Vision Rail 2040 : un futur désirable ?

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Comme nous vous l’annoncions ici en mai 2021, les choses se sont accélérées pour le rail en 2022 avec l’adoption par le Conseil des Ministres d’une Vision Rail 2040 le 6 mai et l’avancée à grand pas des négociations sur les contrats de gestion (dits de « service public » pour la SNCB et de « performance » pour Infrabel) et les plans pluriannuels d’investissement des deux entreprises publiques ferroviaires. Ces négociations doivent notamment permettre d’opérationnaliser la Vision Rail 2040 et ainsi d’en soutenir la mise en œuvre. Cette vision (consultable sur le site du SPF Mobilité) est orientée autour de 4 axes, que nous allons détailler ci-dessous.

La Vision Rail 2040 : vers un futur désirable pour le rail

Axe 1 : Le rail au service de plus de voyageurs et de plus d’entreprises

Ce premier axe vise avant tout à augmenter l’attractivité du rail afin de passer d’une part modale de 8 à 15% d’ici 2040 pour le transport de voyageur et de 12 à 20% pour le fret1. Afin de répondre à ces objectifs, la vision propose des pistes pour développer une offre à même d’attirer de nouveaux clients, notamment en développant les trains suburbains, les liaisons transfrontalières, et en valorisant au mieux l’infrastructure fret existante (via, par exemple, le développement d’un catalogue sillons numérisé). En plus de ces pistes, la Vision Rail 2040 définit également un objectif de fréquence d’un train toutes les 15 minutes aux abords des grandes villes et toutes les 30 minutes sur le reste du réseau. Une autre avancée majeure instaurée par cette vision, et défendue par Canopea depuis des années au travers de sa participation à l’initiative Integrato, est la définition du principe d’un horaire cadencé symétrique basé sur des nœuds de correspondance comme ligne directrice dans la définition des horaires pour les trains de voyageurs. Ce principe, inspiré du système ferroviaire Suisse et que nous vous présentions dans une nIEWs de 2017, permet une meilleure gestion des correspondances en instaurant des points de rendez-vous en gare à horaires fixes (’00, ’15, ’30 ou ’45). Une telle adaptation du schéma d’exploitation implique un renversement complet de la perspective pour le secteur. En effet, ce n’est plus l’horaire qui doit s’adapter à l’infrastructure, mais l’infrastructure qui doit s’adapter à l’horaire. Le plan de transport de la SNCB (seule entreprise en charge du transport de voyageurs en Belgique) définissant dorénavant les besoins en investissement d’Infrabel pour le transport de voyageurs, cela implique donc une collaboration accrue entre l’Etat, la SNCB et Infrabel.

Axe 2 : le rail au service des clients

Le deuxième axe de la Vision Rail 2040 vise une amélioration qualitative de l’offre, et notamment de l’expérience client (voyageurs ou transporteurs). Dans le cas du transport de voyageurs, l’accent est mis sur l’accessibilité des gares et des trains, la redynamisation des gares, une tarification attractive et simplifiée (notamment en proposant des formules intégrées avec d’autres opérateurs de transport), ou encore une meilleure information des voyageurs. Une amélioration du confort, de la sécurité, et des liaisons internationales est également évoquée. Pour ce qui est du fret, la vision promeut une nouvelle politique de stationnement, une meilleure gestion du triage, ou encore un travail sur les raccordements industriels. Dans les deux cas (voyageurs et fret), un travail sur une meilleure anticipation des travaux par Infrabel est également recommandé.

Axe 3 : le rail plus durable

Le troisième axe porte sur la durabilité du secteur ferroviaire. Deux aspects de cette durabilité sont distingués : ceux portant directement sur le cœur de métier et ceux, plus génériques, qui touchent à la responsabilité sociétale des entreprises ferroviaires. Pour ce qui est des mesures métiers, la vision promeut, à l’horizon 2040, l’utilisation d’une énergie 100% verte, le respect de la biodiversité (désherbage sans pesticides, plantations de haies, etc.) ou encore une diminution des nuisances (notamment sonores et vibratoires). Pour les mesures plus globales sont citées des pratiques de réduction des déchets et d’économie circulaire (incluant le recyclage), l’utilisation d’appels d’offres incluant des critères environnementaux, ou la production d’énergie renouvelable et l’amélioration de l’efficacité énergétique.

Axe 4 : le rail au service d’une approche globale de la mobilité

Enfin, le dernier axe de la Vision Rail 2040 concerne le développement de la multimodalité, avec notamment une meilleure connexion du rail avec les moyens de transport régionaux (le TEC en Wallonie), une meilleure accessibilité des gares pour les modes actifs (notamment la marche ou le vélo) et partagés (notamment l’autopartage), ainsi que la mise en place d’une mobilité servicielle ou MaaS2. D’autres aspects plus globaux sont également mentionnés dans cet axe, notamment l’aménagement du territoire ou la fiscalité.

