Friche pratique : La friche Palmolive dans le quartier du Longdoz, à Liège

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C’est souvent dans des endroits inattendus qu’on peut faire de belles découvertes.  Lors du Décodage de terrain organisé par Canopea à Liège en juin 2022, le trajet incluait la très jolie friche Palmolive, rue Lairesse, à deux pas de la Médiacité, au cœur du quartier densément bâti du Longdoz. Avec ses plantes fleuries et ses insectes en plein travail, elle offrait tout à coup une respiration, une quantité de choses à voir – même si les grillages nous empêchaient de l’explorer sur ses 4500 m².

Question : Comment faire en sorte qu’une friche laissée à l’état sauvage soit considérée comme bénéfique à l’avenir ? La présente étude de cas entend y contribuer.

1. Localisation

L’emplacement exact de la friche : coordonnées Google

Version plan – capture d’écran Google 2022

La friche Pamolive occupe un espace en cœur d’îlot, délimité par les jardins et les arrières des maisons des rues des Champs, Waleffe, Fisen et Waleffe, à proximité immédiate de la rue Grétry, de la rue Basse-Wez et du Quai de Longdoz.

Côté rue des Champs, la friche Palmolive n’a pas d’issue directe sur la voie publique. En revanche, côté rue Lairesse, les bâtiments et murs de clôture à front de voirie ont été démolis. La reconquête du terrain par divers végétaux est pleinement visible depuis l’espace public.

Vue panoramique côté rue Lairesse : la voiture google a un peu surfait la largeur de la friche – capture d’écran Google Street View 2022

Si l’on dézoome, il apparaît de manière nette que cette friche se trouve dans un quartier dépourvu d’espaces vraiment verts.

Vue générale de Liège à hauteur de la friche Palmolive  (matérialisée par le pointeur bleu). A gauche de l’image, le Jardin Botanique et le Parc d’Avroy ; à droite, la colline de la Chartreuse – Capture d’écran Google, 2022.

Le Longdoz manque d’espaces verts accessibles au public. Quand il y a des jardins privés en intérieur d’îlot, ils sont souvent très petits. A cause du passé industriel du Longdoz, et de la volonté plus récente de propriétaires peu scrupuleux de faire du profit immobilier sur le moindre m², nombre d’anciens espaces de cours et jardins sont remplis de maisons en second rang, d’ateliers, d’aires de services, de parkings et de garages.

La friche, dans son état actuel et par sa localisation, joue un quadruple rôle très important dans la dynamique du quartier, même sans être ouverte au public :

  1. Elle combat les îlots de chaleur et sert d’îlot de fraîcheur
  2. Elle accueille la biodiversité
  3. Elle offre une aménité où la nature et l’inattendu se rencontrent
  4. Elle stimule le débat et redistribue les cartes sur le destin du Longdoz

Encore un mot sur la localisation de la friche Palmolive : elle est idéalement située entre les rues Lairesse et des Champs, elle pourrait donc servir de connexion pour une circulation piétonne entre les deux rues. Pour le moment, ce n’est pas le cas. Il y a là une belle aménité potentielle en matière de mobilité active, d’autant qu’un arrêt du bus est situé à hauteur de la friche côté rue Lairesse : l’arrêt « Rue Douffet » de la Ligne 17, laquelle relie les Guillemins au Marché Couvert de Droixhe en traversant Bressoux.

2. Description

Aujourd’hui, le sol du site est un patchwork de dalles de béton, d’anciens seuils et bordures en pierre calcaire, et d’aires carrossables pavées.

La friche est enserrée entre les murs de clôture des propriétés environnantes et par plusieurs bâtiments, essentiellement résidentiels. Côté rue Lairesse, elle est clôturée par des barrières Heras fichées dans des blocs de béton.

La friche Palmolive au Longdoz (Liège) en juin 2022, vue vers la rue Lairesse. Les fleurs de camomille poussent à travers les dalles de béton. Photo Anne-Laure Geboes.

La friche est recolonisée par la végétation qui a surgi entre les dalles. La biodiversité est ordinaire, toute en fleurs et bourdonnante : mélilot blanc, camomille, achillée millefeuille, armoise, linaire, graminées, etc. Dans le quartier du Longdoz où le végétal est rare, ces espèces banales prennent une valeur exceptionnelle, d’autant que le monde animal sauvage – insectes, oiseaux, papillons, petits mammifères – y a trouvé ses marques.

