100 km/h : chronique du bac à sable

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Ce 09 septembre, le Ministre wallon du Climat présentait le projet de Plan Air Climat Energie (PACE) 2030. Un plan visant à mettre la Wallonie sur la trajectoire de la neutralité carbone en 2050. Parmi les mesures envisagées figure (enfin !) la réduction des vitesses sur l’ensemble du réseau routier, notamment à 100 km/h sur autoroute. Cette mesure a suscité des commentaires acerbes des présidents du PS et du MR. Commentons à notre tour…

Le plan présenté par le Ministre du Climat vise à répondre aux « obligations » européennes de la Belgique (et donc de la Wallonie) en matière de politique climatique – et plus fondamentalement à relever le défi climatique auquel politiques et citoyen.ne.s ont trop longtemps accordé une attention polie mais distante. Comme le formulait il y a quelques jours notre collègue Arnaud Collignon : « Maintenant, c’est fini, il faut y aller. Et ça ne se fera pas sans bousculer ».

Les mesures du projet de PACE 2030 ne sortent pas d’un chapeau. Recommandations des experts académiques, propositions des parties prenantes et panel citoyen ont notamment nourri la réflexion. Sans oublier, bien sûr, le travail colossal de l’administration.

Concernant la réduction des vitesses, il est utile de rappeler que, en 2007, le service public fédéral Mobilité et Transports (SPF MT), dans sa proposition de « plan Kyoto Transport » recommandait l’abaissement des vitesses maximales autorisées (VMA), « l’une des mesures les plus efficaces pour limiter les émissions de CO2 » des transports. Les limites de VMA proposées à l’époque étaient plus élevées que celles de la proposition de PACE wallon. Mais nous étions alors en 2007. Et l’état du climat planétaire s’est depuis lors… comment dire ? quelque peu détérioré. Pour l’anecdote, le Plan Kyoto Transport du SPF MT qui ambitionnait de faire baisser les émissions de CO2 des transports en Belgique de 25% en 2020 fut superbement ignoré (ou lamentablement snobé) par la sphère politique et tomba aux oubliettes. Conséquence très concrète : les émissions des transports n’ont pas diminué.

La réduction des limitations de vitesse est une mesure qui permet tout à la fois de :

  • diminuer les émissions de CO2 du secteur des transports ;
  • réduire la consommation de pétrole, ce qui est bon pour le portefeuille des automobilistes comme pour la balance commerciale des pays européens ; dès le début de la guerre en Ukraine, cette mesure fut proposée par une large coalition de parties prenantes ;
  • améliorer la sécurité routière, ce qui explique que le Conseil Européen pour la Sécurité des Transports (ETSC) figurait dans cette coalition.

Tout ceci avec des « dommages collatéraux » fort limités : pour parcourir 50 km à une vitesse constante de 120 km/h, il faut 25 minutes ; et 30 minutes à une vitesse constante de 100 km/h.

L’abaissement de la vitesse maximale autorisée sur autoroute est activement promu par l’association Grands-Parents pour le Climat (GPC) en tant que mesure efficace, équitable et solidaire. Les membres de GPC ne se contentent pas de mener un plaidoyer politique : elles et ils montrent également l’exemple en pratiquant leurs propres recommandations. Et proposent un autocollant de sensibilisation que les personnes désireuses de rejoindre le mouvement peuvent utilement placer sur leur véhicule.

Pour reprendre les mots d’Eric Deffet dans un article publié juste après les faits, les présidents du PS et du MR ont « dézingué cette mesure à l’unisson ». Pour le second, « Il s’agit d’une pièce à casser et elle sera cassée ! » On appréciera cette volonté de casser un plan climat équilibré et ambitieux (même si insuffisant à nos yeux d’environnementalistes) au moment même où le secrétaire général des Nations Unies, Monsieur Antonio Gutteres, découvrant un Pakistan dévasté par les inondations après une vague de chaleur et des feux de forêts ravageurs, déclarait « Nous devons stopper cette folie avec laquelle nous traitons la nature […] C’est maintenant qu’il faut réduire les émissions ».