Que penser de la Vision Rail 2040 ?

Dans l’ensemble, cette Vision Rail 2040 est en adéquation avec les positions portées par Canopea depuis des années. Elle représente également une avancée institutionnelle forte en étant la première vision à long terme pour le rail, qui a par le passé eu tendance à voyager à vue. L’allongement de l’horizon temporel dans la politique ferroviaire a également donné lieu à un allongement de la durée des contrats de gestion et des plans pluriannuels d’investissement associés, passant de 5 à 10 ans (en gardant néanmoins une évaluation au bout de 5 ans). Cette augmentation, nécessaire au vu des temps longs qui régissent le secteur (les durées d’amortissement des actifs pouvant s’étirer sur des dizaines d’années), implique néanmoins des efforts de planification plus important, soutenant l’intérêt d’une vision long terme telle que la Vision Rail 2040.

Une destination définie mais un chemin (de fer) encore à construire

Si la direction de la vision semble la bonne, le risque majeur associé à cette vision est l’incertitude quant à sa capacité à arriver à destination. En effet, la vision telle qu’adoptée n’intègre volontairement pas de données budgétaires, ce qu’a pointé du doigt l’Inspection des Finances3. Afin de se concrétiser, elle doit donc se traduire dans les contrats de gestion et être soutenue par les plans pluriannuels d’investissement.

Les négociations, entamées en avril 2021 par la publication des « spécifications préalables des objectifs, de l’objet et du périmètre des futurs contrats de gestion», entrent dans leur phase finale. Et pour cause : la Belgique doit informer les instances Européennes de son choix de laisser le monopole du transport de voyageur à la SNCB sans appel d’offre (« direct award ») d’ici le 24 décembre 2022. Ainsi, les premières moutures des contrats de gestions et plans pluriannuels d’investissement ont été validées par les conseils d’administration des deux entreprises ferroviaires en mai et soumises à consultation. Comme le souligne l’avis commun (consultable ici) du CCE, du CNT et du CFDD (où Canopea siège) « le financement que les autorités publiques mettront à la disposition d’Infrabel par le biais du plan pluriannuel d’investissement déterminera si ces plans pourront être mis en œuvre et à quel rythme ». Les montants alloués au rail par le gouvernement fédéral seront donc cruciaux pour assurer la bonne réalisation de la Vision Rail 2040.

Une conjoncture qui complique la situation… mais rend d’autant plus nécessaire la mise en place de la Vision Rail 2040

Ce moment charnière pour le rail correspond également à un contexte compliqué, catégorisé par l’explosion des prix de l’énergie. Cette explosion a eu un impact énorme sur l’indice des prix à la consommation, utilisé pour calculer l’inflation. Ainsi, cette dernière est estimée par le Bureau du Plan4 à 9,4% pour l’année 2022 et 6,5% en 2023, contre 2,44% en 2021. Les ordres de grandeurs sont les mêmes pour l’« indice santé », utilisé pour calculer l’indexation des salaires.

Or le rail est le plus grand consommateur d’électricité du pays : la SNCB consomme 1,1 TWh uniquement pour la traction de ses trains (85% de sa consommation énergétique), ce qui correspond à la consommation électrique de l’ensemble des ménages des provinces de Namur et Luxembourg réunis5. De plus, les deux entreprises ferroviaires sont toutes deux de très gros employeurs (18 000 employés pour la SNCB, 9 500 pour Infrabel, sans compter les emplois indirects), et sont donc sensibles à l’indexation automatique des salaires. Ainsi, la SNCB estime à 460 millions d’euros l’augmentation de ses dépenses d’ici 2023, 300 millions associés aux prix de l’énergie et 160 millions liés à l’indexation des salaires6.

Cette augmentation du prix de l’énergie implique des surcoûts vis-à-vis des chiffres inclus dans les premières versions des plans pluriannuels d’investissement, qui doivent donc être indexés. Cette hausse du budget global ne doit cependant pas faire perdre de vue la nécessité d’une augmentation additionnelle de la dotation aux entreprises ferroviaires, et notamment à Infrabel. En effet, l’avis du CCE, du CNT et du CFDD souligne le risque que le budget prévu par le plan pluriannuel d’investissement du gestionnaire d’infrastructure soit insuffisant pour supprimer les goulots d’étranglement prioritaires identifiés par celui-ci. De plus, le retard pris ces dernières années sur le maintien de l’infrastructure est conséquent, et il est urgent d’agir afin d’éviter des conséquences irréversibles. Une dotation insuffisante d’Infrabel aura un impact direct sur la ponctualité des trains, notamment via l’augmentation des avis de ralentissement temporaire (ART). De son côté, un manque de dotation de la SNCB risque d’induire une nécessaire augmentation des tarifs7, qui pourrait être très dommageable si celle-ci est supérieur à la hausse de l’indice santé (et donc à l’indexation des salaires). Ces deux impacts réunis engendreraient une réduction de l’attractivité du train par rapport à d’autres moyens de transport. Il est donc nécessaire d’augmenter la dotation aux entreprises ferroviaires, et ce d’autant plus du fait de la conjoncture.