La friche Palmolive démontre que la nature peut reprendre ses droits dans des zones bétonnées.

Il y avait là une usine

Sur le site « monquartierlelongdoz.net », un article est consacré à la friche, dont voici deux images éloquentes.

Les bâtiments de l’usine de produits de nettoyage (établissements Dubois devenus Palmolive), fin des années 1960.
Photo  http://www.monquartierlelongdoz.net/pages/lafriche.html
La friche dans son bâti environnant. On voit bien les différents faciès de la colonisation végétale : groupes d’arbres, pelouse maigre et buissons. Photo : http://www.monquartierlelongdoz.net/pages/lafriche.html

L’emprise aujourd’hui réensauvagée a été démolie dans les années 1980-90. Le terrain était resté à l’abandon depuis lors.

3. Perception

En visitant les abords de la friche Palmolive lors du Décodage de terrain de terrain à Liège en juin 2022, cette halte devait faire prendre conscience aux participant.es de l’importance des espaces verts – privés ou publics – en tant qu’îlots de fraîcheur. Le Décodage étant centré sur le thème de la minéralisation de nos villes, le circuit choisi avait amplement démontré l’aridité de Liège, ainsi que son manque de surfaces absorbantes. La friche Palmolive est dès lors clairement apparue comme une oasis, une promesse de bien-être pour le quartier, pour peu qu’elle soit maintenue et développée en tant qu’espace découvert, végétal.

Une bâche apposée sur les grilles de clôture annonçait qu’un mouvement citoyen avait porté au-devant des autorités communales la volonté de faire de ce lieu un parc public, et que le projet était en voie de se concrétiser.

D’où le tweet, ce jour-là :

Mais pour bien des passant.es, des habitant.es, pour le quidam qui promène son chien tous les matins à proximité, « belle » ou « jolie » n’est sans doute pas le mot qui viendrait à l’esprit pour décrire la friche Palmolive. Au mieux et au plus poliment, ce serait plutôt « un terrain vague », « envahi par la broussaille ». La friche Palmolive leur paraît probablement sale, abandonnée, squattée, polluée, dangereuse.

Comme des milliers d’autres friches urbaines dans le monde, la friche Palmolive n’échappe pas au destin commun d’être perçue comme une nuisance plutôt que comme un lieu de beauté. La perception sociale de ce genre de lieu où la dynamique naturelle a repris le dessus est généralement négative. Une friche envahie de végétation hirsute ne colle pas à l’image manucurée et contrôlée d’un espace public classique, elle peut même être jugée laide et insécurisante.

Deux exemples de discours dénigrant les friches :

  • « Aujourd’hui, ce qui était une friche a repris vie et la biodiversité respire grâce à la plantation d’espèces aromatiques, culinaires, médicinales, mellifères et ornementales »
  • « Le centre du village a largement gagné en attractivité se défaisant d’une friche peu avenante »

On le voit, la friche se voit dépossédée de sa capacité à abriter la nature ou à accueillir la biodiversité, ce qui est une aberration. La friche est perçue comme quelque chose qu’il faut occuper, remplacer, replanter. Le geste d’aménager en la supprimant est perçu comme salvateur.

Audrey Muratet, Docteure en écologie, explique la valeur des friches en ces termes :
« La biodiversité rencontrée dans les friches est complémentaire à celle des autres espaces de nature en ville. Elle est le reflet d’usages anthropiques passés (usines, anciennes voies ferrées, vergers abandonnés, etc.) et l’expression libre d’une biodiversité urbaine très dynamique. De plus, les friches abritent des espèces qu’on ne retrouve pas dans les parcs et espaces verts habituels (et gérés) des centres urbains, répondant à une dynamique et une (non-)gestion particulière. Une comparaison de la biodiversité observée dans les squares et les friches a révélé qu’outre une biodiversité plus grande, les friches abritaient également une plus forte proportion d’espèces urbanophobes (= qui n’évoluent usuellement pas en milieu urbain). »

Audrey Muratet estime que la superficie minimale pour qu’une friche assure un rôle dans le réseau écologique d’une ville est de 2500m² et la distance maximum avec d’autre friches ou espace naturels doit être de maximum 2km. La friche Palmolive mesure 4500m² ; elle et la Chartreuse sont distantes de 500 m. Cornillon est à 1400m et la Citadelle et ses Côteaux, à 1700m. Elle a donc tout pour être efficace sur le plan biodiversitaire !

