La cohérence des partis conservateurs belges sur l’environnement se joue au niveau Européen

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Ceci est une carte blanche parue dans Le Soir du 07 juillet 2023.

Un vote sur la loi de restauration de la nature aura lieu au parlement européen la semaine prochaine. Des activistes et des personnalités de la société civile soulignent l’importance du rôle que peuvent jouer certains des eurodéputés belges et les invitent à orienter leur voix en faveur de la préservation de la biodiversité.

Depuis l’avènement de l’ère industrielle, nos modèles économiques, productivistes et consuméristes ont poussé les écosystèmes au-delà de leurs limites. Au point que 80 % de ces écosystèmes en Europe sont « en mauvais état » selon la Commission européenne.

Récemment, certains membres du Parlement européen ont rejeté les propositions de la Commission européenne concernant la loi sur la restauration de la nature. Ce vote est en contradiction frontale avec la science et met en lumière les incohérences des députés européens qui prétendent défendre les agriculteurs et la sécurité alimentaire – alors que les seuls intérêts qu’ils défendent dès lors sont ceux du privé et de leurs actionnaires, bénéficiant du business as usual pour continuer de s’enrichir.

Depuis l’invasion de l’Ukraine, l’inflation a fait grimper les prix des denrées alimentaires. Plus de 60 % des habitants européens déclarent que le coût des denrées alimentaires est leur principale préoccupation. Certains députés européens ont utilisé sans honte la guerre en Ukraine comme prétexte pour défendre les méthodes agricoles intensives et attaquer les projets de la Commission visant à rendre ces pratiques plus durables. La science démontre pourtant qu’il est essentiel de modifier nos méthodes agricoles, afin de permettre l’accès à une alimentation abordable et de qualité pour tous.

Une loi comme outil essentiel

Ces députés sont principalement issus du Parti populaire européen (PPE) de centre droit ainsi que de Renew, parti centriste. Le PPE mène une campagne de désinformation massive sur la loi de restauration de la nature, enchaînant mensonges et fake news malgré le travail de décryptage des ONG et l’interpellation de 3.000 scientifiques en faveur du texte. En Belgique, ces députés sont notamment issus du parti francophone Les Engagés ainsi que du Mouvement Réformateur. La ligne des conservateurs européens soutient que l’adoption de pratiques agricoles durables aurait un impact négatif sur les agriculteurs et compromettrait même les engagements de l’UE en matière de climat. Alors qu’actuellement la crise climatique et la perte de biodiversité mettent déjà en péril la production alimentaire en Europe.

Le système agricole industriel ne renforce pas la sécurité alimentaire ni ne combat le changement climatique. Le système agroalimentaire représente quant à lui 31 % des émissions de l’UE dans son ensemble. Cette situation conduit également à une détérioration des sols qui aggrave l’urgence climatique. Ces sols perdent alors leur capacité à absorber le carbone et à atténuer les impacts de la chaleur. Même des acteurs du secteur privé, tel qu’Unilever et Ikea considèrent cette loi comme un outil essentiel et une occasion de prendre des mesures concrètes et efficaces et l’ont fait savoir publiquement.

En Italie, une situation climatique extrême s’est produite récemment. L’équivalent de 6 mois de pluie est tombé en un jour et demi, provoquant des inondations dévastatrices après une période de sécheresse prolongée. Les sols arides n’ont pu absorber l’excès d’eau, entraînant plus de 300 glissements de terrain. Parallèlement, l’Espagne se dirige inexorablement vers une transformation en un désert non productif, nécessitant une intervention du gouvernement.

Un débat éminemment politique

La défense du business as usual, comme risquent de choisir les députés européens des Engagés et du MR s’ils votent contre la loi, sera néfaste pour toute la société. Elle n’aidera pas les agriculteurs, les travailleurs, qui devront faire face à des terres improductives et aux aléas des conditions météorologiques extrêmes induites par le changement climatique, ni les consommateurs, qui se retrouveront confrontés à des prix élevés. Leur priorité n’est pas du bon côté de la balance, à un an des élections belges et européennes.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit en réalité. Ce débat est éminemment politique et permet aux conservateurs à travers l’Europe entière de réaffirmer leur positionnement en tant que parti qui défend la liberté d’entreprendre. Même si cette « liberté » détruit la nature, qui est le socle sur lequel repose notre société, et va à l’encontre de régulations environnementales qui « affaibliraient l’économie européenne ». Tout cela en période électorale où le marchandage et les alliances avec l’extrême droite vont bon train à travers toute l’Europe.

Mettre fin à un système destructeur

Or, sans mesures concrètes pour lutter contre les changements climatiques et préserver la biodiversité, l’ensemble de l’économie subira des coûts supplémentaires. Ces coûts se traduiront par une pression accrue sur les entreprises, des pertes d’emplois potentielles et une dégradation de la qualité de vie de tous les citoyens de l’UE. Les changements climatiques aggravés et la perte de biodiversité résultant du manque de politiques ambitieuses et solides, comme la loi de restauration de la nature, causeront un surcoût à notre économie et pèseront de ce fait sur nos travailleurs.

L’urgence climatique, la préservation de la nature et la sécurité alimentaire sont des enjeux intrinsèquement liés. Les députés des partis Les Engagés et Mouvement Réformateur, s’ils décident de s’opposer à la restauration de la nature, ne luttent pas pour protéger les consommateurs des prix élevés. Ils ne se battent pas non plus pour défendre les intérêts des agriculteurs. Leur opposition vise plutôt à maintenir un système destructeur qui permet aux industriels de s’enrichir sur le dos des citoyens et agriculteurs.

Signataires 

Canopea (Sylvie Meekers, directrice générale) ; Adélaïde Charlier, activiste pour la justice climatique et sociale ; Laurie Pazienza, experte en changement climatique et activiste ; Chloé Mikolajczak, activiste pour la justice climatique et sociale ; Lucie Morauw, activiste pour la justice climatique et les droits humains ; Vinz Kante, fondateur LIMIT ; Bénédicte Franck, activiste pour la justice climatique et sociale ; Adrien Lefebvre, expert Agriculture, forestry et land use (change) ; Valentine Hendrix, activiste pour la justice climatique et sociale ; Arthur Villers, activiste pour la justice climatique et sociale ; Baptiste Dutron, expert énergie et activiste ; Martin Huberland, expert énergie & climat ; Oriane Dallemagne, membre du Kap sur l’Avenir ; Loïc de Crombrugghe, membre du Kap sur l’Avenir ; Colin Chabot, corporate activist ; Eva Joskin, experte énergie climat ; Gilles Vander Borght, activiste pour la justice climatique et sociale ; Eva Maxson, Ingénieure consultante en climat et énergie ; Jérémy Pontif, expert énergie & climat ; Gabrielle Meyers, membre du Kap sur l’Avenir ; Renaud Franssen, citoyen ; Gaspard Beyens, membre du Kap sur l’Avenir ; Aline Florin, enseignante et activiste pour la justice sociale et climatique ; Bertrand Bastin, citoyen ; Alexandra Tits, citoyenne ; François Herinckx, ingénieur spécialisé en réseau de transmission électrique ; Pierre-Yves Bareel, ingénieur énergie ; Lucia Enes Gramoso, étudiante et activiste ; Martin Funk, ingénieur énergie ; Isabelle Ferreras, chercheuse associée à Harvard, sociologue.

Crédit photo d’illustration : @Adobe Stock

Canopea