ACEA, Corona et climat

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Ce 26 mars, l’association des constructeurs européens d’automobiles (ACEA), l’association des équipementiers automobiles européens (CLEPA), l’association des fabricants européens de pneus et de caoutchouc (ETRMA) et l’organisation faîtière des concessionnaires et garagistes européens (CECRA) adressaient un courrier commun à la Commission européenne.

Après une introduction toute en humilité et un rappel du poids de l’industrie automobile en Europe, l’ACEA et les autres signataires du courrier entament un numéro dans lequel ils excellent : celui de la victimisation. Leur secteur est, estiment-ils, particulièrement impacté par la crise sanitaire. Notons au passage que de très nombreux secteurs pourraient en dire tout autant – ce que beaucoup font d’ailleurs, mais souvent avec un peu plus de retenue.

Pas ingrats, les lobbies de l’automobile accueillent favorablement les mesures décidées et recommandées par la Commission européenne pour aider les acteurs économiques à faire face aux conséquences de la crise sanitaire – tout en réclamant, au passage, un accès accru aux liquidités pour les entreprises.

Tout ceci, bien sûr, ne constituait qu’une mise en bouche. L’ingestion de ce qui suit requiert un estomac à toute épreuve. Bien sûr, assurent les constructeurs, leur intention n’est nullement de remettre en cause la législation établissant leurs obligations en termes de sécurité routière, de climat et d’environnement. Bien sûr. Qui en douterait ? Il n’empêche que … quelques ajustements devraient être apportés aux calendriers d’entrée en vigueur de ces législations. Ceci, comprenez bien, dans un but tout à fait désintéressé : permettre à notre société de mener la double transformation de la décarbonisation et de la digitalisation.

Les personnes non averties ne percevant peut-être pas toute la sournoiserie de la démarche, un mot d’explication s’impose. Attachons-nous donc à identifier en quoi la législation européenne appliquant (sans grande ambition) l’objectif climatique au secteur automobile pourrait, en ces temps de crise sanitaire, nuire au secteur.

Le règlement (UE) 2019/631 fixe aux constructeurs d’automobiles des objectifs de réduction des émissions de CO2 des voitures neuves vendues en Europe, en cohérence avec les législations précédentes adoptées en 2009 et en 2014. Les objectifs pour les années 2020 et 2021 sont connus depuis 2014 : la moyenne des émissions de CO2 des voitures neuves vendues en Europe ne pourra pas être supérieure 95 gCO2/km. Cet objectif ne concerne que 95% des ventes en 2020 (les constructeurs peuvent en exclure les 5% de voitures les plus émettrices) et s’applique à 100% des ventes en 2021. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que l’objectif ne dépend pas du nombre de voitures vendues (il s’agit d’une moyenne calculée sur l’ensemble des voitures vendues, quel que soit leur nombre), mais de leur type (les voitures plus lourdes, plus puissantes, consomment plus d’énergie et émettent donc plus de CO2). Et c’est là que réside le souci des constructeurs : depuis des années, ils ont incité les citoyens à acheter des voitures inutilement lourdes, puissantes, rapides, peu aérodynamiques. Ils ont multiplié le nombre de modèles de type « SUV ». Bref, ils ont eux-mêmes créé des conditions défavorables à l’atteinte des objectifs climatiques.

La crise sanitaire ne devrait en rien leur compliquer la tâche. Que du contraire, même. Cette crise va réduire – a déjà réduit – les moyens financiers de millions d’Européen.ne.s. Avec deux conséquences immédiates sur les achats de voitures neuves : (a) le report de l’achat à plus tard pour certain.e.s (ce qui n’aura pas d’impact sur la moyenne des émissions) et (b) l’achat d’un véhicule plus modeste pour d’autres. Or, les véhicules plus modestes, moins chers, moins lourds, moins puissants (qui sont aussi moins dangereux, soit dit en passant) émettent moins de CO2. Ainsi, suite à la crise financière de 2008 – 2009, la moyenne des émissions de CO2 des véhicules neufs vendus en Europe a baissé de 5,1% sur un an – ce qui ne s’était jamais vu et ne s’est plus jamais vu depuis.

Résumons-nous. La crise sanitaire endeuille des milliers de familles en Europe. Elle entraîne d’innombrables souffrances. Il est impossible, à l’heure actuelle, d’en établir toute les conséquences humaines, sociales, culturelles, économiques. Pas gênés pour un sou, l’ACEA et ses pairs prennent prétexte de cette crise majeure pour demander un report des objectifs climatiques que leur assigne la législation européenne (comme si le défi climatique pouvait attendre). Alors même que si cette crise produit un effet sur lesdits objectifs, ce sera de faciliter leur respect par les constructeurs.

On a beau être habitué, il y a des jours où ces comportements odieux deviennent juste insupportables.


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