Que cachent les promesses d‘investissement de Google ?

’’Google va investir 5 milliards € dans des datacenters en Wallonie’’- voilà ce qu’on a pu lire le 09/10/2025 sur à peu près tous les sites d’information et, à n’en pas douter, sur les “fils d’actualité’’ des principaux réseaux sociaux. Mais que représente exactement ce montant pour le moins gigantesque ? Au-delà de l’annonce, on peine à trouver des analyses de ce qui se trouve derrière le montant annoncé…  

Le peu de transparence qui prévaut dans le monde de l’industrie et a fortiori chez les géants de la tech ne facilite pas ce reality check. A ce stade ce qu’on sait sur cet investissement repose uniquement sur un communiqué de presse de Google  publié le 8 octobre et copié-collé en boucle par presque tous les organes de presse… Bravo à ceux qui sont allés un peu plus en profondeur ! 

Que sait-on vraiment ? Pas grand-chose…   

L’annonce porterait sur un ou plusieurs datacenters orientés IA qui serai(en)t construits sur le site de Saint-Ghislain où Google dispose déjà de plusieurs datacenters. Il(s) serai(en)t donc connecté(s) sur le réseau 150 KV d’Elia à la cabine de Baudour. Le seul chiffre public disponible étant l’investissement, le risque de se perdre en conjectures est évidemment énorme.   

L’Echo, qui a approfondi le dossier, estime, sans préciser sa source, que l’ensemble des data centers Google de Saint Ghislain auront une capacité électrique totale de 365 MW après l’investissement annoncé… Mais, évidemment, nulle part sur la page dédiée à ce  data center de saint Ghislain ne figure cette information cruciale relative à la capacité électrique actuelle !  Sur base de données informelles, on estime qu’elle devrait tourner autour de 150MW.  L’investissement annoncé devrait donc rajouter ~200MW de capacité électrique au datacenter à Saint-Ghislain…   

Avec 5 milliards d’Euros, combien a-t-on de datacenters ?   

Regardons maintenant ce que l’on est censé construire pour 5 milliards ? Me basant sur  cet  article récent – je suis preneur d’autres données – un datacenter de calcul IA avec une capacité électrique de 200MW coûterait autour de 500 millions € à la construction (terrain, serveurs…). Ajoutons à cela des frais de fonctionnement, dont essentiellement la facture énergétique : estime que notre data center de 200MW coûterait 80 millions par an en coûts opérationnels. Cela, bien sûr, sans savoir le tarif électrique dont bénéficiera Google, qui fait très probablement partie des points en cours de négociation, ce qui pourrait justifier l’annonce aussi tapageuse qu’imprécise.   

Ce calcul de coin de table nous amène à un investissement (et 3 ans de frais de fonctionnement) de 750 millions €. On est très très loin des 5 milliards annoncés !  La réponse se trouve sans doute en partie dans l’explosion des prix des fameux GPU. Mais l’opacité est encore plus grande dans ce secteur. 

Reality check ?   

On le voit, le flou le plus total entoure ces déclarations fracassantes des GAFAM sur leur investissement en Belgique et partout en Europe. Nos dirigeants politiques ne devraient-ils pas se poser sérieusement quelques questions ?  Quel type de serveur ? Quelle flexibilité réelle électrique ? Quel usage sera fait de ces serveurs ? Quel impact sur le réseau local et sur la capacité de connexion des projets industriels ?  

Les réactions de nos édiles, à ce stade, tiennent plus de la cour de récré que de la cour des grands où la Wallonie prétend vouloir jouer. Elles reprennent d’ailleurs exactement la ligne de communication du géant américain… Ironiquement, les réactions ‘’spontanées’’ de nos ministres compétents, reprises en boucle sur les réseaux et médias, étaient d’ailleurs directement intégrées dans le communiqué de presse publié par Google…  On n’est jamais aussi bien servi que par soi-même…  On vous met ici pour le plaisir littéraire ces morceaux d’analyse critique…  

“Google’s new investment is a powerful sign of trust in Belgium as a hub for digital innovation and sustainable growth. By expanding advanced cloud and AI infrastructure in St. Ghislain, creating skilled jobs, and securing new carbonfree energy, Belgium not only strengthens its economy and energy transition. This project is also of strategic importance, consolidating our role as a leader in Europe’s digital future,” Belgian Prime Minister Bart De Wever said.  

« The €5 billion investment announced by Google in Saint-Ghislain confirms Wallonia’s central role as a European hub for data processing and storage. It creates jobs in the digital sector, stimulates innovation and economic activity around the site, improves local infrastructure, and strengthens the development of artificial intelligence skills. This investment also contributes to strengthening our region’s digital sovereignty and is therefore fully in line with the priorities of our next digital strategy. It illustrates our ability to reconcile economic attractiveness and technological innovation for the benefit of the entire Walloon region, » said Pierre-Yves Jeholet, in his capacity as Vice-President of the Government of Wallonia.  

Une déclaration d’amour… intéressée ?   

Contrairement à ce que nous disent messieurs Jeholet et De Wever, de telles capacités électriques ajoutées à un réseau déjà sous tension risquent au contraire d’absorber l’ensemble de nos investissements renouvelables et d’empêcher le développement industriel de la Région. L’excellent dossier de l’Echo notamment mettait en lumière le fait qu’effectivement, ces datacenters mangent les capacités électriques disponibles sur le réseau électrique et hypothèquent d’autres projets de développement industriel, notamment. Ironiquement, l’approvisionnement électrique futur à Baudour dépend fortement du projet de renforcement du réseau par la Boucle du Hainaut qui reste bloqué au sein du Gouvernement.  

Mais ne nous y trompons pas : les raisons qui poussent Google à faire ces annonces spectaculaires, mais douteuses sont à chercher ailleurs. Google et l’ensemble des GAFAM ne font pas ce type d’annonces qu’en Belgique. De semblables circulent en France, en Allemagne, aux Pays–bas, Angleterre et dans la plupart des pays européens. En Belgique aussi, on attend toujours la suite des annonces d’ouverture de data centres de Microsoft faites en mars et prévues pour l’automne 2025…   
 
Il est vraisemblable qu’il faille y voir une stratégie générale pour faire monter les enchères entre pays européens et obtenir les meilleures conditions d’installation (prix du terrain, prix de l’énergie, garanties et soutiens indirects, avantages fiscaux…). Et les réactions sans nuance de nos dirigeants politiques semblent montrer que les gouvernements belges sont prêts à offrir beaucoup de cadeaux au géant californien… A défaut d’une (très souhaitable) Europe unifiée face à ces monopoles mondiaux numériques, et donc en situation de grande faiblesse, on est en droit d’exiger de nos gouvernements un peu de discernement… Cela doit commencer par une vraie réflexion sur nos réels besoins en numérique. 

Crédit image illustration : Adobe Stock