Enquêtes publiques : l’accès à l’info, un parcours du combattant

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La convention d’Aarhus, ratifiée par les Nations-Unies en 1998, consacre les droits à l’information, à la participation et à la justice en matière d’environnement. Et pourtant, pour de nombreux citoyens et citoyennes, accéder à l’information concernant des projets qui impactent leur cadre de vie s’apparente très souvent à un parcours du combattant…

Le 19 mars, Vincent Fourie, citoyen membre du réseau Occupons le Terrain, a interpellé la ville de Namur pour dénoncer des difficultés récurrentes d’accès à l’information rencontrées lors des enquêtes publiques. Ce problème n’est pas spécifique à Namur, loin de là, même si les situations observées varient d’une commune à l’autre, et parfois même d’un projet à l’autre pour une même commune. Cet article donne quelques exemples de situations problématiques rapportées par des citoyens et citoyennes qui nous contactent au sujet de « cas locaux », mais aussi de situations que nous expérimentons parfois nous-mêmes lorsque nous tentons de nous informer sur un projet en raison de ses impacts potentiels sur l’environnement. Les noms des communes concernées par ces différentes problématiques ne seront pas cités, car l’objet de cet article n’est pas de jeter l’opprobre sur certains « mauvais élèves » en matière d’accès à l’information mais plutôt d’attirer l’attention sur des problèmes récurrents qui peuvent se produire à de multiples endroits. De plus, certaines problématiques rencontrées ne dépendent pas des communes mais plutôt des politiques régionales, notamment via le CODT (Code du Développement Territorial).

Les réunions d’information

Qu’il s’agisse de réunions d’information préalable ou de réunions d’information organisées dans le cadre des enquêtes publiques, l’objectif est avant tout de permettre aux citoyens et citoyennes de s’informer sur le projet et d’obtenir des réponses à leurs questions. Ces réunions devraient donc être organisées efficacement, aller droit au but avec une présentation claire et succincte du projet, et laisser un temps suffisant pour la séance de questions. Or, nous constatons que parfois, certains pouvoirs communaux introduisent ces séances par de longs discours politiques et expriment leur opinion, qu’elle soit positive ou négative, sur le projet concerné. Dans un souci de démocratie, nous estimons que la commune devrait plutôt introduire ces séances de manière neutre et en se limitant à poser le cadre de la réunion (déroulement prévu, modalités de prise de parole, etc.). C’est seulement à la fin de l’enquête publique, lorsque la commune aura pris connaissance des différentes remarques émises par les citoyens et citoyennes, qu’elle devra se positionner concernant le projet.

Il nous a également été rapporté un cas récent où, lors d’une réunion d’information concernant un projet d’urbanisme, deux citoyens ont pris la parole de manière jugée intempestive pour critiquer le projet et mettre en évidence des incohérences dans la présentation. En réaction, la commune a brusquement décidé de mettre fin à la réunion et fait sortir toute l’assemblée. Il s’agit d’une pratique totalement injuste et par ailleurs illégale, puisqu’au lieu de sanctionner uniquement les « fauteurs de troubles », le droit à l’accès à l’information environnementale de l’ensemble des personnes assistant à cette réunion a été bafoué !

L’affichage

Concernant les modalités d’affichage des annonces de projet, le Code du Développement Territorial (CODT) nous dit ceci :

« L’annonce de projet s’effectue par l’apposition d’un avis indiquant qu’une demande de permis ou de certificat d’urbanisme n°2 a été introduite. L’avis est affiché par le demandeur sur le terrain à front de voirie et lisible à partir de celle-ci, le lendemain de la réception de l’accusé de réception visé à l’article D.IV.33 et pour une durée de trois semaines. Dans le même délai et pour la même durée, l’administration communale affiche l’avis aux endroits habituels d’affichage. Elle peut le publier sur son site Internet. Le demandeur est responsable de l’affichage de l’avis sur son terrain et de son maintien en bon état pour une période de trois semaines. »

Or, nous constatons encore trop souvent que des avis sont affichés en retrait de la voirie, et ne sont donc pas lisibles à partir de celle-ci. De plus, ces avis sont parfois placés en hauteur, ce qui les rend totalement illisibles pour les PMR, les personnes de petite taille, ou encore les personnes malvoyantes (d’autant plus qu’ils sont souvent écrits en petits caractères). Ce manque d’accessibilité viole l’article 22ter de la Constitution, qui stipule que « chaque personne en situation de handicap a le droit à une pleine inclusion dans la société », d’autant plus que ces personnes sont souvent les plus impactées par les travaux et les aménagements urbains. Leurs besoins sont encore trop rarement pris en compte, il est donc essentiel de leur permettre d’exprimer leurs voix en garantissant leurs droits à l’information et à la participation en matière d’environnement.