Un exemple intéressant dans le nord de la France : https://gardenfab.fr/inspiration/friches-urbaines

Audrey Muratet conclut par une invitation à changer de perception : « Ces espaces sont aujourd’hui encore trop méconnus, voire méprisés (…). Il est urgent de les faire connaître, de les valoriser, de donner à voir aux habitants la luxuriance de ces espaces pour les amener à les aimer, les respecter et même les défendre comme des lieux de vie, d’usages variés et non uniquement comme des vides à combler. »

Nicolas Verrecken chante le même petit air : « La mosaïque de nos espaces verts urbains comprend toute une série de catégories bien connues comme les parcs, les cimetières, les réserves naturelles, mais on a tendance à négliger le fait que les espaces verts urbains informels, c-à-d ceux qui sont dépourvus d’un statut spécifique, ceux qui sont occupés par les citoyens « en attendant qu’ils soient bâtis » comme les potagers urbains ou les friches, constituent parfois des réservoirs de biodiversité qui n’ont rien à envier à nos réserves naturelles (même urbaines). »
A lire en détail sur le site du cairn.

Un autre article en faveur d’une nouvelle perception de la mosaïque de milieux verts urbains, à l’attention de ceux et celles que l’anglais scientifique ne rebute pas : https://www.biorxiv.org/content/10.1101/2021.03.10.434823v1#disqus_thread

Pour terminer ce chapitre sur la perception, on peut dire que transformer la friche Palmolive en espace vert public est perçu comme une nécessité. Mais que la biodiversité ordinaire n’est pas encore perçue comme une nécessité, ni même comme une chose bénéfique, digne d’être protégée. La nature sauvage n’est pas encore perçue comme une alliée face à l’urgence climatique. Du moins, pas par les autorités communales, sans quoi elles auraient orienté le projet d’aménagement pour maintenir la friche en tant que mini-zone naturelle aménagée à minima.

4. Participation citoyenne

Sans y être officiellement invités, des riverains proches et éloignés ont manifesté leur intérêt pour la friche, il y a quelques années. De voir la nature reprendre du terrain sur un sol minéralisé leur a donné envie que ce lieu ne soit pas urbanisé. De fil en aiguille, ils ont interpelé les autorités communales pour demander qu’un parc public y soit installé. Il n’y avait pas unanimité sur la forme – parc ? friche ? parc-friche ? – mais bien sur le fond : laisser ce coin de nature grillagé devenir un espace public accueillant, aussi vert que possible, face à l’évidence que le Longdoz avait vraiment besoin de ce genre d’équipement.

Lorsque nous avons tweeté sur la friche, les réactions sont survenues très rapidement. Elles étaient positives et allaient dans le sens d’un aménagement minimum. En voici quelques-unes :

Commentaires sur Twitter, à la suite du post d’Anne-Laure Geboes, juillet 2022.

Alors comment réconcilier

  • un besoin criant en espaces verts publics et récréatifs,
  • la nécessité de préserver la biodiversité en ville
  • l’urgence de combattre les îlots de chaleur ?

Est-ce qu’un espace vert avec une pelouse et quelques arbres pourrait parvenir à tenir tous ces rôles ?

Il y parviendra déjà beaucoup mieux que si le site était purement et simplement urbanisé.

La participation citoyenne spontanée a, il faut le reconnaître, fait faire un pas de géant à la Ville de Liège. Celle-ci a compris que le site ne devait pas être urbanisé. Ensuite, elle a tenté d’obtenir des subsides pour dépolluer et aménager le site en parc public. Cela n’a pas été tout seul non plus, et ce n’est que tout récemment que les bonnes nouvelles sont arrivées.

