« Les friches, ça s’anticipe ! »

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Est-ce qu’avoir des friches c’est mal ? Entretien sur les enjeux de maîtrise publique et sur la nécessité d’une vision globale avec Joël Privot, architecte-urbaniste en charge de la formation continue des CATUs (Conseiller.ères en Aménagement du Territoire et Urbanisme) organisée par la CPDT.

Avant de travailler au LEPUR – ULiège, Joël Privot a notamment développé une expérience spécifique dans le domaine de la reconversion des friches industrielles et des sols pollués chez SPAQuE sa. Il a participé à la fondation de la Brownfield Academy asbl.

Depuis 2020, il est chargé de la coordination du Certificat en « Recyclage du foncier dégradé dans une perspective de développement durable », formation continue issue d’un partenariat entre l’ULiège et la Haute Ecole Charlemagne de Liège, section Immobilier.

1. Panser le souvenir / Penser l’utilisation

Hélène Ancion : Dans la démarche de prise en compte des friches, ou « brown fields », il y a un double mouvement : travailler avec les traces du passé, et proposer de nouveaux usages futurs. Qu’est-ce que ça t’inspire ?

Joël Privot : Là où l’humain a travaillé, il peut y subsister un risque de pollution auquel il faut être attentif, que ce soit une ville, une rivière, une usine, ou même des milieux répertoriés aujourd’hui en tant que NATURA 2000. Une friche, c’est le lieu où l’on ne travaille plus, c’est un bien immobilier en attente d’une autre activité.

Il me semble important de reconnaître tout d’abord que la pollution a pu affecter le territoire au-delà des parcelles cadastrales des usines. Les cartes historiques disponibles sur WalOnMap sont d’ailleurs très utiles pour voir l’étendue antérieure. De même que les périmètres SAR et ISA qui peuvent fournir également une information plus circonstanciée.

Ne rien faire sur une étendue donnée, où il y avait, parfois jusqu’à très récemment, une activité intense, cela peut parfois poser des problèmes de voisinage. Mais en soi, la friche n’est pas nuisible « par défaut ». C’est plutôt l’idée qu’on s’en fait, l’image qu’on en a, qui peuvent être négatives. Il y a donc ce deuxième aspect important à prendre en compte, qui est celui de la perception. Je constate que la friche est de plus en plus considérée comme un gisement d’opportunités pour l’avenir, plutôt que comme un stigmate négatif du passé.

Pour que des usages nouveaux puissent prendre place sur l’emprise d’une friche, il existe plusieurs intensités de dépollution, qui sont liées au passé du site et à son futur : qu’y a-ton fait, exactement, et à quels usages génériques le réserve-t-on ?

2. Un observatoire du foncier

Hélène Ancion : Il existe une masse de sites industriels anciens sur le territoire wallon, c’est un patrimoine d’époques et de formes très variées qui suscite beaucoup d’intérêt, voire de passion. Mais les friches ont aujourd’hui du mal à rencontrer le projet qui les mettra vraiment en valeur, qui les reconnectera avec le quartier environnant. Pourquoi cherche-t-on à tout prix des projets trop grands ? Pourquoi ne pas faire voisiner plusieurs petits projets ?

Joël Privot : La friche apparaît un peu comme la boîte de Pandore, qui réserve des mauvaises surprises à n’en plus finir. La gestion des friches relève d’une discipline relativement récente en aménagement du territoire et toutes les institutions et propriétaires ne sont pas encore aguerris aux complexités de ce sujet, ce qui peut en rebuter nombreux de s’en saisir.

Le gouvernement wallon, dans sa Déclaration de Politique Régionale, l’annonce à la page 70 : « Un observatoire foncier wallon sera mis sur pied au sein de l’IWEPS ». Cet observatoire, c’est déjà une première étape intéressante pour objectiver le foncier (localisation, dimensions, état, voisinage), en espérant que cela mettra en évidence l’importance du foncier public éparpillé au sein des CPAS, communes, provinces, intercommunales, chez les opérateurs publics et dans l’ensemble des Services Publics de Wallonie. La part des SAR relevant du foncier public est estimée à 75 % du foncier repris en SAR ! Faute d’estimation, le secteur public ne semble pas suffisamment conscient du levier majeur d’interventions qu’il a en main pour développer une gestion territoriale globale des friches. Pour mobiliser ce foncier public, la Wallonie pourrait s’inspirer du Pas-de-Calais, qui a mis en place un établissement public foncier efficace.

3. Brownfield Master / Mistress

Hélène Ancion : Quand une commune n’a que quelques hectares de site à réaménager, de friche, ou d’immeubles commerciaux vides, vers qui peut-elle se tourner pour être conseillée, accompagnée ?

Joël Privot : Il faudrait un ou une Brownfield Master / Mistress ! Qui jouerait le rôle de facilitateur.trice friches, entre autres pour les plus de 200 communes qui n’ont que quelques petites friches, mais aussi pour les propriétaires de petites friches répertoriées dans la banque de données des sols.

Il y a une belle opportunité aujourd’hui de travailler avec les communes pour qu’elles comprennent mieux le rôle de leur CATU vis-à-vis de l’opportunité que représentent les friches. Le ou la CATU doit être au cœur de la gestion communale du foncier et doit intégrer dans des outils d’aménagement, tel que les Schémas de Développement Communal, la remobilisation des friches et leur assainissement éventuel.

En tant que formateur des CATU’s, je perçois bien qu’au-delà d’eux et d’elles, ce sont les communes et leurs mandataires qu’il faudrait coacher à ce sujet. Les sommes en jeu sont énormes, le montage financier est complexe, le travail de constitution de dossier demande à vraiment comprendre dans quoi on engage la commune, pour une durée qui dépasse le mandat.