De plus, certains avis restent trop longtemps en place, parfois jusqu’à un an après la fin de l’enquête publique, ce qui peut entrainer une pollution visuelle mais aussi une perte d’attention de la part des citoyens et citoyennes, qui finissent par s’habituer à voir des affiches obsolètes un peu partout et ne remarquent plus l’arrivée d’une affiche supplémentaire informant d’une nouvelle enquête publique.

Concernant le contenu des avis, le CODT nous dit que l’avis doit comporter « au minimum une description des caractéristiques essentielles du projet ». Il ne précise pas ce que sont ces caractéristiques « essentielles » mais pour nous, la localisation en fait clairement partie. Or, souvent cette localisation n’est indiquée que par des numéros de parcelles cadastrales, ce qui nécessite de réaliser une recherche sur WalOnMap afin de déterminer la localisation exacte du projet ; l’information n’est donc pas directement disponible. Il nous semble donc indispensable d’ajouter sur cette affiche un plan permettant de situer précisément la localisation du projet.

Information individuelle par courrier

D’après le CODT, seules les riverain·e·s habitant dans un rayon de 50 mètres autour du projet doivent être informé·e·s personnellement par courrier de l’enquête publique. Il s’agit d’exigences minimales imposées par le CODT ; les communes qui le souhaitent peuvent bien sûr aller plus loin en termes d’information et de participation citoyenne ! En effet, « l’autorité compétente pour adopter le plan, périmètre, schéma ou le guide et pour délivrer les permis et certificats d’urbanisme n°2, ainsi que les collèges communaux des communes organisant l’annonce de projet ou l’enquête publique, peuvent procéder à toute forme supplémentaire de publicité et d’information dans le respect des délais de décision qui sont impartis à l’autorité compétente » (CODT, art. D.VIII.13). Pour peu qu’un projet soit prévu dans une zone peu dense et/ou en périphérie urbaine, cela représente un nombre de personnes très restreint ! Or, selon la taille du projet, l’impact de ce dernier sur les riverain·e·s (que ce soit en termes de paysage, de mobilité ou de nuisances diverses) peut s’étendre largement au-delà de ce rayon de 50 mètres, en particulier s’il s’agit d’une construction neuve sur un terrain non artificialisé. Nous souhaitons donc encourager les communes, comme le propose Occupons le Terrain, à étendre ce rayon d’information à 200 mètres, ainsi qu’aux propriétaires non résident·e·s et aux personnes ayant déjà répondu à une enquête publique concernant la même parcelle.

L’accès aux documents

Le CODT stipule que « dès l’annonce de l’enquête publique et jusqu’au jour de la clôture de celle-ci, le dossier soumis à enquête publique peut être consulté gratuitement à l’administration communale de la commune sur le territoire de laquelle l’enquête publique est organisée. » (art.D.VIII.17). Or, les dossiers de demande de permis représentent souvent plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de pages ! Il est donc totalement impossible pour les citoyen·ne·s d’en lire l’intégralité en une heure ou deux lors d’une permanence à l’administration communale (la durée de l’enquête publique pose d’ailleurs aussi question : seulement 15 jours pour les « simples » demandes de permis !). De plus, il est souvent compliqué, pour des personnes travaillant à temps plein et ayant en plus des contraintes familiales, de trouver le temps de se rendre à l’administration communale dans les horaires prévus (une seule permanence par semaine, en-dehors des horaires de bureau, est organisée soit en soirée jusque 20 h, soit le samedi matin). Les personnes rencontrant des problèmes de mobilité, que ce soit en raison de leur âge, d’une situation de handicap ou de précarité, sont également exclues de cet accès à l’information.

Il nous semblerait donc essentiel, en plus des permanences organisées à l’administration communale qui restent nécessaires pour informer les personnes n’ayant pas accès aux outils numériques, de rendre les documents accessibles en ligne sur le site web de l’administration communale, afin que chaque personne puisse prendre le temps d’analyser les documents en détail, lorsqu’elle en a la possibilité.

