La rénovation du patrimoine locatif, une nécessité environnementale et sociale

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Une des mesures phare du Plan Air Climat Energie (PACE) récemment passé en première lecture au gouvernement Wallon, l’obligation de rénovation du patrimoine locatif, via une interdiction progressive de la mise en location des biens immobiliers de classes énergétiques les plus basses, est une mesure urgente, indispensable et avant tout sociale.

Mise en contexte  

Objectifs à 2030 

Depuis les Accords de Paris, les objectifs de réduction d’émission de gaz à effet de serre (GES) pour 2030 ont été revus à la hausse et cela se traduit tant au niveau européen (FIT for 55) qu’au travers des déclarations politiques fédérale et régionale (DPR 2019-2024). 

L’objectif déclaré, afin de garder l’augmentation de température globale en-dessous de +1,5°C, est de réduire de 55% nos émissions de GES d’ici 2030 par rapport à 1990. C’est également l’objectif qui est repris dans le Plan Air Climat Energie (PACE) qui est passé en première lecture au Gouvernement Wallon le 15 décembre 2022. 

On pourrait considérer que la Wallonie est sur la bonne voie, à la vue de la diminution de – 38,5% des émissions de GES enregistrée en 2020 par rapport à 1990. Toutefois, force est de constater que la majeure partie de cette diminution est due à l’arrêt de la phase à chaud de la sidérurgie wallonne et que la situation stagne tristement depuis 2012 (voir Figure 1).   

Figure 1: Emissions de GES wallonnes (historiques et objectifs) 

ETS et ESR 

La lutte contre les émissions de GES se décline au travers de différentes politiques européennes. On retrouve d’une part le système ETS (Emission Trade system) ou système européen d’échange des quotas d’émission qui se focalise sur les grosses industries, grosses consommatrices d’énergie. 

D’autre part l’ESR (Effort Sharing Regulation) qui s’intéresse à tous les secteurs non-ETS (tels que l’agriculture, la mobilité, les transports, les bâtiments,…) et établit pour chaque état membre une trajectoire de diminution d’émissions de GES. L’ensemble des mesures du PACE s’attaquent à cette partie des émissions de GES et c’est dans ce paquet que l’on retrouve celles qui proviennent des logements résidentiels (chauffage, ventilation, éclairage,…). 

Pour la Belgique la diminution de GES proposée par l’Europe est de – 47% par rapport à 2005 et c’est également l’objectif poursuivi par le PACE pour les émissions non-ETS (Voir Tableau 1). Sur base des émissions passées et actuelles, le PACE propose différentes cibles sectorielles.  

Avec environ 24% des émissions de GES non-ETS, le résidentiel est le deuxième secteur le plus émetteur derrière le transport. C’est donc un levier particulièrement important pour diminuer notre impact environnemental et le PACE 2030 fixe un objectif ambitieux de -52%. 

Tableau 1: Objectifs sectoriels à l’horizon 2030 (Source : PACE) 

Mettre les bouchées doubles 

Le logement wallon reste globalement très énergivore, puisqu’en moyenne il requiert 427,6 kWh/m².an d’énergie primaire, avec la majorité des habitations (près de 30%) dans la catégorie la plus basse, c’est-à-dire G1. C’est une catastrophe pour le climat autant que pour le portefeuille des wallons. 

Entre 2005 et 2019, les émissions de GES du secteur résidentiel ont diminué d’environ 18%, mais cela reste bien insuffisant pour atteindre l’objectif de 2030. Le rythme actuel des rénovations est beaucoup trop lent, les incitants mis en œuvre jusqu’ici n’ont pas eu les effets attendus. En effet, malgré les primes et les prêts verts (taux à 0%), les émissions de GES du résidentiel n’ont diminué en moyenne que de 102 kt de CO2 /an. Sur base de la situation en 2019, pour atteindre l’objectif de -52% à l’horizon 2030 (voir Figure 2), les diminutions moyennes doivent atteindre 223 kt/an (soit plus du double !).  

Figure 2 : Evolution des émissions de GES résidentiel (historique et objectif 2030)

Il est donc urgent d’accélérer la rénovation des logements pour diminuer les consommations d’énergie (et donc des émissions de GES) du résidentiel si l’on veut atteindre les objectifs de 2030, et cela passera inévitablement par la mise en place de nouvelles mesures, en plus des outils incitatifs actuels (primes, prêts à taux préférentiels).   