La banque de données des sols en Wallonie
https://sol.environnement.wallonie.be/home.html

Que dit la DPR sur les friches ?
La Déclaration de Poltique Régionale 2019-2024 cite « l’assainissement des friches à la page 27 dans son Chapitre 6. L’économie circulaire et régénératrice.

4. Zéro Artificialisation Nette (ZAN)

Hélène Ancion : Dans la perspective d’un arrêt de l’artificialisation des sols, la réutilisation des friches, et notamment des constructions qui s’y trouvent, apparaît comme allant de soi, non ?

Joël Privot : Oui, et à plus d’un titre. Non seulement pour ne plus utiliser des terrains vierges mais également pour limiter les gaz à effet de serre en évitant de produire de nouveaux aménagements et de nouvelles constructions. Le recyclage du foncier et du bâti est plus raisonnable, mais nécessite de revoir les équations financières habituelles car, généralement, en Wallonie, les coûts importants d’assainissement ne sont pas couverts par l’opération immobilière.

A l’inverse de notre situation en Wallonie, la dépollution et la rénovation des sites industriels et/ou pollués du Grand-Duché du Luxembourg et de Paris se font avec davantage de célérité.  Ces sites représentent des opportunités immobilières évidentes, parce que les coûts de sortie en permettent le financement. Il y a donc davantage d’égards vis-à-vis des friches et de leurs bâtiments anciens.

Par ailleurs, les nouveaux aménagements et les constructions génèrent quantité de terres excavées à gérer, de l’ordre de 7.000.000 de m³/an en Wallonie, selon la compréhension que l’on a des statistiques de WalTerre. De ce fait, on assiste à une course effrénée pour remplir tous les « trous », vallons et terrains disponibles. Toutes les anciennes carrières ne doivent pas être le réceptacle pour les terres excavées. La région devrait étudier et désigner les lieux les plus adéquats.

La gestion des terres excavées a engendré un nouveau business relativement lucratif. Des sociétés déposent des demandes de permis pour remblayer des vallons, les friches sont convoitées comme zone de stockage des terres. Voire même, des remblaiements préalables de terrains servent à financer la construction de halls industriels. Le territoire s’est transformé en Monopoly pour stocker les terres excavées à bon ou mauvais escient, sans vision territoriale globale. Or toute modification du relief du sol et de la nature du sol entraîne des conséquences environnementales. La priorité doit devenir : éviter la production de terre excavée par un bon aménagement des lieux.

En savoir plus

Regardez près de chez vous

Des activités industrielles et, surtout, proto-industrielles, il y en a eu partout en Wallonie. Leurs traces ont été effacées ou atténuées avec le temps. Elles se retrouvent en étudiant les cartes anciennes, ce qui permet de se rendre compte à quel point la promotion immobilière pour la construction de quartiers résidentiels, depuis les années 1960, a jeté son dévolu sur ces sites… Dans des cas relativement fréquents, c’est la société exploitante qui a développé sa branche immobilière, pour poursuivre l’exploitation du terrain minier dans un autre registre.

Des exploitations proto-industrielles sur les cartes du quartier de Frizet à Namur :

1) Ici : https://www.patrimoineculturel.org/documents/fichier/1/2/20200506_103715province_de_namur___carnet_pedagogique_sur_la_vallee_du_frizet.pdf
2) ici :

Extrait d’un ouvrage sur le quartier de Frizet, capture d’écran reçue telle quelle. Si jamais vous reconnaissez le livre reproduit par l’aimable internaute, merci d’envoyer la référence complète à h.ancion at canopea.be. L’esprit scientifique vous en sera éternellement reconnaissant.

Une seconde vie pour les friches : quelques projets en cours, en Wallonie

1. Dépollution par les plantes et production de biomasse sur les sites marginaux
Exemple : Vidéo de LIEGE CREATIVE – « Le phytomanagement : une seconde vie pour les friches

Durée 52 :50

Cécile Nouet (Chercheuse en biologie – InBioS, ULiège) et Aricia Evlard (Chef de projet Production de biomasse – ValBiom), chercheuses en charge d’ambitieux projets de dépollution par les plantes, exposent les multiples aspects de cette filière d’avenir.

2. Les intercommunales ont compris l’opportunité de s’occuper des friches

Exemple : Workshop organisé par le BEP (Agence de développement économique de la province de Namur) en mai 2022 : « Les sites désaffectés : Des gisements fonciers pour l’avenir »

Objectif : Aider les communes dans leur démarche pour réhabiliter les friches. En Province de Namur, 633 sites à réaménager ont été identifiés, particulièrement en cœur de village, soit un potentiel de 1300 hectares à reconvertir. Neuf communes namuroises ont participé à cette journée organisée par le BEP en partenariat avec le Service Public de Wallonie et la Brownfield Academy.

3.La surveillance par satellite de l’évolution des sites désaffectés

En Wallonie, l’administration régionale utilise les images fournies par les satellites du programme Copernicus pour surveiller les sites industriels désaffectés et inutilisés. Elle peut ainsi mieux tenir à jour son inventaire de ces terrains, et suivre leur évolution efficacement.

NB : Copernicus est le nom du programme d’observation de la Terre de l’Union Européenne. Les satellites du programme, les Sentinels, collectent des quantités gigantesques de données qui aident ensuite les fournisseurs de services, les pouvoirs publics et les organisations internationales à améliorer la vie quotidienne des citoyens européens. Voici une vidéo qui présente en bref l’application du programme aux sites désaffectés wallons : 

https://www.esa.int/Space_in_Member_States/Belgium_-_Francais/Les_friches_industrielles_wallonnes_surveillees_depuis_l_espace