Il faut préparer dès aujourd’hui la sortie du réseau de gaz  

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Une transformation environnementale crédible implique de fortes décroissances dans certains secteurs. C’est le cas pour celui du gaz. Les réseaux de distribution de gaz constituent un objet d’étude particulièrement intéressant car ils appartiennent aux communes. Analyse. 

Peu de gaz vert disponible 

Une diminution importante de l’utilisation du gaz est inévitable. La rénovation du logement réduira nos besoins de chauffage, tandis que progressivement de plus en plus de ménages installeront notamment des pompes à chaleur…  

Dans une Belgique bas carbone en 2050, cette diminution doit s’accélérer. Par exemple, dans le scénario énergétique de référence Belgique bas carbone, plus un m3 de gaz fossile n’est utilisé en 2050 (figure 1).  

Des gaz non fossiles produits à base de biomasse ou d’électricité verte (en vert et bleu dans le la figure 1) seront disponibles. Mais la biomasse est une ressource finie. Le secteur estime le potentiel maximum à ~10% de la consommation actuelle de gaz. Quant aux dérivés d’hydrogène produit à partir d’électricité verte, ils impliquent des très grosses pertes de transformation (autour de 70-80% de perte pour produire du méthane à base d’électricité). Au final on peut compter sur 20-30% du gaz actuellement consommé en Belgique « remplacé » par ces gaz non fossiles, soit ~30TWh).  

Belgique bas carbone 2050, évolution du chauffage dans le bâtiment  dans le scénario CORE 

Un gaz vert surtout utilisé dans l’industrie 

Ce gaz non fossile sera affecté en priorité dans les secteurs où il n’y a pas d’alternative soit principalement dans l’industrie, que ce soit pour des fours à haute température ou comme matière première pour produire des substances comme l’ammoniac. Actuellement, l’industrie consomme autour de 50 TWh de gaz. (soit la fourchette haute de ce sur quoi on peut compter comme approvisionnement…) Evidemment certains de ces usages industriels seront à questionner, on pense a la production d’engrais, mais d’autres resteront nécessaires… 

Dès lors, pour le chauffage et l’eau chaude sanitaire des ménages ou pour les PMEs , la disponibilité de gaz même “renouvelable” sera faible voire nulle à l’horizon 2050. Ces consommateurs s’approvisionnent sur un réseau spécifique, distinct du réseau des grandes entreprises, appelé réseau de distribution, géré par RESA ou ORES. 

Même notre scénario était à moitié vrai – càd que nous ne respections pas nos engagements climatiques en rénovant et électrifiant à moitié moins ou que nous trouvions à importer plus de gaz produit a base d’hydrogène que prévu – une chose est certaine : en 2050 beaucoup moins de gaz sera acheminé sur ce réseau de distribution. . Ce qui a des implications pratiques à régler dès maintenant. 

Un secteur économique qui va devoir se transformer  

Pour tous les acteurs qui aujourd’hui gagnent leur vie avec ce réseau bientôt (partiellement?) inutile, la tentation est grande de s’enfouir la tête dans le sable Il s’agit des fournisseurs de gaz, mais aussi des gestionnaires du réseau (ORES et RESA principalement en Wallonie). Ces derniers sont particulièrement intéressants, car il s’agit d’entreprises régulées détenues à 100% par les communes wallonnes, c’est-à-dire… Par nous-mêmes !  

Les implications économiques de ce phasing out du réseau de gaz sont abyssales et requièrent en tout cas une préparation le plus en amont possible pour permettre un atterrissage en douceur pour les actionnaires et pour les travailleurs. Notamment :  

  • L’actif détenu par ces gestionnaires de réseau (GRD) – et donc par les communes – n’ayant progressivement plus d’utilité , sa valeur économique va décroitre.. Aujourd’hui, on amortit ces réseaux sur 50 ans, soit bien au-delà de 2050. Notons que ces durées d’amortissement sont aussi utilisées par le régulateur (la CWAPE) pour calculer les tarifs de distribution… Faussant aussi ces estimations. 
  • L’entretien du réseau est payé par les utilisateurs dont le nombre va nécessairement décroitre (au fur et a mesure que les gens vont s’équiper en pompe à chaleur). Ce sont les utilisateurs résiduels (sans doute ceux n’ayant pas les moyens de s’équiper et de rénover) qui vont devoir assumer seuls l’entretien. Il faut donc ré-évaluer le financement du réseau par les seuls utilisateurs pour qu’il soit géré jusqu’au bout par tous ceux qui en ont profité. C’est un enjeu de justice sociale.    
  • Jusqu’à quel point faut-il entretenir un réseau et pour quel usage ? Faut-il continuer à entretenir un réseau de gaz devenu inutile ? Ne doit on pas prévoir dans certains quartiers notamment ceux qu’on compte rénover prioritairement, un plan de sortie du réseau ?  
  • Une transition juste implique également de former les travailleurs “du gaz” pour les convertir par exemple aux métiers de l’électricité que ce soit au sein des GRDs ou dans toutes les entreprises du secteur gaz…  

Un shift du gaz vers l’électricité  

La bonne nouvelle pour les GRDs  est qu’alors que leur activité gaz va progressivement diminuer et que leur réseau gaz va se déprécier, leur activité électricité devrait, elle, se développer. C’est un défi gigantesque mais aussi une réelle opportunité économique : il faudra investir dans le réseau électrique mais aussi développer des services pour mieux consommer l’électricité (accompagner des communautés d’énergie, améliorer la gestion… )  voire se diversifier (développer et gérer des réseaux de chaleur par exemple)  

Une chose est certaine. Les  GRDs doivent profondément se transformer, que ce soit dans leur structure, dans leur comptabilité et dans les métiers qu’ils exercent. Les actionnaires communaux devraient réclamer la mise en œuvre rapide de ce chantier gigantesque. Ce sera ça ou… une transition « à la wallonne », sans préparation et dans le sang…   

Le Gouvernement doit imprimer le mouvement. Le récent plan Climat régional prévoit d’ailleurs une vision gaz (censée atterrir en juin 2023 …) qui « comprendra une vision sur les usages futurs des réseaux de distribution ». C’est un début. Mais les forces conservatrices du “on verra plus tard” veillent. On peut ainsi lire, un peu plus loin : « L’établissement de cette stratégie et du calendrier de sortie du gaz visera au maintien du réseau de gaz existant ». Drôle de manière de commencer cette discussion cruciale… 

Crédit photo d’illustration : @Adobe Stock

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