intérêts des deux entreprises qui ont les moyens de contrôler l’opinion et de sérieux moyens de pression sur nos décideurs. Leurs arguments sont connus : « On génère de l’emploi », « le numérique est au service des citoyens et de l’économie » « Le réseau local permet d’augmenter l’autonomie et la sécurité en matière de données » (voir la video de Microsoft pour voir le wording de com). A chaque fois, les arguments sont corrects, mais le corpus d’évidence montre que ces avantages sont très largement contrebalancés par les inconvénients.   

Leur stratégie est aussi connue : noyer le poisson sous des rapports « contradictoires » qui mettent en avant toutes les vertus de leurs plans, anesthésier les décideurs politiques en encommissionnant …  

Que faire alors ? On se trouve ici devant une MEGA bataille. Car un usage plus raisonnable du numérique et de l’IT est un élément clé pour imaginer un système économique qui s’inscrit dans les limites planétaires (limitant les consommations déraisonnables d’énergie et permettant l’électrification de nos processus industriels). Mais c’est aussi une bataille tant pour le portefeuille du contribuable que pour les industries locales. Nous pouvons dès lors construire un vrai front commun pour que les ambitions de développement du cloud soient revues largement à la baisse. La bataille ne fait que commencer.  

Crédit image d’illustration : Adobe Stock

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