En 2018, le bourgmestre de Liège Willy Demeyer titrait sur son blog : « Bientôt un grand parc public dans le quartier du Longdoz ! »

« La Ville de Liège a acquis le site des anciennes savonneries Palmolive situé dans le quartier du Longdoz. Il s’agit là d’un investissement de 550.000 €.

Par sa superficie de 4.500 m² et sa position en cœur d’un quartier très dense, cette friche industrielle constitue un site idéal pour l’aménagement d’un espace vert apaisé dans le Longdoz. Cet espace aura la vocation d’offrir un environnement de respiration et de détente pour les habitants et autres usagers du quartier.

Le quartier du Longdoz est le quartier le plus déficitaire en matière d’espaces verts et en possibilités d’en créer vu sa très forte densité. En effet, ce quartier compte moins d’1 m² d’espace vert par habitant. Il lui manque également un lieu identitaire qui permettrait de renforcer le sentiment d’appartenance et, particulièrement, de bien-être de ses habitants.

L’aménagement du site se fera en concertation avec les habitants du quartier et les acteurs des lieux dans une méthode à définir prochainement.

(…) Il s’agit donc, au préalable, de le dépolluer, ce qui sera fait avec l’aide de la Région.

Après rénovation, le site sera équipé de grilles afin d’être fermé durant la nuit et préserver la quiétude dans le quartier. La réhabilitation complète du site devrait prendre 2 ans.

Cette action du Collège s’inscrit clairement dans les ambitions du programme de redéploiement des espaces publics nommé « PEP’s » – pour Prospective Espaces Publics – initié en 2015 et adopté par le Collège en octobre 2017.L’ambition du PEP’s est une des 77 ambitions de « Réinventons Liège » : faire en sorte que chaque liégeoise et liégeois dispose à maximum 10 minutes à pieds de son domicile ou de son lieu d’activité ou de travail, d’un espace de qualité et verdurisé. »

La participation citoyenne a ensuite été mise à l’honneur à travers différentes phases de consultation. L’association Urbagora a injecté toute son énergie dans la réussite du processus participatif.

D’avril à mai 2019 : Participation de l’ESAS-Helmo (80 étudiants)
De juin à septembre 2019 : Enquête publique organisée par le Comité de Quartier (70 avis)
Le 4 septembre 2019 : Premier atelier participatif, « Boite à idées pour l’aménagement du site ».
Le 7 octobre 2019 : Deuxième atelier participatif, « Retour sur les thématiques développées et réflexion sur certaines thématiques spécifiques ».
Le 13 novembre 2019 : Troisième atelier participatif, « Présentation du schéma d’aménagement par le Service de la Gestion de l’Espace public ». Ce schéma est issu de l’analyse des demandes formulées dans le cadre du processus participatif.
En avril 2021 : Présentation aux participants du projet abouti.

Ces ateliers ont été menés par différents départements de la Ville comme l’Urbanisme, l’Aménagement du territoire, le Service de Proximité et la Gestion de l’Espace Public, et étaient chapeautés par les échevin.es responsables du dossier : Maggy Yerna et Roland Léonard.

5. Concrétisation

Et voilà le projet !

Réaménagement de la friche Palmolive en parc public : maquette du projet. Photo : Ville de Liège

En charge des travaux, des bâtiments et des espaces publics, il était logique que l’échevin Roland Léonard préside aux destinées de la friche Palmolive. Pour les besoins de la présente « friche technique », il nous a très aimablement transmis les éléments suivants.

Palmolive : aménagement d’un jardin de quartier

Projet entièrement co-construit avec les habitants (Comité de quartier, riverains, associations locales).

Mars 2020 : Le site étant pollué, le Bureau d’études SBS Environnement, spécialisé en matière de pollution des sols, a été missionné pour :

  1. Assister techniquement la Ville de Liège pour orienter certaines options d’aménagement en regard des pollutions présentes sur le site ;
  2. Réaliser le projet d’assainissement ;
  3. Superviser les travaux d’assainissement lors de la réalisation du projet.

De mars 2020 à février 2021, réalisation et finalisation du projet d’assainissement, suivies d’un échange avec la DAS (Direction de l’assainissement des sols /SPW) pour aboutir à la demande de Permis Unique (Permis d’urbanisme et Projet d’assainissement), qui est accordé en avril 2021.