Lorsque les citoyen·ne·s en font la demande, les administrations justifient souvent cette absence de publication en ligne par le respect du RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données) et de la propriété intellectuelle des plans figurant dans les demandes de permis. Concernant la protection des données personnelles, la solution est assez simple : il suffit de masquer dans le document mis en ligne les coordonnées personnelles du demandeur, qui ne sont de toute façon d’aucune utilité en termes d’information environnementale.

En revanche, les plans du projet, qui permettent notamment de juger de son intégration dans l’environnement et le paysage, constituent une information environnementale qui doit donc être mise à disposition des citoyen·ne·s. Concernant la propriété intellectuelle, les plans tombent effectivement sous le coup de cette législation, pour autant qu’ils puissent être qualifiés d’œuvre originale (ce qui n’est pas le cas, par exemple, d’un projet soumis par une société immobilière qui serait fortement similaire à un autre projet réalisé à un autre endroit…). Cependant, la jurisprudence de la CRAIE (Commission de Recours pour le droit d’Accès à l’Information Environnementale) nous indique que l’intérêt public servi par la divulgation des documents doit être mis en balance avec l’intérêt spécifique servi par le refus de les divulguer. En d’autres termes, quel est le risque réel que la copie des plans soit effectivement utilisée pour plagier un projet, par rapport à l’intérêt public de l’accès à l’information environnementale ?

De plus, le Code de l’Environnement (art D.16 §1er) nous dit que « Lorsque le demandeur réclame la mise à disposition d’une information environnementale sous une forme ou dans un format particulier, l’autorité publique communique l’information sous cette forme ou dans ce format, sauf dans les cas suivants : 

  1. L’information est disponible sous une autre forme ou dans un autre format facilement accessible par le demandeur »

Etant donné le volume des documents, et les contraintes en termes d’horaires et de déplacements décrites ci-dessus, la consultation sur place à l’administration communale ne suffit pas à rendre l’information facilement accessible.

  • « L’autorité publique est fondée à mettre à la disposition du public l’information sous une autre forme ou dans un autre format, auquel cas les motifs de la mise à disposition sous une autre forme ou dans un autre format sont indiqués. »

Comme nous l’avons vu ci-dessus, vu l’intérêt public en matière d’accès à l’information environnementale, la propriété intellectuelle ne suffit pas à justifier le refus de mettre les documents en ligne, sauf peut-être dans des cas très spécifiques de projets présentant une originalité extraordinaire et un impact environnemental très faible.

La qualité des études d’incidences et de leurs résumés non techniques

Il s’agit ici d’un point dépassant largement les pouvoirs communaux mais qu’il nous semble important de soulever. Comme dit plus haut, les dossiers de demandes de permis comptent parfois plusieurs milliers de pages ; l’étude d’incidences, qui contient de nombreuses informations essentielles pour juger de l’impact environnemental d’un projet, remplit souvent à elle seule plusieurs centaines de pages. La longueur et le caractère très technique de ce document peut en décourager plus d’un, donnant l’impression qu’il faut avoir fait un master en urbanisme pour en comprendre le contenu. Ce n’est pas le cas, mais il est clair que la lecture complète de ce document demande beaucoup de temps et de courage.

De nombreuses personnes (citoyen·ne·s mais aussi pouvoirs publics) se contentent donc de lire le résumé non technique de l’étude d’incidences, espérant ainsi en extraire la substantifique moelle. Et c’est là que le bât blesse. En effet, les bureaux d’étude font face à un dilemme : ils sont agréés par la Région Wallonne, et doivent donc respecter des critères de qualité pour conserver cet agrément, mais sont aussi choisis et payés par les porteurs de projets, et doivent donc éviter d’être trop sévères dans leurs conclusions, au risque de froisser leurs clients. Nous constatons donc que les études d’incidence sont généralement assez complètes et de bonne qualité, mais que le résumé non technique ne reflète pas l’ampleur des impacts mis en évidence dans l’ensemble de l’étude. Par exemple, l’impact sur la biodiversité est jugé « non significatif » alors que la liste des espèces protégées et menacées potentiellement impactées par le projet est longue comme le bras du promoteur. Ou encore, l’augmentation du trafic automobile résultant du projet est jugée « faible » alors que ce surplus de trafic est parfois la goutte de trop pour des riverain·e·s déjà fortement impacté·e·s par les nuisances sonores et la pollution de l’air.

