Cache-cache tofu au Salon International de l’Agriculture

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Le Salon International de l’Agriculture (SIA 2023) se déroulait du 25 février au 5 mars 2023 à Paris. L’occasion pour les éleveurs, animaux, producteurs, et autres acteurs de la filière alimentaire de partager avec le grand public leur métier, les enjeux de leur quotidien et faire découvrir l’agriculture à tous. Mais quelle agriculture exactement ?

On fait le point sur la place de la viande et des protéines animales dans le SIA 2023 ainsi que dans nos assiettes.

Dans un article de Reporterre, Florimond Peureux, directeur de l’Observatoire national des alimentations végétales (Onav), exprimait sa déception quant à la place laissée aux produits à base de plantes lors du Salon de l’Agriculture. Même si des alternatives végétales sont proposées/exposées par endroit, l’omniprésence d’aliments d’origine animale empêche le visiteur de se projeter dans un autre modèle agricole.

Dans l’article, il nous partage son expérience. Ici et là, des étalages de foie gras, de fromage, de pâté, de saucisson. Les visiteurs déambulent entre ces stands qui font la promotion des « produits du terroir et saveurs de la France ». Partout, la protéine animale est reine. Nulle part, la transition agricole et alimentaire n’est au rendez-vous.

Pied de nez à la santé humaine et planétaire 

La vision de ces ribambelles de saucissons, jambons et fromages paraît hors du temps (en tout cas des réalités de notre temps). Elle semble se moquer de ce que dit la science et fait un (joli ?) pied de nez à la santé humaine et planétaire.

En effet, les bénéfices santé d’une réduction de notre consommation de viande ne sont plus à démontrer. La surconsommation de viande rouge1 et/ou transformée2 est associée à un risque accru de développer des maladies cardiovasculaires, métaboliques ou certains cancers. Dans ses recommandations de 2019, le Conseil Supérieur de la Santé (CSS) préconise un apport maximum de 300gr de viande rouge et 30gr de viande transformée par semaine. Il recommande aussi de diversifier ses apports protéiques en intégrant dans nos régimes des aliments à base de plantes et autres substituts de viande.

Si l’excès de protéines animales nuit à la santé, il contribue aussi fortement aux changements climatiques et à la détérioration de notre environnement (eg : pollution de l’eau, des sols, …). Dans son dernier rapport (AR6 WG3, Résumé Technique), le GIEC démontre que modifier nos habitudes alimentaires en augmentant la part de protéines végétales et en diminuant nos apports en acides gras saturés (principalement présents dans les aliments d’origine animale) conduirait à une diminution significative des émissions de gaz à effet de serre.

Ces impacts santé, climats et environnementaux sont résumés dans la figure ci-dessous.

Figure 1: Eat-Lancet : Impact environnemental et santé de différents aliments, 2019

Le régime « One Health »

Récemment (2019), la commission EAT3 en collaboration avec le journal The Lancet a publié un rapport qui identifie ce qu’ils appellent le « Planetary Health Diet » (le régime durable et sain), c’est-à-dire un régime qui permettrait de nourrir une population future de 10 milliards de personnes de façon saine et en respectant les frontières planétaires.

Selon ces scientifiques, le Planetary Health Diet consisterait en un régime flexitarien, essentiellement à base de plantes, favorisant la consommation de fruits, légumes, noix et légumineuses aux côtés de petites portions de viande et de produits laitiers (Figure 2). En termes d’apport protéiques par semaine, voici ce qu’ils proposent :  

Protéines animales/semaine :

  • Maximum 100g de viande rouge,
  • 200g de volaille,
  • L’équivalent de 300g de (produits à base de) viande
  • 200g de poisson,
  • 2 œufs,
  • 1750 g de produits laitiers.

Protéines végétales/semaine :

  • 500 g de légumineuses (pois chiches, haricots secs, lentilles, pois cassés …),
  • 350 g de noix, noisettes, amandes, cajou, …
Figure 2: Une assiette santé planétaire doit comprendre en volume environ une demi assiette de fruits et légumes ; et l’autre moitié, exprimée en calories, est constituée principalement de grains entiers, de protéines végétales, huiles végétales non saturées et (éventuellement) protéines animales en quantités modérées (EAT-Lancet, 2019) ? Pour plus d’informations, vous pouvez consultez cet article de Dr. Coquelicot.