2022 : Réalisation du dossier d’adjudication et désignation d’une entreprise (en cours) .

Second semestre 2023 : Début du chantier.

Les objectifs du projet sont :

1) Connecter le jardin de quartier à la Place Baugniet, rue Lairesse.
L’arrêt de bus rue Lairesse ne sera pas déplacé.
La grille de fermeture du parc s’implantera en retrait de la limite cadastrale afin d’offrir un espace appropriable en soirée, une fois le jardin fermé. Cet espace en voirie comprendra du mobilier d’assise et des arbres, visibles depuis les rues adjacentes, afin d’annoncer la présence du parc.
NB : il ne semble pas que le projet de parc prévoie une sortie côté rue des Champs. Dommage (note d’Echelle Humaine).

2) Tirer profit de l’exposition du site et de ses murs

3) Créer un jardin de quartier verdoyant
Une végétation basse et des arbres hautes tiges ont été choisis pour laisser passer le regard de part en part. Une grande pelouse au centre du parc offrira un espace de détente : jeux, pique-nique. Une zone densément végétalisée de vivaces et arbustes couvre-sol sera visible depuis la rue. Elle bordera le trottoir et s’étendra dans un parterre au-delà de la limite de la grille.
Les arbres hautes tiges seront plantés, en alignement d’abord, sur la placette, puis de manière plus libre sur la pelouse et sur la zone végétalisée. Au fond de la parcelle, les arbres complèteront la zone de sous-bois présente à cet endroit.

4) La question de la maison de quartier
Le processus participatif a confirmé qu’une maison de quartier faisait l’objet d’une demande tout aussi importante que le parc de quartier, demande liée à une vie associative dynamique. Elle jouerait un rôle d’attraction générant des échanges et rencontres dans le quartier.
Le site Palmolive s’avère un lieu de choix pour l’implantation d’une salle polyvalente de quartier. Il a été convenu d’introduire le permis d’urbanisme en délimitant un espace en entrée de site, pour développer dans un second temps, avec d’autres financements, une maison de quartier.

Budget

Environ 1,95 millions d’euros subsidiés à 100% par la Région Wallonne dans le cadre de la PDU (Prespective de développement urbain.
Ce montant permettra de réaliser :

  1. Les travaux d’aménagement du jardin de quartier et de la Place Baugniet + travaux d’isolation des façades de l’école de la Ville : environ 1.750.000 euros TVAC
  2. Les travaux d’assainissement : environ 94.500 euros TVAC
  3. Les fresques murales sur les pignons (marché réalisé en 2023) pour environ 80.000 euros TVAC

NB : Les travaux à charge de RESA (renouvellement des installations) pour environ 410.000 euros TVAC ne sont pas subsidiés dans le cadre de la PDU mais sont intégrés dans le marché de travaux.

Il est intéressant de relever que le montant de l’assainissement représente moins de 5% du budget prévu.

Pour protéger la population et les usager.ères, le site doit être dépollué, vu son lourd passé sur le plan chimique. Ce qui signifie qu’avec les méthodes actuelles de dépollution lourde, il sera probablement vidé de son contenu (plantes, dalles) pour que son sol puisse être décontaminé. 

Une approche aussi invasive et radicale est-elle indispensable ?

On serait en droit d’espérer que, au cours des mois qui viennent, la Ville de Liège décide d’opter plutôt pour une dépollution par les plantes, recherche très prometteuse menée actuellement à l’ULiège, par Cécile Nouet, chercheuse en biologie (InBioS, ULiège) en collaboration avec Aricia Evlard, Chef de projet Production de biomasse chez ValBiom.

-> voir à ce sujet, la vidéo réalisée par Liège Créative 

Ne pourrait-on pas imaginer une remédiation à la pollution par la biodiversité ? Exploration de la friche Palmolive, vue vers l’ouest, juin 2022. Au centre, à l’avant-plan, buisson de mélilot blanc. Photo Anne-Laure Geboes.

6. La friche reçoit un nouveau nom

« Le site Palmolive, dans le Longdoz à Liège, va devenir le parc Katherine Johnson » titrait le journal « La Meuse » dans son édition en ligne du 27 novembre 2022. C’est le lendemain, au Conseil communal, qu’a eu lieu le vote qui devait consacrer le nouveau nom.