Les propos du président du PS, toujours rapportés par Eric Deffet, sont plus policés mais potentiellement tout aussi délétères : « Je ne suis pas pour les méthodes punitives. Je ne crois pas que c’est en sanctionnant les gens qu’on va les convaincre de contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique ». Associer une mesure que l’on ne peut même pas qualifier de disruptive à une sanction, à une punition, ne peut qu’en renforcer le rejet par les citoyens. Ceci dans un contexte où les mesures disruptives sont devenues indispensables. Comme le souligne Arnaud Collignon dans l’article précité : « Certains décideurs politiques veulent laisser entendre qu’on pourrait répondre à la crise climatique de manière scientifiquement crédible sans prendre des mesures qui affectent profondément notre manière de fonctionner. Les chiffres leurs donnent tort ! ».

Creusons un peu la question. Passer d’une vitesse maximale de 120 km/h à 100 km/h sur autoroute s’apparenterait donc à « punir » ou « sanctionner les gens ».

  • D’une part, les termes utilisés sont inadéquats. La sanction de la part d’une autorité suppose la transgression préalable d’une règle. Dans notre système démocratique, c’est au pouvoir judiciaire qu’il revient de sanctionner la transgression d’une règle établie par le pouvoir législatif (un dépassement de la vitesse maximale autorisée, par exemple). L’édiction d’une nouvelle règle par un pouvoir législatif démocratiquement élu (et dans les limites du respect des libertés constitutionnelles, bien sûr) ne constitue en aucun cas une sanction.
  • D’autre part, ces termes sont dangereux. Ils laissent implicitement penser que l’abaissement de la vitesse maximale autorisée induirait une diminution de la qualité de vie ou de la liberté des citoyens. Il convient à ce propos de préciser qu’une règle (le 120 km/h sur autoroute en l’occurrence) est par définition arbitraire. Au moment où cette VMA a été adoptée, elle avait été considérée comme offrant le meilleur compromis entre deux objectifs contradictoires : une vitesse de circulation élevée et une faible insécurité routière. Le contexte a depuis lors fortement changé. Les charges de trafic se sont accrues, les véhicules ont évolué… mais surtout l‘enjeu climatique est (devrait être ?) devenu central. Lorsque le contexte change, il est sain de reconsidérer les règles à appliquer.

Par ailleurs, un abaissement des vitesses pratiquées sur l’ensemble du réseau routier est aussi indispensable pour atteindre les objectifs de diminution du nombre de victimes de la route (blessés graves et tués). Il convient à ce propos de rappeler que, contrairement à une légende urbaine plus que tenace, les tronçons d’autoroutes allemandes non soumis à limitation de vitesse sont beaucoup plus accidentogènes que ceux où la vitesse est limitée1. De plus, vu le renchérissement du prix du carburant, les personnes qui disposent de faibles moyens financiers ont tendance à limiter d’elles-mêmes leur vitesse pour réduire leur consommation, contrairement aux personnes mieux loties au niveau financier. Ceci a pour effet d’accroître les différentiels de vitesse entre véhicules – et donc l’insécurité routière.

Dans sa chronique matinale du 12 septembre consacrée à la séquence politique dont il est ici question, Bertrand Henne utilisait l’expression « flagrant délit de populisme climatique » pour qualifier les déclarations des présidents du PS et du MR. On ne peut malheureusement que lui donner raison.

Le 09 mai 2019, Pierre Kroll avait intitulé « des nouvelles du bac à sable » son dessin du jour publié dans Le Soir. Il transposait dans ledit bac ce que l’on nomme généralement « l’arène politique ». Ce dessin reste malheureusement d’actualité.

Il est triste de constater, comme le font l’analyste politique et le dessinateur de presse précités, que les logiques de « politique politicienne » prévalent encore trop souvent. Ce qui, en l’occurrence, n’est pas sans conséquences sur notre capacité commune à relever le défi climatique. Si même une mesure objectivement aussi peu disruptive que celle-là est balayée d’un revers de main (ou peu s’en faut) par les deux plus grands partis de Wallonie (alors même que l’adoption de mesures réellement disruptives est indispensable pour répondre aux enjeux environnementaux), il est fort à craindre que les pires scénarios d’évolution du climat ne se concrétisent.


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  1. Courbe P. 2019. LISA Car – La voiture de demain. Namur : Inter-Environnement Wallonie, p. 41-42