En effet, cette hausse des prix de l’énergie peut aussi représenter une opportunité. Elle met en lumière l’intérêt d’augmenter les ambitions à court terme des deux entreprises ferroviaires en matière d’efficacité énergétique et de production d’énergie renouvelable, ceci afin de limiter leurs coûts et d’améliorer leur résilience. A défaut d’augmenter le budget global associé à ces investissements, une révision de l’échéancier afin d’avancer les investissements sur ces deux points (par exemple en accélérant le remplacement prévu du matériel roulant) pourrait déjà permettre une réduction de la facture énergétique des deux entreprises. Il nous semble donc prioritaire d’accélérer la mise en place de l’axe 3 de la Vision Rail 2040.

Vers un financement du rail qui stimule le report modal et supprime les distorsions de concurrence

Afin de donner de l’air à la SNCB, le ministre fédéral de la mobilité, Georges Gilkinet, a proposé de baisser la TVA sur les titres de transport de 6 à 0%8. Selon le ministre, cette mesure représenterait un transfert de 100 millions d’euros des caisses de l’état vers celles de la SNCB, et indirectement vers celles d’Infrabel à travers la « redevance sillon » payée par la SNCB. Cette mesure est intéressante mais n’est pas suffisante au vu des augmentations de dépenses attendues. Ainsi, il est nécessaire de trouver de nouvelles recettes fiscales. Celles-ci doivent émaner de modes de transports plus polluants, tel l’avion ou les transports routiers, afin de supprimer les distorsions de concurrence et de soutenir un réel report modal. En effet, ces modes de transport font l’objet d’exonération d’accises sur les carburants, ce qui n’est pas le cas de l’électricité (90% du réseau ferroviaire Belge étant électrifié). De plus, les coûts externes qui leurs sont associés ne sont pas intégrés dans leur prix. Ainsi, de nouvelles recettes pourraient être trouvées en augmentant la taxe sur l’aviation, bien trop faible pour induire un signal-prix et avoir un réel impact sur les comportements9, l’augmentation et l’extension de la taxe kilométrique pour les poids lourds, ou la fiscalité sur les voitures de société.

Conclusion

La Vision Rail 2040 va clairement dans le bon sens et promeut un futur ferroviaire désirable. Contrairement à certains, il ne nous semble pas que cette Vision Rail 2040 soit irréalisable. Néanmoins, sa mise en place, que Canopea appelle de ses vœux, ne pourra se faire que si les budgets nécessaires sont débloqués par le gouvernent fédéral. Ces budgets doivent cibler tant l’amélioration de l’attractivité du train (afin d’attirer de nouveaux clients et donc d’augmenter les recettes) que l’amélioration de l’efficacité énergétique et la production d’énergie renouvelable (permettant de réduire les coûts). Cette augmentation des budgets prévus pour le rail doit venir en priorité d’une fiscalité prenant mieux en compte les externalités négatives associées aux moyens de transport plus polluants, permettant ainsi de soutenir le report modal vers le train et donc d’améliorer la rentabilité des investissements ferroviaires.


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  1. Pour comparaison, la Région Wallonne ambitionne, dans sa vision FAST, d’atteindre en 2030 une part modale du train de 15% pour le transport de voyageur et de 7% pour le fret.
  2. La mobilité servicielle fait l’objet d’une vision interfédérale (en cours de rédaction) sur laquelle Canopea, via son implication dans le CFDD, a pu émettre des recommandations (avis consultable ici).
  3. Guillaume, T. (2022) L’Inspection des Finances tacle le plan du ministre Gilkinet pour le rail. La Libre Belgique. 05/05/22
  4. Estimations du 6 septembre 2022
  5. Sur base d’une consommation électrique moyenne de 3500 kWh/an (profil moyen CREG) et du census de 2011.
  6. Guillaume, T. (2022) La SNCB estime que la crise énergétique augmentera ses dépenses de 460 millions d’ici la fin 2023. La Libre Belgique. 06/09/22
  7. Augmentation déjà demandée par la SNCB à son Conseil d’Administration ; voir à ce sujet Colleyn, M. (2022) La SNCB veut augmenter ses tarifs de près de 10%. L’Echo. 17/09/22
  8. Barkhuysen, G. (2022) Georges Gilkinet: «Supprimons la TVA sur les titres de transport». L’Avenir. 05/09/22
  9. Spaey, M. (2022) Aviation: une taxe moins chère qu’un sandwich à l’aéroport… La Libre Eco. 27/01/22