Jusqu’à l’usure

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Les mots « trafic routier » et « pollution » nous évoquent instinctivement les pots d’échappement. Mais… la pollution principale d’un véhicule provient-elle vraiment des gaz de combustion ? Qu’en est-il des pneus qui s’usent au fil des kilomètres ? Où atterrissent les poussières résiduelles de nos pneumatiques abrasés ?

Dans cet article nous allons parcourir quelques résultats de recherche mis en avant par la société britannique Emissions Analytics. Leur activité principale consiste comparer les émissions de véhicules en conditions réelles de circulation par rapport à celles annoncées par les différents constructeurs. L’entreprise s’intéresse également à la pollution de l’air présente au sein de l’habitacle du véhicule, ainsi qu’aux émissions des particules issues lors de l’abrasion des pneus et garnitures de frein. Ces polluants, émis indépendamment du système de combustion, se retrouvent dans la catégorie « émissions hors-échappement ».

Emissions hors-échappements

La tendance actuelle du parc automobile consiste à mettre sur le marché des véhicules de plus en plus lourds et puissants. Avec les progrès faits ces dernières années au niveau des moteurs et des filtres à particules, les émissions hors-échappement (usure des pneus et des freins) deviennent bien souvent la principale source de pollution de l’air ambiant à l’échelle de nos systèmes de transport. Pour appréhender ce postulat peu intuitif, parcourons quelques données factuelles.

Quotidiennement 67 mg/km par-ci, 15 tonnes/jour par-là

Les émissions de particules fines imputables à l’usure des pneus sont 2000 fois plus importantes que celles des gaz d’échappement1.

Un véhicule émet en moyenne 67 mg de particules par kilomètre parcouru. Autrement dit, après avoir roulé 100 km, un véhicule émet en moyenne 6,7 gramme de particules de pneu.

Dézoomons à l’échelle de la Belgique pour mieux se rendre compte de l’ampleur de cette pollution. L’ensemble de nos véhicules cumule quotidiennement une distance de 230 millions de kilomètres (soit 5 742 fois le tour de la Terre tous les jours)2.Une petite règle de trois nous amène amèrement à constater que l’ensemble du parc automobile belge émet un peu plus de 15 000 kg d’usure de pneu quotidiennement. L’union fait la force, n’est-ce pas ?

Pollution chimique, risques sanitaires et environnementaux associés

Emissions Analytics pointe du doigt le danger lié aux particules issues des pneus : leur complexité chimique. En effet, elles sont composées de toute une série de substances qui échappent au monitoring conventionnel de la pollution de l’air ambiant. En effet, les Etats membres de l’UE mesurent continuellement une série de polluants (ozone, dioxyde d’azote, …) mais les dispositifs de mesure actuels ne permettent pas de percevoir la pollution spécifique liée aux pneus. On ne trouve que ce que l’on cherche.

Parmi ces polluants, on retrouve notamment le 6PPD, ajouté aux pneus pour ralentir leur durcissement et craquellement. Selon certaines études, ce polluant pourrait être à l’origine de surmortalités de certaines populations de poissons3 ; 4. Il ne s’agit que d’un exemple parmi d’autres. En moyenne, un pneu contiendrait 410 composés organiques différents dont les effets sanitaires et environnementaux sont encore méconnus par manque d’études.

Environ 10% des particules de pneu émises finissent en suspension dans l’air que nous respirons, principalement sous forme de particules ultrafines. Qu’en est-il des 90% restant ? Et bien celles-ci sont majoritairement ramenées au sol par les précipitations et le vent, pour atterrir tantôt dans les champs, tantôt dans les boues de bassins d’orage parfois elles-mêmes épandues dans les champs comme matière organique5. Des études mettent ainsi en avant qu’on retrouve parfois des composés de pneu (ex : 6PPD) dans des cultures de laitues par exemple6. A table et bon appétit !

Une question de poids

Plus un véhicule est lourd, plus le volume d’air au sein des pneus doit être grand pour assumer la charge. Autrement dit, la taille des pneumatiques est directement proportionnelle à la masse du véhicule. L’évolution de notre parc automobile vers des véhicules toujours plus lourds (voir graphique ci-dessous) entraine une augmentation significative de la masse de pneus circulant sur notre route et par conséquent de la pollution associée. Prenons l’exemple de la Renault Scénic. Entre 1996 et aujourd’hui, ses pneus sont passé de 15 pouces à 21 pouces7.

Source : International Council on Clean Transportation (ICCT), European vehicle market statistics – Pocket book 2021/22, p. 53 (Réalisation graphique : Canopea)

Selon les tests effectués par Emissions Analytics, tout supplément de 500 kg (~ masse moyenne d’une batterie sur un SUV électrique) entraine une augmentation de 21% des émissions.

Face à ce constat, est-il encore légitime d’utiliser la mention « Véhicules Zéro-Emissions » dans les campagnes de publicités promouvant l’achat de véhicules électriques ?

Quels leviers d’action ?

Qu’il soit électrique ou thermique, nous venons de voir que tout véhicule émet des polluants. Si nous voulons que notre mobilité préserve davantage la qualité de l’air que nous respirons, il est nécessaire que l’électrification du parc automobile s’opère conjointement à une réduction de la masse des véhicules. Idem pour les véhicules thermiques, où il est impératif de freiner la généralisation des SUV sur nos routes, de plus en plus lourds et puissants et donc de plus en plus menaçants.

Ce shift du parc automobile vers des véhicules plus légers devra évidemment être accompagné de mesures complémentaires. Au niveau national et européen, citons l’adaptation des normes produits (Euro 7, Reach) à mener de manière à limiter la teneur en substances nocives des pneus mis sur le marché ainsi que le nombre de particules ultrafines émises8. Au niveau citoyen, nous ne pouvons qu’encourager une limitation du nombre de kilomètres parcourus en véhicules individuels et la réduction des vitesses de circulation.

Des solutions qui, si elles sont mises en place, devrait nous garantir un air plus sain et moins de pollution sonore.

Crédit photo d’illustration : Adobe Stock

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  1. Emissions Analytics, Newsletter 17/01/2023, « How tyre emissions hide in plain sight »
  2. Pierre Courbe, Canopea, Dossier « L’automobile en question » , Novembre 2021
  3. Zhenyu Tian et al., A ubiquitous tire rubber–derived chemical induces acute mortality in coho salmon. Science 371,185-189 (2021). DOI:10.1126/science.abd6951
  4. Markus Brinkmann et al., Acute Toxicity of the Tire Rubber-Derived Chemical 6PPD-quinone to Four Fishes of Commercial, Cultural, and Ecological Importance, Environmental Science & Technology Letters 2022 9 (4), 333-338, DOI: 10.1021/acs.estlett.2c00050
  5. UVCW, « Les régimes applicables aux boues de curage et de dragage, aux déchets résultant de l’entretien des bassins d’orage, aux déchets résultant du nettoyage des égouts et des fossés le long des voies de communication et aux chantiers y relatifs », 28/09/2023
  6. Castan and al., «Uptake, Metabolism, and Accumulation of Tire Wear Particle-Derived Compounds in Lettuce », Environ. Sci. Technol. 2023, 57, 1, 168–178, https://doi.org/10.1021/acs.est.2c05660
  7. Voir la base de données LaCentrale.fr – Fiches techniques Renault SCENIC
  8. Emissions Analytics, “Open letter: Regulating pollutants from tyre emissions”, Juin 2023