Réduction des gaz à effet de serre : les perversions du système

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La dernière étude de SANDBAG met en évidence l’effet d’aubaine de l’intégration des Mécanismes de Développement Propre (MDP) dans le système ETS (European Trading System), et plus particulièrement pour les gaz réfrigérants HFC[hydrofluorocarbone]] -23. Ce sont au total 19 grosses entreprises (majoritairement chimiques) dans le monde qui ont mis sur pied dans des pays comme l’Inde et la Chine[[ou encore en Corée du Sud, Argentine et Mexique (Conférence de presse, CDM Watch/Noé 21/Germand NGO Forum on Enrironment and Developemnt, UN Under Pressure to Halt Gaming and Abuse of CDM).]] des projets de destruction de ce gaz. Elles ont vendu des unités de Réduction Certifiée d’Emission (CER, Certified Emissions Reductions Units) en moyenne 70 fois plus cher que le coût réel du processus de destruction.

Pour rappel le « European Trading System » (ETS) est un marché d’échange de quotas d’émissions de CO2, qui sur base de caps définis par la Commission européenne et les Etats membres (via un plan national d’allocation de quotas), encourage la réduction des émissions de CO2 de ces Etats. Quant aux Mécanismes de Développement Propre, il s’agit du principal outil de réduction des émissions de gaz à effet de serre institué par le protocole de Kyoto. Il permet aux pays industrialisés de financer des projets dans des pays en développement, en échange de crédits carbones nécessaires pour atteindre leurs propres objectifs. Dans ce cas précis, les entreprises investissant dans des projets de destruction de HFC-23 reçoivent des CERs qui sont comptabilisés dans leur effort de réduction d’émission CO2 et vendables sur le marché ETS. Le triple objectif de leur intégration dans l’ETS était d’encourager les pays en développement à investir dans des projets de développement durable tout en aidant les pays industrialisés à réduire le coût de la réduction des émissions de CO2. De plus, cette réduction aurait dû représenter une réduction réelle des émissions existantes. Le MDP pourrait générer plus d’un milliard de crédits pour 2012, valant 10 à 15 milliard d’euros [(info site UNFCCC, en français, CCNUCC, la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changement Climatiques).

SANDGAB se veut une plate forme neutre de tous les acteurs qui désirent explorer le fonctionnement de ces mécanismes. Leur dernière étude sur le système ETS publiée ce 14 juillet donne du fil à retordre aux défenseurs de ce système de contrôle des émissions de gaz à effet de serre car elle dénonce les effets non désirés de la destruction du HFC-23, un sous-produit du gaz réfrigérant HCFC-22[[Le chlorodifluorométhane (HCFC 22) est déjà interdit en Europe dans les appareils neufs depuis 2004 et était toléré sur les appareils en maintenance jusque janvier 2010. Le protocole de Montréal prévoit la fin de sa consommation en 2020 dans les pays développés et en 2040 pour les pays en développement.]]. Ce dernier est produit principalement par le secteur chimique qui a ainsi profité de retombées financières importantes au détriment de l’économie locale et de la santé des riverains, mais également au détriment des objectifs internationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre (Protocole de Montréal). Cette nouvelle dérive (certains disent « effet d’aubaine) s’ajoute aux risques de fuite de carbone[[Cette expression recouvre la délocalisation de projets et d’activités à haute teneur carbone dans des pays où les contraintes sont moins fortes.]] et à l’autre effet d’aubaine que constituent les profits issus de la surallocation des quotas (ils ont été l’objet d’une étude précédente de SANDBAG). Ces différents constats remettent en question la crédibilité et l’efficacité du système ETS.

Le HFC-23 est un gaz à effet de serre nettement plus nocif que le CO2 puisque son GWP[[Le GWP (Global Warming Potential) permet de mesurer la quantité d’un gaz qui aura un impact sur le réchauffement climatique. Cette mesure a été élaborée en comparaison avec le CO2 dont le GWP est équivalent à 1.]] (potentiel de réchauffement global) est de 11700 et qu’il peut rester dans l’atmosphère jusqu’à 270 ans[[ENVIRONMENRAL INVESTIGATION AGENCY, Policy Briefing, HFCH 23 offsets in the context of the EU emissions trading scheme, 14 July 2010.]]. La destruction de ce gaz représente plus la moitié du milliard de tonnes de crédit carbone que devrait générer le MDP pour 2012[[SANDBAG, International Offsets and the EU 2009, July 2010 et CDM Watch/Noé 21/Germand NGO Forum of Environment and Development, UN Under Pressure to Halt Gaming and Abuse of CDM, 2010.]]. Les CERs sont revendus sur le marché du carbone régulé par l’ETS entre 65 et 75 fois plus cher que le coût réel de destruction estimé à 0,17¤/Tec[[ENVIRONMENRAL INVESTIGATION AGENCY, Policy Briefing, HFCH 23 offsets in the context of the EU emissions trading scheme, 14 July 2010.]].

Certains n’hésitent pas à produire artificiellement du HCFC-22 dans des pays en développement comme la Chine et l’Inde provoquant des dégâts à la couche d’ozone mais aussi à la population locale. L’eau aux alentours de ces usines est contaminée et est rendue impropre à la consommation que ce soit pour usage domestique ou aussi agricole. Un comble dans des pays déjà pauvres où des familles comptent sur la production de la terre pour se nourrir. Certains enfants naissent avec des malformations physiques, sans parler de l’apparition de maladies articulaires et osseuses, de gonflements de la gorge et de problèmes nerveux, ou encore, des paralysies temporaires. En Inde par exemple, la situation est d’autant plus dramatique que ces fermiers n’ont pas accès aux soins médicaux car ils appartiennent à la caste des intouchables, tout en bas de l’échelle sociale.

En plus de ces dégâts, la production de HCFC-22 augmente dans les pays en développement de 25% par an. Ce gaz ne disparait pas même si globalement les gaz à effet de serre sont en diminution. La situation est particulièrement absurde puisque dans ce cas, le protocole de Kyoto (1997), un dispositif de l’ONU, encourage la production d’un gaz dont un autre dispositif de l’ONU, le protocole de Montréal (1987) demande l’éradication.

Devons-nous néanmoins nous réjouir qu’il existe une législation sur les HFC-23 ? Ne devrions-nous pas exclure les MDP des ETS pour encourager le développement de solutions plus durables et équitables de réduction de production d’émissions de HCFC-22 ? Ne devrions-nous pas exiger des accords sectoriels et internationaux ? Et surtout ne faudrait-il pas améliorer la répartition des projets et ne les autoriser que là où ils sont réellement nécessaires ?

Quelques chiffres

En 2009, 78 millions CER ont été échangés dans le systèmes ETS (861 million d’euros[[SANDBAG, juillet 2010.]] ) . Ce qui équivaut à 4,2% des permis pour 2009[[Id.]].

60% de ces CER viennent de projet de destruction de HFC.

Le MDP pourrait généré plus d’un milliard de crédits pour 2012, valant 10 à 15 milliards d’euros .

Carte interactive SANDBAG permettant de voir par pays l’état des lieux des CER : la Belgique en a reçu 634.893 pour 2009 et 1.545.367 pour 2008.

Voir aussi :

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Arcelor Mittal/Ougrée : quand polluer rapporte gros

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