Katherine Johnson, née Creola Katherine Coleman le 26 août 1918, décédée à 101 ans en 2020 était une ingénieure spatiale et mathématicienne diplômée de l’Université de Virginie de l’Ouest. Elle a notamment travaillé sur plusieurs missions Apollo pour la Nasa. Le film « Hidden Figures » lui rend justice, ainsi qu’à ses consœurs scientifiques. C’est Taraji P. Henson qui incarne Katherine Johnson à l’écran. Le Président Barack Obama a décoré Katherine Johnson en 2015 de la médaille présidentielle de la liberté, la plus haute distinction civile américaine.

Ce choix est dû à l’initiative de l’échevine Élisabeth Fraipont, en charge notamment la toponymie, dans le cadre de la Journée internationale contre la violence faite aux femmes. Elle entend ainsi rendre hommage à une femme « qui a dû se battre toute sa vie contre un monde particulièrement masculin et, surtout, dans un contexte historique ségrégationniste ».

Un beau nom, approprié pour un jardin public qui a déjà la tête dans les étoiles.

Pour aller plus loin

Où est partie la friche ?

Sans le vouloir, la transformation de la friche Palmolive en petit parc urbain va probablement faire disparaître une bonne part de sa biodiversité actuelle. Il nous paraît donc utile de poursuivre, à travers la question du besoin en espaces verts, une réflexion sur la nature spontanée en ville, parce qu’il nous semble que les deux notions ne sont pas opposées. La flore actuelle du Jardin Katherine Johnson pourrait être exemplative à cet égard.

Le point de vue d’Urbagora

L’association Urbagora s’est beaucoup démenée dans la reconnaissance du site de la friche Palmolive et a œuvré pour sa transformation en parc. Son constat est qu’il y a un manque cruel d’espaces verts dans le Longdoz, et qu’il y avait la nécessité de créer un espace public pour que les personnes du quartier puissent venir se poser au milieu de la verdure, trouver un espace de fraicheur pendant les canicules. S’il n’y avait pas eu ce projet, le site aurait été vendu et transformé en immeubles par une société immobilière. Ici l’urgence était sociale, ce qui a mis la biodiversité à l’arrière-plan.
Sur le Longdoz, voici l’étude d’UrbAgora.

Qu’est-ce qu’une friche ?

La définition du mot « friche » recouvre des réalités différentes et évolutives. Elle s’enrichit avec les années.

Une friche c’est notamment un terme agricole, qui définit une terre agricole qui n’est pas/plus cultivée, un bien en inculture, un inculte.

Plus largement ce sont tous les lieux abandonnés, où on laisse libre-cours à la nature. La friche peut donc indifféremment se trouver en milieu rural, périurbain ou urbain, être imperméabilisée ou pas.

Bien des espaces ont été délaissés suite à des crises à différents moments de l’Histoire : le centre de la ville de Rome entre la chute de l’Empire et la Contre-Réforme, par exemple, ou encore les quartiers urbains de toute l’Europe lors des ravages de la peste noire. Depuis quelques années, la déprise agricole crée des friches réensauvagées dans plusieurs régions d’Europe, plutôt en montagne, pour le plus grand bonheur des lynx et des chats sauvages.

En anglais, la friche s’appelle terre perdue, « wasteland », un terme qui désigne tous les terrains qui ne sont pas utiles à notre usage. C’est un fourre-tout, comme le mot friche et le concept de friche.

En Wallon, trieu, tri, triche, trixhe, try, s’utilisent selon les régions et tous ces mots seraient issus du moyen néerlandais driesch (ou Dries), lui-même issu de l’ancien francique threosk.

Le wallon apporte une nuance de sens suivant que le lieu est privé ou public. S’il s’agit d’un lieu privé, trieu, tri, triche, trixhe, try désignent une friche ou un terrain inculte. Les mêmes mots désignent, si le lieu est public, une jachère commune, un lieu de pacage collectif ; dans ce cas, c’est le lieu où se tenaient les foires, kermesses, fêtes, et où l’on dansait.