Une proposition sur la table en Wallonie 

Alors que l’Europe débat sur l’interdiction, dans le résidentiel, des labels G en 2030 (les labels F en 2033,…), la Wallonie a approuvé en première lecture son Plan Climat Energie qui prévoit, entre autres, différentes mesures pour s’attaquer aux émissions de GES du résidentiel, dans la lignée de la stratégie wallonne de rénovation énergétique à long terme (SRLT) actée en novembre 2020 et qui vise à atteindre en moyenne le label PEB A en 2050.  

Parmi les mesures prévues dans le PACE, on retrouve notamment, une interdiction des PEB G entre 2024-2026 (la date est toujours sujette à discussion), pour les biens mis en location pour la première fois et entre 2026-2028 pour les bien déjà en location. Le PACE prévoit également une augmentation graduelle des exigences énergétiques (interdiction des PEB F trois ans plus tard, et ainsi de suite). 

Pour Canopea, il est essentiel que la mesure soit mise en œuvre le plus tôt possible, c’est à dire dès 2024 pour les premières locations et ce, pour différentes raisons. 

Atteindre l’objectif climatique 2030 

Les efforts à fournir par la Belgique et la Wallonie dans le cadre de l’ESR, sont parmi les plus élevés des états membres, il est donc logique et nécessaire que les mesures pour y arriver soient implémentées le plus rapidement possible. Le chemin à parcourir pour la Wallonie en général et le secteur résidentiel en particulier, rend difficilement concevable l’atteinte des objectifs à l’horizon 2030, si l’on se permet d’attendre encore 2 ans avant d’agir. 

Signalons par ailleurs, que la Wallonie a déjà pris du retard par rapport aux pays avoisinants, puisque la location de biens labellisés G est déjà interdite en Grande-Bretagne et le sera en France à partir de 2024.  

Inciter les propriétaire bailleur à la rénovation 

On le sait depuis longtemps, il est difficile de motiver les propriétaires-bailleurs à rénover les biens qu’ils mettent en location. Dans l’ensemble, le patrimoine locatif est beaucoup moins performant énergétiquement que les logements des propriétaires. La raison généralement invoquée est le « split incentive » ou non-alignement des intérêts22. Concrètement, la rénovation d’un logement mis en location demande un gros investissement financier de la part du propriétaire, alors que l’avantage économique de la réduction de consommation d’énergie qui en découle est au bénéfice du locataire.  

Comme de nombreuses études ont pu le constater33, le gain écologique qui serait obtenu par l’amélioration des performances énergétiques des biens mis en location (et qui bénéficie à tout le monde) n’est pas un moteur suffisant pour enclencher une vague de rénovation. 

Afin d’augmenter les rénovations du patrimoine locatif, il est nécessaire de réaligner les intérêts des propriétaires à ceux des locataires. L’interdiction des plus mauvaises classes énergétiques (tout comme l’interdiction d’indexation des loyers de ceux-ci), rend la rénovation avantageuse autant pour le propriétaire que pour le locataire, puisque l’amélioration de la performance énergétique est bénéfique au locataire (via la diminution des factures), mais apporte également des avantages aux propriétaires (autorisation de mise en location ou indexation du loyer). 

Une mesure sociale indispensable 

La crise énergétique que nous vivons depuis plus d’un an a fait d’énormes dégâts tant auprès des PME que des citoyens qui se sont retrouvés à ne plus pouvoir payer leurs factures d’énergie. Les premières mesures prônées par les experts pour “amortir le choc” de la crise énergétique, sont les mesures de diminution de nos consommations d’énergie44. Il va sans dire qu’à contrat de fourniture identique, l’explosion du prix du gaz et de l’électricité aurait moins impacté cet hiver l’habitant d’un logement PEB A que celui d’un logement PEB G. Obliger la rénovation des passoires énergétiques, c’est avant tout protéger les locataires face aux risques de nouvelles explosions des prix de l’énergie. On ne le rappellera jamais assez, le kWh le moins cher est celui que l’on ne consomme pas.  

Permettre la location de passoires énergétiques pour les bien déjà loués jusque 2028 (2026 pour les biens mis en location pour la première fois) comme le Gouvernement pourrait encore le décider serait une aberration sociale, alors que les prix de l’énergie restent élevés, que le tarif social étendu n’a pas été préservé et que la volatilité des prix va devenir la règle selon l’AIE (l’Agence Internationale de l’Energie). C’est une mesure nécessaire pour maitriser les factures des locataires. 

