La culture et l’évènementiel face à la sobriété

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Ce 22/11 s’est tenu, à Namur, le Forum de la Culture durable, un projet mis en œuvre par Eventchange, programme visant à « accélérer la durabilité des secteurs culturels et événementiels en réunissant les acteurs et en développant les meilleures solutions possibles ». Le Forum est soutenu par le cabinet de Céline Tellier, la Ministre wallonne de l’environnement en charge de développement durable et par Bénédicte Linard, la ministre de la culture de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Cet évènement a rassemblé plus d’une centaine d’acteurs de la culture et de l’évènementiel, dont de nombreux étudiants, pour les amener à réfléchir, échanger et à s’instruire sur la façon de réduire l’impact environnemental et climatique de leurs activités. La rencontre était articulée entre séances plénières, « échoppes » thématiques (sorte de stands au sein desquels des « solutions » en matière de durabilité étaient présentées) et des cas de bonnes pratiques présentés sous forme d’ateliers. Mobilité, énergie, alimentation, économie circulaire, inclusion sociale et participation, numérique … faisaient partie des thèmes abordés lors de la journée.

Lors d’une première présentation introductive en plénière, le décors a été posé de façon très claire et alarmante par David Irle, co-auteur de « Décarboner la culture » , qui a présenté en quelques slides une série de concepts et de réalités, et notamment : la notion de durabilité (en se basant sur les théories de l’économiste Kate Raworth), la crise de la biodiversité (pourcentage d’extinction des espèces1), l’impact des dérèglements climatiques (en prenant pour exemple le déclin économique des domaines skiables dans les Pyrénées d’ici 20502), les trajectoires de décarbonation et de réchauffement planétaire selon différents scénarii (politiques en cours, promesse COP 26, COP 21), les perspectives en matière de transition énergétique applicables à la Belgique et, enfin, les principaux impacts actuels du secteur culturel sur l’environnement et le climat.

A ce titre, les principaux impacts « carbone » du secteur selon David Irle, sont le transport et la mobilité, l’énergie, l’alimentation et le numérique. Les impacts carbone « mineurs » sont la conception, la logistique, les déchets, les bâtiments, les équipements et la communication. A côté de ces impacts carbone, le secteur culturel génère d’autres nuisances environnementales, mais plus modestes par rapport aux impacts majeurs, telles que la consommation d’eau douce, les pollutions sonores et/ou lumineuses (qui peuvent néanmoins être ressenties de façons très aigues au niveau local), l’utilisation de matériaux toxiques ou de matériaux plus rares et l’impact sur la biodiversité. Ces nuisances, si elles sont dans certains cas plus anecdotiques, sont pourtant bien réelles.

Pour David Irle, le secteur à un double rôle à jouer : d’une part, il doit atténuer son impact en termes d’émissions de gaz à effets de serres et d’autres formes de pollution. D’autre part, il a la capacité de proposer une narration de ce que pourrait être un futur compatible avec les enjeux climatiques et les limites de la planète.

Plusieurs analyses relayées notamment par The Shift project révèlent que la mobilité des visiteurs dans le secteur de l’évènementiel et de la culture est particulièrement impactante en matière d’émissions, étant donné son degré de mondialisation et ses enjeux économiques. A titre d’exemple, Julie’s Bicycle, une organisation sans but lucratif basée aux Royaume Unis révèle que l’empreinte carbone mondiale du monde de l’art serait de l’ordre de 70 MtCO2 e par an et que « sur ces 70 millions, 26 % (18 MtCO2 e) seraient dus aux bâtiments, au fret d’œuvres d’art et aux voyages d’affaires. Tandis que la très grande majorité (74 %) de l’empreinte du secteur serait due aux émissions liées aux déplacements des visiteurs (~52 MtCO2 e). ».

Selon The Shift Project, les musées et les galeries d’art sont à la traîne par rapport aux festivals en matière d’efforts pour réduire les émissions liées à la mobilité de leurs visiteurs. En particulier, les grands musées qui attirent une clientèle internationale et le marché de l’art contemporain (galeries de renommée internationale et au personnel hyper-mobile) portent, selon plusieurs enquêtes récentes citées par The Shift Project, une lourde responsabilité en termes d’impact carbone de par leur dépendance aux modes de transports carbonés et notamment l’avion. En ce qui concerne les musées, comme le souligne le rapport de The Shift, la situation actuelle est d’autant plus questionnable que ces musées dépendent dans la plupart des cas de subventions publiques3

Alors, jusqu’où faut-il aller pour réduire l’impact du secteur de la culture et de l’évènementiel ? Dans le cadre des échoppes lors du Forum de la culture durable, les conversations allaient bon train concernant les solutions possibles pour réduire l’impact de la culture, de l’évènementiel et le montant des factures énergétiques (étant donné, bien évidemment, la crise actuelle). Il existe une multitude d’outils et de solutions technologiques ou organisationnelles permettant au secteur de s’orienter vers une réduction de son impact et de ses consommations, également mises en avant dans le cadre des échoppes et du forum : écolabels (dont la Clé Verte/Green Key dont les critères s’appliquent également aux centres de conférences, musées), baffles éco-efficients et alimentés à l’énergie solaire (tels que ceux proposés par Pikip), initiative de mutualisation et d’écoconception (telles que celle à laquelle participe le Théâtre de la Monnaie), etc.

Mais au-delà de la créativité concernant ce type de solutions, deux enjeux semblent se dégager par rapport à la problématique en matière de secteur évènementiel et culturel plus durable. Face aux défis en matière d’énergie et au défi climatique, ne faut-il pas repenser fondamentalement la manière de produire des évènements, de concevoir des lieux de culture, ainsi que le public que l’on vise ? Par exemple, les « re-modélisations » plus fondamentales évoqués dans le cadre des échoppes, sur base d’expériences menées par des « pionniers », étaient de cet ordre : un musée qui n’est pas accessible en transport en commun devrait-il être relocalisé ? Un centre culturel qui voit ses factures d’acompte pour le chauffage tripler ou quadrupler, pourrait-il décider de n’ouvrir qu’en été ? Les festivals devraient-ils diminuer leur taille et s’adresser davantage à un public local (en mettant sur l’affiche des musiciens peu connus et diversifiés) ? L’art devrait-il aller à la rencontre de son public cible et pas l’inverse ? Les artistes, pour éviter de faire des aller-retours, pourraient-ils réaliser des tournées, comme à l’ancienne, en partant pour 6 mois et en visitant une série de lieux échelonnés le long d’un grand itinéraire ?

Ce qui est sûr, c’est que toutes ces nouveaux modèles à mettre en place requièrent de revoir le logiciel de création de spectacles, de lieux de culture et d’évènements de fond en comble, qu’ils demandent beaucoup de créativité et de travailler dans une logique de collaboration plutôt que de compétition.

Ces grands principes nécessaires, que nous pouvons retenir en conclusions de l’analyse de la transition progressive du secteur de la culture, s’appliquent tout à fait à d’autres secteurs : changement de logiciel, collaboration et créativité… Une nouvelle narration du futur.

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  1. infographie du Monde, basée sur les données de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES, 2019) – voir aussi : https://ipbes.net/sites/default/files/2020-02/ipbes_global_assessment_report_summary_for_policymakers_fr.pdf
  2. Sur base des données de l’INRAE. Voir aussi https://www.inrae.fr/actualites/impact-du-changement-climatique-lenneigement-stations-sports-dhiver
  3. https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2021/11/211130-TSP-PTEF-Rapport-final-Culture-v2.pdf, p. 180 & 184.