Quand les festivals de l’été cherchent des terrains pour jouer de la musique à tout casser et danser jusqu’aux petites heures, s’ils s’installent sur des lieux à toponyme en « Trixhes » ou en « Trieux » encore non urbanisés, ils poursuivent une tradition séculaire. Et aujourd’hui comme avant, rien ne garantit que cela permette de ne pas trop déranger les riverains 😉 Du coup, le sens wallon et l’expression anglaise se rejoignent, comme cela leur arrive souvent : Wasteland / Tomorrowland !

Bernadette Mérenne-Schoumaker a lancé l’expression de « friche commerciale », dont le succès ne s’est plus démenti depuis, au prorata des fermetures, faillites et abandon de commerces, tant dans les rues urbaines ou villageoises que dans les zonings commerciaux et au bord des grands-routes.

-> Bernadette MERENNE-SCHOUMAKER, entrée ‘Friche commerciale’ dans le « Dictionnaire du commerce et de l’aménagement », PUR, 2008.

Les étages vides au-dessus des commerces et, de plus en plus, les rez commerciaux vides sous les étages de logements dans les bâtiments neufs, sont-ils ou pas des friches commerciales ? Il n’y a pas d’occupants, pas de lumière. C’est mort, triste. Bien plus triste que les friches bâties et naturelles où la voiture de google ne va pas, parce que la voirie ne le permet pas…

Contradiction : le quartier est-il déstructuré ou restructuré par la friche ?

Dans la définition des sites à réaménager ou SAR, apparaît la notion de « déstructuration » : « Le régime des sites à réaménager vise le réaménagement de biens ou ensemble de biens immobiliers qui ont été ou sont destinés à accueillir des activités (autres que le logement) et dont l’état actuel est contraire au bon aménagement des lieux ou qui constituent une déstructuration du tissu urbanisé ». Ils sont considérés comme pénalisants pour leur environnement, notamment à travers un impact visuel négatif et la priorité énoncée est de « supprimer les friches qui détériorent le cadre de vie. »

A force de répéter que les sites désaffectés doivent être revalorisés, restructurés, nettoyés, ce discours sous-entend qu’ils n’ont plus de valeur propre. Cela entraîne une dépréciation tant des bâtiments abandonnés que des activités industrielles, sociales, culturelles ou sportives qui y ont eu lieu. Alors que, pour les quartiers qui les entourent, la solution n’est pas nécessairement de faire table rase mais de réinjecter de la vie sociale. Faire table rase peut entraîner une déstructuration bien plus rédhibitoire, si les nouvelles urbanisations sont banales. A fortiori si la nature qui s’est installée entretemps a créé une nouvelle aménité, et qu’elle doit, elle aussi, se faire raser gratis.

On peut aussi se demander si la situation actuelle de l’économie régionale permet de telles dépenses. Selon l’IWEPS, il y a en Wallonie 3720 hectares de SAR (0.22% du territoire). La province de Liège en compte 710 hectares, principalement dans la région liégeoise. Réaménager ces sites participe au recyclage du territoire, à la réutilisation de sols déjà artificialisés. Cependant, rien ne nous oblige à démolir tout ce qui s’y trouve.

L’aspect non productif d’une friche, sur quoi repose-t-il ?

De toute évidence, il ne tient pas compte de la teneur du sol en faune : les sols laissés à eux-mêmes et recolonisés par la végétation retrouvent très vite une vie variée et active : insectes, microfaune, mycorhizes observables seulement au microscope, et qui participent à la dynamique d’un biotope.

-> Les époux Bourguignon ont parcouru le monde pour expliquer la richesse de ce qui se cache dans un sol :

https://www.dailymotion.com/video/xm72f8

La nature reprend vite ses droits dans des sites laissés à eux-mêmes, qui deviennent des zones de refuge importantes pour la biodiversité. Ces zones considérées comme non-productives sont en réalité productrices de services écosystémiques, ainsi que l’ont prouvé les personnes attachées au maintien de la friche Josaphat à Bruxelles en tant qu’espace naturel à Bruxelles.