Un rapport du GIEC de 2019 va aussi dans ce sens et démontre qu’un tel régime conduirait à une diminution mondiale de 5GT CO2 eq.an (Figure 3).

Figure 3: IPCC (2019): Spécial report on Climate Change and Land

Qu’en est-il de l’assiette belge ?

La dernière enquête nationale de consommation alimentaire remonte à 2014-2015. Voici les chiffres de l’époque :

  • La consommation de viande et de produits à base de viande s’élevait à 111 g/jour4, soit l’équivalent de 777 g/semaine (toute viande confondue), c’est-à-dire- plus du double des quantités préconisées dans le régime santé planétaire. De plus, des chiffres récents de Statbel montrent que la viande rouge et/ou transformée représente près de 70% de notre consommation de viande (544g/semaine). Il existe une grande disparité entre les hommes et les femmes, les hommes consommant en moyenne 924 g/semaine et les femmes 616 g/semaine.
  • En ce qui concerne le poisson, l’enquête de 2014 faisait ressortir une consommation moyenne de 23 g/jour, soit 167 g/semaine.
  • Finalement, notre consommation produits laitiers équivalait à 1302 g/semaine.

Autant dire qu’en Belgique, la (sur-)consommation de viande reste problématique. Elle se situe bien au-dessus de la moyenne européenne et, surtout, loin, loin (loin) des recommandations sanitaires et climatiques.

Le pouvoir de l’imaginaire collectif

Les symboles, les images, les récits sont puissants. Ils façonnent notre vision de la réalité, construisent notre imaginaire collectif. Or, l’imaginaire collectif d’un groupe/d’une société influence grandement sa capacité protestataire, d’adaptation, de changement…. Soit en la facilitant ou, au contraire, en la contraignant.

Pourquoi je vous parle de cela ? Car, sur le même pied que la publicité, les événements comme les foires et salons de l’agriculture nourrissent notre imaginaire collectif. L’omniprésence de la viande et autres produits d’origine animale dans l’espace public (publicitaire, événementiel) leur confère une primauté absolue. Difficile dans ce contexte de déconstruire cet imaginaire et de transitionner vers une alimentation essentiellement basée sur les plantes. Difficile et pourtant essentiel.

En 2022, 60% des visiteurs du SIA étaient des hommes. De manière générale, les hommes restent sur-représentés dans le milieu agricole. Or, nous l’avons vu plus haut, ils sont aussi les plus gros consommateurs de viande. Pour déconstruire le mythe autour de la viande, il est nécessaire que les alternatives végétales occupent l’espace de manière proportionnelle à l’espace qui leur est « réservé » dans l’assiette « santé planétaire ». En commençant par l’espace occupé lors de ces événements agricoles.  

Petite démonstration

Un être humain devrait consacrer la moitié de son alimentation en fruits et en légumes. C’est ce que dit le régime santé planétaire.

Or, cette abondance de produits d’origine animale nous fait croire que notre agriculture est incapable de produire en suffisance de tels aliments, pourtant essentiels au maintien d’une bonne santé de notre population. Cet outil : https://resiliencealimentaire.be permet d’illustrer, à l’échelle d’un territoire, les productions agricoles associées à ce territoire et le taux d’auto-approvisionnement pour l’alimentation humaine ou animale. Prenons l’exemple de la commune de Rochefort, qui produit 1 830% de ses besoins en viande de bœuf, 677% de ses besoins en lait, et 12% de ses besoins en légumes (sur base des habitudes alimentaires moyennes et non sur base des recommandations nutritionnelles). Si l’on veut relocaliser l’alimentation, cet exemple illustre bien le besoin de mettre en valeur les pratiques culturales qui nous nourrissent et non qui servent à l’exportation.

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  1. Définie comme de la viande de bœuf, de porc, de veau, de chèvre, de mouton et de cheval.
  2. Toute viande fumée, séchée ou salée à des fins de conservation ou traitée au moyen de conservateurs (chimiques) tels que les nitrites ou nitrates. La notion de viande transformée recouvre tous les produits dérivés à base de viande, en ce compris le jambon, le lard, le salami et les saucissons.
  3. EAT est une plateforme scientifique regroupant des experts d’à travers le monde qui réfléchit aux transformations du système alimentaire.
  4. Moyenne pour une population de 15 à 64 ans.