Préserver le budget de l’état 

De manière générale, accélérer la rénovation est une nécessité budgétaire pour la Belgique. Les mesures non ciblées prises par l’état fédéral pour baisser les factures (chèque gaz, mazout, baisse de la TVA), nonobstant leurs efficacités, se sont avérées catastrophiques pour le budget de l’État55. Pourra-t-on encore faire face aux prochaines envolées des prix ou vaut-il mieux les anticiper, notamment en accélérant les rénovations ? 

Que faire des copropriétés ? 

Même s’il est souvent possible d’obtenir un PEB D par des travaux se limitant à une unité de logement, les objectifs plus ambitieux nécessiteront des travaux au niveau de l’immeuble dans son ensemble. Or, pour les copropriétés, le choix de rénover est aujourd’hui soumis à une majorité des 2/3 souvent difficile à obtenir. Pour éviter que certains propriétaires ne se retrouvent en incapacité de se mettre en ordre, il est important d’intensifier l’accompagnement des copropriétés, mais également de faire évoluer les règles de décision au sein des copropriétés, par exemple, vers des majorités simples comme cela est le cas en France. 

Un régime plus contraignant pour les multipropriétaires ? 

Les loyers n’étant pas soumis à l’impôts sur les revenus, le régime fiscal actuel favorise les propriétaires. Il apparait juste que le rythme de rénovation soit plus élevé pour les multipropriétaires-bailleurs (y compris les sociétés immobilières), et on aurait pu s’attendre à ce que le PACE prévoie un renforcement progressif des obligations pour les parcs locatif étendus. Pour Canopea, les multipropriétaires devraient être tenus d’atteindre un standard minimum par bien loué, mais également un standard minimum moyen pour l’ensemble de leur parc.  

Empêcher les dérives 

On le disait plus haut, il est particulièrement difficile de motiver le propriétaire-bailleur à rénover les biens mis en location et une crainte que l’on pourrait avoir serait de voir certains propriétaires-bailleurs renoncer à la mise en location de leurs biens énergivores par manque de moyen financier nécessaire à la rénovation, ce qui aurait pour conséquence de diminuer l’accessibilité à la location. 

Il faut donc, en parallèle des obligations de rénovation et des prêts à taux préférentiels, un accompagnement proposé aux propriétaires-bailleurs et renforcer l’information sur les possibilités alternatives, tel que par exemple le recours aux Agences Immobilières Sociales (AIS)66. Il est également urgent d’accentuer la lutte contre les logements vides en parallèle de l’obligation de rénovation ; même si des mesures juridiques existent déjà, elles sont insuffisamment mises en œuvre. Un autre élément essentiel pour garantir l’accès au logement est d’éviter une explosion du loyer après rénovation, par exemple au travers d’une application plus stricte d’une grille des loyers. 

Une opportunité pour le secteur de la construction 

Finalement, l’obligation de rénovation, c’est aussi une opportunité d’accélérer la transition d’un secteur particulièrement polluant et gourmand en ressources. Rappelons que le secteur de la construction est responsable de plus de 33% des déchets au niveau européen (construction et démolition) et 31 % de l’usage de ressources naturelles. C’est un secteur qui doit évoluer de la démolition/construction vers la rénovation pour l’atteinte des objectifs environnementaux tout autant que pour préserver l’emploi du secteur, dans le cadre d’une transition juste. 

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  1. PERFORMANCE ÉNERGÉTIQUE DU PARC DE BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS EN WALLONIE, Edition 2019.
  2. S.Meyer et K.Maréchal (2016)
  3. Ibid.
  4. « Quelles solutions pour réduire nos factures d’énergies ? Analyse avec deux experts : « Réduisons notre consommation plutôt que de plafonner les prix », site internet RTBF 28/08/2022
  5. “En 2022, l’Etat a déboursé 5,5 milliards pour limiter l’impact de la crise”, Le Soir 3/12/2022.
  6. Les AIS sont des organismes à finalité sociale qui facilitent l’accès au logement à des personnes en situation de précarité, à revenus modestes ou moyens par son rôle d’intermédiaire entre locataires et propriétaires. Elles assurent un accompagnement auprès du propriétaire et du locataire pour faciliter la bonne gestion du bien locatif.