Leur combat, loin d’être gagné, est notamment expliqué ici par La Minute Sauvage :

Cette vidéo a suscité un très beau commentaire : « G eu la chance de la visiter quand la région avait ouvert qq sentiers sur le site pour l’été et vraiment c un lieu magique. Pas forcément beau au premier regard mais justement… Après quelques minutes de silence on capte mieux la vie qui y bruisse et on réalise que notre perception humaine, au fond, ne peut être que secondaire si elle est isolée de celle des autres espèces. Comme je l’entends parfois, on ne dit pas juste « un renard a traversé le route » mais d’abord « une route a été tracée par l’homme dans une zone sauvage habitée par des milliers d’espèces » »

Pour vos oreilles, un podcast de Natagora sur la vie sauvage en ville :

Même les conseils photo qui détaillent les milieux propices aux papillons parlent des friches ! « Où peut-on espérer photographier des papillons ? » – Autour de ruines, dans les friches pour raisons diverses (fortes pentes, zone trop sèche ou trop humide), les forêts anciennes, les bordures, les allées larges, les clairières, les prés, les réserves naturelles, certains parcs et étangs, les sentiers pédestres, les anciennes voies ferrées désaffectées, les carrières, les berges de rivières et de ruisseaux, les campings, les terrains abandonnés car enclavés par l’autoroute. http://www.papillon-en-macro.fr/Papillons_en_photos.htm

Liège possède quelques joyaux naturels liés à son passé industriel

Diverses espèces rares se retrouvent dans des lieux abandonnés ou relativement peu gérés. C’est ainsi le cas des crapauds alytes et calamites, qui trouvent sur les dalles de béton et de ciment des friches industrielles un habitat adéquat. Le crapaud calamite a d’ailleurs ses deux plus grosses populations dans la région liégeoise et autour de Charleroi. Cependant, l’espèce est menacée, parce que les friches sont reconverties. Des mesures compensatoires sont imposées par le DNF, notamment la construction de mares en béton qui recréent les conditions pionnières, c’est à dire avec très peu de végétation, pour permettre à l’espèce de subsister.

L’abeille charpentière (ou Xylocope) est une espèce plutôt du sud de l’Europe, qui pond dans le vieux bois. Elle a été repérée à Liège sur des sites abandonnés, reboisés spontanément, et peuplés d’anciens arbres, notamment des arbres morts.

L’industrie du zinc, dont Liège était le cœur, est aussi à l’origine de la présence de pelouses calaminaires. L’Île aux corsaires en est un bel exemple, mais il en existe d’autres à Liège. On y trouve la pensée calaminaire, qui n’est présente que dans une région d’Europe très localisée entre Liège, le sud-est des Pays-Bas et les environs d’Aix-la-Chapelle.

Planter, ou laisser pousser ?

Floriane Guillain pose la question, « LES FRICHES URBAINES : NATURE SAUVAGE OU MAÎTRISÉE ? » dans une analyse très intéressante qui fait intervenir le Tiers-Paysage de Gilles Clément et la nécessaire intégration de la biodiversité dans l’aménagement urbain. Elle explique le travail de l’Etablissement Public Foncier du Nord-Pas-de-Calais, chargé du renouvellement urbain par le recyclage des friches industrielles et urbaines, qui systématise depuis quatre ans le verdissement et l’installation de prairies fleuries temporaires sur les sites dont il a la propriété. https://gardenfab.fr/inspiration/friches-urbaines

Les plantes qui aiment les sols pollués, il y en a plein ! Voici une vidéo qui montre l’application concrète à Hensies, Charleroi et Ciney, de la plantation de végétaux sur des friches, avec des objectifs de phytoremédiation, de production de biomasse ou de restitution d’un couvert destiné à maintenir le sol et à assurer l’adaptation au dérèglement climatique :

La verdurisation, ou l’erreur de vouloir enlever « le vert » pour en mettre un autre est détaillée dans cette analyse critique de Canopée, une organisation française fondée en 2018 pour construire un contre-pouvoir citoyen afin de mieux protéger les forêts en France et dans le monde.
https://www.canopee-asso.org/les-plantations-miyawaki-ou-lillusion-dune-nature-maitrisee/

Une friche quelque part en Wallonie, mai 2022. Un permis d’urbanisme a été introduit, comme l’atteste l’affiche jaune plastifiée. Ce « poumon vert » sera probablement amené à céder sa place. Photo Hélène Ancion.