Climatoscepticisme ou climatonégationnisme ? Entre ignorance et manipulation

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Records de température, tempêtes à répétition et incendies d’une ampleur sans précédent : les preuves du dérèglement climatique sont là, sous nos yeux. Et pourtant, certaines personnes continuent à nier l’existence de ce phénomène… Comment expliquer cela ?

Qu’est-ce que le climatoscepticisme ?

Le climatoscepticisme est, selon la définition du Robert, « la mise en doute de l’impact des activités humaines sur le réchauffement climatique, voire du réchauffement climatique lui-même ».

Il regroupe plusieurs types de discours climatosceptiques, parfois contradictoires entre eux.

Le premier, le plus simple, consiste à mettre en doute l’existence même d’un réchauffement climatique.

Le scepticisme sur les causes reconnaît que le climat se réchauffe mais met en doute son origine.

Le scepticisme sur les conséquences reconnaît l’existence d’un réchauffement climatique et son origine anthropique mais minimise la gravité de ses conséquences, et donc la nécessité d’agir : « 2 ou 3 degrés en plus, ce n’est pas si grave… » C’est d’ailleurs pour contrebalancer ce discours que chez Canopea, nous préférons utiliser le terme de « dérèglement » climatique, le plus inquiétant n’étant pas le réchauffement en tant que tel mais la multiplication des événements extrêmes entraînés par ce dernier : incendies, canicules, inondations, etc.

L’importance de la sémantique

Le terme de « climatosceptiques » a été choisi par les opposants à la thèse du dérèglement climatique pour s’auto-désigner, le doute et l’esprit critique étant plutôt perçus comme des valeurs positives dans notre société, contrairement au déni.

C’est pourquoi nous souhaitons clarifier ci-dessous la distinction entre le vrai scepticisme (qui consiste à exprimer des doutes) et le négationnisme (qui consiste à nier l’évidence).

Climatoscepticisme et manque d’information

En tant que travailleuse du secteur associatif environnemental, il me semble que l’information sur le climat est omniprésente, partout, tout le temps. Chaque jour en lisant la presse ou en écoutant la radio, je ne peux que constater la multiplication des phénomènes climatiques extrêmes un peu partout dans le monde : pluies diluviennes et ouragans aux Etats-Unis, canicule en France, incendies dramatiques au Canada, à Tenerife et en Grèce, etc. Sur les réseaux sociaux aussi, je constate que de plus en plus de personnes partagent des informations sur le sujet. Si on ajoute à cela les nombreuses newsletters d’associations environnementales auxquelles je suis abonnée, et les conversations entre collègues et entre bénévoles des associations dont je suis membre, parfois que je me dis que c’en est trop : j’en ai marre d’entendre parler de climat ! Avec un tel volume d’informations disponibles, comment ne pas être sensibilisée à cette problématique ?

Mais ma perception est biaisée… En effet, lorsque j’organise des activités dans l’espace public pour toucher un public plus large que les « déjà convaincu·e·s », je constate que certaines personnes manquent cruellement d’information sur le sujet. Tout le monde ne lit pas la presse et n’écoute pas la radio, et les algorithmes des réseaux sociaux ne nous montrent que ce que nous voulons voir : une personne qui ne s’intéresse pas aux questions environnementales ne verra aucune publication sur le sujet dans son fil d’actualité.

Le climatoscepticisme peut donc être le résultat d’une absence d’information ou d’une information imprécise ou trop partielle. N’ayant pas tous les éléments à disposition pour comprendre le phénomène de dérèglement climatique, certaines personnes expriment des doutes ; c’est en soi une réaction saine, un réel scepticisme qui témoigne d’un esprit critique bien développé. Dans ce cas, il suffit de fournir à ces personnes les informations manquantes pour leur permettre d’appréhender le phénomène. Par exemple, une explication de l’effet de serre et du fait que l’augmentation de température observée actuellement, d’une rapidité sans précédent, ne peut pas être expliquée par des facteurs naturels, contrairement aux changements climatiques passés. Grâce à ces informations, le point de vue des personnes réellement sceptiques peut évoluer : « grâce à vous j’ai appris quelque chose », « merci pour vos explications, maintenant je comprends mieux le problème », etc.