Il faudrait donc mettre fin à cette relation de dépendance financière entre les bureaux d’études et les sociétés immobilières pour éviter tout conflit d’intérêt. Par exemple, les porteurs de projet pourraient payer un forfait qui reviendrait à la Région Wallonne, et la Région serait chargée de désigner un bureau d’étude pour réaliser l’évaluation des incidences, soit de manière aléatoire parmi une liste de bureaux agréés, soit dans le cadre d’un marché public selon des critères bien précis mais ne prenant pas en compte la « sévérité » de leurs évaluations…

La recevabilité et la prise en compte des réponses

Des collectifs de citoyens nous ont rapporté que certaines communes refusaient de prendre en compte les réponses de citoyen·ne·s non domicilié·e·s sur le territoire communal. Or, rien n’interdit de répondre aux enquêtes publiques d’une commune où on n’est pas domicilié·e, et des personnes non domicilié·e·s sur la commune peuvent se sentir concernées par un projet pour diverses raisons :

  • des étudiant·e·s en kot qui, bien que n’étant pas domicilié·e·s sur la commune, y habitent effectivement ;
  • des personnes qui prévoient d’emménager dans la commune dans un futur proche ;
  • des propriétaires non occupant·e·s ayant mis leur bien en location ;
  • des personnes ayant des amis ou de la famille dans la commune ;
  • des personnes fréquentant régulièrement la commune en tant que lieu de travail ou de loisirs ;
  • des personnes sensibles au patrimoine historique, culturel ou naturel présent sur la commune ;
  • des personnes sensibles aux enjeux environnementaux qui souhaitent s’opposer à un projet car elles jugent ses impacts trop importants sur le climat ou la biodiversité, des enjeux globaux qui dépassent largement les frontières communales.

L’information sur les décisions prises

Les répondant·e·s aux enquêtes publiques ne sont pas toujours informé·e·s des décisions prises à l’issue de celles-ci. Or, il nous semble important, d’abord par respect pour les personnes ayant pris le temps de rédiger un courrier, de les informer de la suite donnée à celui-ci, mais également pour garantir leur droit à la justice environnementale concernant une éventuelle possibilité de recours, qui ne serait plus recevable passé un certain délai (30 jours dans le cas d’un recours à la Région Wallonne, 60 jours au Conseil d’Etat).

De plus, depuis le 1er octobre 2023, les communes ont l’obligation de publier de manière systématique les décisions prises à l’issue du Conseil Communal, en vertu du décret relatif à l’extension de la publicité active dans les Pouvoirs Locaux. Ces décisions sont normalement centralisées sur le site deliberations.be mais de nombreuses communes n’ont pas encore mis en œuvre cette nouvelle obligation.

De l’information à la participation

Enfin, plus encore que l’information, les pouvoirs locaux devraient encourager une véritable participation citoyenne, pour rendre leurs habitant·e·s acteurs et actrices des territoires. En effet, si l’urbanisme est souvent perçu comme une matière réservée aux expert·e·s, nous sommes tous et toutes expert·e·s de nos lieux de vie et de notre propre vécu en ces lieux, et connaissons mieux que quiconque leurs aménités, ces éléments qui contribuent à rendre un lieu sympathique et attachant.

Dans les cinq prochaines années, de nombreuses communes vont être amenées à réaliser ou mettre à jour leurs Schémas de Développement Communaux (sans quoi ce seront les « centralités » définies à l’échelle wallonne par le Schéma de Développement du Territoire, pas toujours très pertinentes par rapport aux enjeux locaux, qui s’appliqueront). Il s’agit d’une formidable opportunité pour impliquer les citoyen·ne·s dans ce processus et réfléchir collectivement au futur de nos villes et de nos campagnes !

Conclusion

Bien que les exigences minimales (qui nous semblent insuffisantes au regard de la Convention d’Aarhus) en matière d’enquêtes publiques soient régies par le CODT, les communes disposent d’une certaine marge de manœuvre et peuvent aller plus loin en matière d’information et de participation citoyenne.

Nous espérons que cette analyse permettra aux citoyens et citoyennes qui nous lisent de prendre conscience de leurs droits en matière d’accès à l’information environnementale et de faire valoir ces droits. En cas de refus d’accès à l’information, il est possible d’entreprendre un recours auprès de la CRAIE. Mais surtout, ne sous-estimons pas le pouvoir de la mobilisation citoyenne ! En cette période pré-électorale, c’est le moment d’interpeller les pouvoirs communaux et les candidat·e·s des différentes listes, pour mettre l’accès à l’information environnementale au cœur du débat public !

Pour aller plus loin…

J.F. Putz, 2014. Accès à l’information, participation et accès à la justice en matière d’environnement : derrière le blabla, le B.A.-BA.

Crédit image d’illustration : Adobe Stock

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