Climatonégationnisme et désinformation

Une autre attitude beaucoup plus problématique est celle qui consiste à nier activement l’existence du dérèglement climatique (et/ou ses causes anthropiques et/ou l’ampleur de ses conséquences) en répandant de fausses informations dans les médias et sur les réseaux sociaux. Il ne s’agit plus ici de climatoscepticisme mais de climatonégationnisme, aussi parfois appelé climato-dénialisme, fondé non pas sur une attitude de doute mais de déni complet.

Qui sont les climatonégationnistes ?

Des chercheurs du CNRS ont étudié les profils de 10 000 climatonégationnistes sur Twitter (maintenant X) ; ces personnes sont majoritairement issues du mouvement antivax et de l’extrême droite.

La controverse autour des vaccins contre la Covid-19 a d’ailleurs été utilisée pour décrédibiliser la science de manière générale, servant ainsi la cause des climatonégationnistes bien que ces deux crises se distinguent par des temporalités très différentes. En effet, l’épidémie de Covid-19 est survenue de manière brutale et a contraint scientifiques et gouvernements à réagir dans l’urgence malgré de nombreuses incertitudes sur le fonctionnement de ce virus. En revanche, le problème climatique est loin d’être nouveau pour la science.

Déjà en 1896, Arrhenius prédisait que les gaz à effet de serre émis par les activités industrielles pourraient causer une augmentation de la température de plusieurs degrés. Depuis les années 1970, un grand nombre d’études scientifiques sont venues confirmer cette théorie. La controverse et l’incertitude font d’ailleurs partie intégrante de l’évolution de la science, et ne remettent pas en cause sa validité. En 1990, les scientifiques du GIEC eux-mêmes observaient une augmentation des températures mais déclaraient qu’une incertitude subsistait quant à son origine anthropique. Depuis, l’ampleur et la rapidité sans précédent de cette augmentation, qui ne peuvent être expliquées par la variabilité naturelle du climat, sont venues confirmer l’origine anthropique de ce dérèglement, qui fait maintenant l’objet d’un consensus très large au sein de la communauté scientifique. 

Pour justifier la non prise en compte des données scientifiques, les discours climatonégationnistes s’appuient donc sur diverses théories du complot plus farfelues les unes que les autres : le dérèglement climatique serait une invention des Chinois pour mettre à mal la compétitivité de l’industrie américaine, les scientifiques du GIEC seraient payés par Bill Gates dans le but d’imposer une dictature écologique mondiale, les incendies seraient causés par des rayons laser envoyés par des grandes puissances pour exterminer la population, etc. L’utilisation de théories complotistes par l’extrême droite n’est d’ailleurs pas nouvelle : au cours de l’histoire, les discours complotistes ont été très souvent associés à l’antisémitisme, notamment au cours de la propagande précédant la seconde guerre mondiale.

Quels intérêts sont en jeu ?

Les intérêts des climatonégationnistes sont de trois grands types. Tout d’abord, les plus évidents sont les intérêts économiques, en particulier ceux du secteur des énergies fossiles, dont les activités sont directement menacées par la lutte contre le dérèglement climatique. Certaines entreprises paient donc des influenceurs pour diffuser des messages climato-négationnistes sur les réseaux sociaux ; ces derniers s’appuient notamment sur les publications de Wei-Hock Soon…  dont les recherches ont été financées à hauteur de plus d’un million de dollars par des entreprises pétrolières ! C’est assez ironique quand on sait que certains climato-négationnistes n’hésitent pas à multiplier les attaques personnelles envers les scientifiques du GIEC, et à les accuser de corruption. Il s’agit d’une stratégie similaire à celle adoptée par les cigarettiers qui, malgré une modification de la technique de séchage du tabac et l’ajout de nombreux additifs rendant leurs cigarettes toujours plus addictives et plus nocives, ont financé de nombreuses contre-études pour retarder la prise de conscience de la cancérogénicité de leur produit.

Le climato-négationnisme sert également des intérêts politiques : certains utilisent la question climatique pour créer un climat de discorde et se démarquer des partis qui incluent la lutte climatique dans leurs programmes. C’est le cas par exemple de Donald Trump qui a largement contribué à répandre des messages climato-négationnistes sur les réseaux sociaux.

Enfin, semer le doute sur la question climatique peut être une stratégie utilisée par les régimes totalitaires pour créer un « climat de discorde » et « diviser pour mieux régner » autour de la question climatique. C’est le cas par exemple du régime de Poutine, marqué d’ailleurs par une forte dépendance économique au gaz et au pétrole…

Quels systèmes de valeurs ?

Hourcade & Wagener mettent en évidence une forte corrélation entre les discours climatonégationnistes et les discours nationalistes et spécistes ; le climatonégationnisme serait donc l’expression d’un attachement démesuré au modèle industriel capitaliste dominant, basé sur la domination de la nature et de certaines catégories d’humains. Certains climatonégationnistes considèrent d’ailleurs la militance écologiste comme le nouveau visage du communisme.

Cependant, nous constatons que parmi les citoyens et citoyennes qui partagent des idées climatonégationnistes, se trouvent aussi des anticapitalistes radicaux, se situant donc plutôt à l’extrême gauche du spectre politique. Finalement, le point commun entre les climatonégationnistes semble être un rejet de toutes les institutions (qu’elles soient scientifiques ou politiques). Les entreprises capitalistes qui se sentent menacées par la crise climatique profitent de la perte de confiance d’une partie de la population dans le système démocratique pour manipuler ces personnes en diffusant des messages climatonégationnistes assortis de théories du complot qui renforcent cette défiance. C’est ainsi que des personnes qui se disent « anti-système » contribuent à leur insu à perpétuer le système capitaliste basé sur la surexploitation des ressources…

Nous sommes donc convaincus que la lutte contre la désinformation passera par la mise en œuvre de dispositifs participatifs tels que les assemblées citoyennes, visant à renforcer la participation citoyenne pour restaurer la confiance dans le système démocratique.

Quels impacts sur notre travail de sensibilisation ?

Il est très important de poursuivre notre travail d’information et de sensibilisation pour permettre aux climatosceptiques de mieux comprendre la problématique du climat et ainsi faire évoluer leur point de vue. Cependant, il ne sert à rien d’argumenter pour tenter de convaincre une personne climatonégationniste. Tout au plus pouvons-nous lui poser des questions pour l’aider à réfléchir sur l’origine de ces croyances, en utilisant par exemple la technique de l’entretien épistémique, et ainsi aider les négationnistes à devenir… sceptiques.

Trouver un socle commun

Ce n’est pas parce qu’une personne ne croit pas au dérèglement climatique qu’elle ne peut pas adopter des comportements vertueux pour le climat. En effet, de nombreuses actions visant à lutter contre le dérèglement climatique sont également bénéfiques pour la biodiversité et la santé. Limiter les déplacements en voiture et en avion permet de réduire la pollution de l’air, la pollution sonore, et la mortalité des espèces sauvages par collision. Réduire sa production de déchets et favoriser le réemploi permet de préserver le climat, la biodiversité et les ressources naturelles. Diminuer sa consommation de viande a des effets bénéfiques sur le climat, la biodiversité, la santé et le bien-être animal…

Mettre davantage l’accent sur les enjeux de santé et de biodiversité pourrait contribuer à changer les comportements sans générer trop de crispations. Mettre au cœur du débat public ces enjeux sur lesquels nous pouvons agir très concrètement et observer des résultats au niveau local permettrait également de limiter l’effet de dilution de responsabilité qui caractérise l’inaction climatique.

Crédit photo d’illustration : Adobe stock

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