La trottinette électrique, vraiment écolo ?

  • Auteur/autrice de la publication :
  • Post category:Mobilité
  • Temps de lecture :15 min de lecture
You are currently viewing La trottinette électrique, vraiment écolo ?

Introduction

Ce 1er juillet 2022, de nouvelles règles sont entrées en vigueur régissant l’usage des trottinettes électriques. Ces règles, adoptées par la Chambre des représentants le 5 mai, limitent cet usage aux personnes de plus de 16 ans. Le déplacement à deux et sur les trottoirs a été interdit. De plus, différentes zones de stationnement (interdites, obligatoires ou autorisées) ont été précisées.

L’instauration de telles règles fait suite aux nombreux conflits d’usage liés au partage de la voie publique qui se sont multipliés avec l’apparition de ces trottinettes dans nos rues. Ces règles répondent avant tout à des problématiques sécuritaires. Néanmoins, le développement de la micromobilité électrique répond à des enjeux plus systémiques, en témoigne leur intégration dans la Stratégie Régionale de Mobilité, qui les considère comme un moyen de fluidifier le trafic en milieu urbain et de désenclaver les campagnes1.

Un enjeu finalement assez peu discuté est celui de l’impact environnemental de ces nouveaux modes de déplacement. En effet, et comme c’est le cas pour l’ensemble des moyens de transports, les solutions de micromobilité électrique ne sont exemptes d’impacts. Ainsi, il convient de se demander quel est l’empreinte écologique des solutions de micromobilité, en premier lieu desquels la trottinette. Alors, vraiment écolo cette trottinette électrique ?

Un impact qui dépend de l’usage

Pour analyser l’impact environnemental des trottinettes électriques et le comparer aux autres modes de transport, il convient d’analyser l’ensemble du cycle de vie de celles-ci, de la fabrication à la fin de vie, en passant par l’usage. Un certain nombre d’études se sont attelées à cette tâche, s’intéressant notamment aux émissions de gaz à effet de serre associées à ces trottinettes. En particulier, ces études ont analysé l’impact des trottinettes partagées en libre-service à Raleigh (USA)2, Bruxelles3 et Paris4. Une synthèse des résultats de ces études est présentée par la Figure 1.

Figure 1: Synthèse des émissions de gaz à effet de serre associées aux trottinettes électriques5

Un premier constat de ces études souligne l’importance de la durée de vie des trottinettes électriques sur leur impact environnemental. Cette durée de vie diffère fort selon le mode d’utilisation de la trottinette, c’est-à-dire selon qu’elle soit destinée à un usage individuel ou partagé. Le modèle d’affaire lié à ce deuxième type d’utilisation, orienté autour du transfert de l’usage plutôt que de la propriété de la trottinette, fait partie de ce que l’on appelle l’économie de la fonctionnalité. Cette économie de la fonctionnalité vise à intensifier l’usage des objets sur leur durée de vie. En effet, la firme gardant la possession de l’objet, elle a, en théorie, tout intérêt à allonger sa durée de vie par des opérations de maintenance préventive. En pratique cependant, dans le cadre d’offres en libre-service, les utilisateurs ont également moins d’incitants à prendre soin de l’objet. De ce fait, les trottinettes en libre-service sont souvent malmenées, soit du fait d’un usage peu consciencieux, soit du fait d’actes de vandalisme. Ainsi, la durée de vie estimée par Moreau et ses co-auteurs dans leur étude du contexte bruxellois était de 7 mois et demi. Loin d’augmenter la durée de vie des trottinettes, les offres en libre services peuvent au contraire réduire celle-ci par rapport à une utilisation individuelle (bien qu’il soit à noter que la durée de vie des trottinettes en libre-service tende à augmenter ces dernières années).

La deuxième raison avancée pour expliquer la différence d’impact entre trottinettes personnelles et partagées vient du mode de recharge utilisé. En effet, les trottinettes partagées sont généralement collectées en camionnette (bien souvent diesel) par des « juicers » en vue d’être rechargées. Ce système de recharge représente une part très importante de l’impact environnemental des trottinettes en libre-service (43% des émissions de gaz à effet de serre dans l’étude américaine). De plus, la collecte des trottinettes a également un impact social non négligeable, les juicers étant généralement sous statut d’entrepreneur indépendant.

Enfin, de nombreuses études soulignent l’importance de l’origine de l’électricité utilisée pour la recharge dans le potentiel de réchauffement climatique des véhicules électriques6. Néanmoins, dans le cas de la trottinette, cet impact reste assez limité comparativement à la production et à la collecte des trottinettes pour recharge.

Un impact qui dépend du report modal vers la trottinette

Malgré ces limitations, l’utilisation d’une trottinette électrique reste plus écologique que celle d’une voiture individuelle (Figure 1). On pourrait donc supposer qu’à l’échelle de la société l’adoption de la trottinette électrique induise une réduction des émissions de gaz à effet de serre. Malheureusement les choses ne sont pas si simples que cela, l’impact réel de l’adoption de la trottinette électrique dépendant d’un autre facteur : le report modal.

En effet, en vue d’évaluer l’impact du développement de la trottinette électrique, il importe non pas d’en analyser son impact environnemental « absolu », mais bien son impact « relatif », c’est-à-dire en comparaison des modes de transport que celle-ci remplace. Ainsi, bien que la trottinette électrique émette moins de gaz à effet de serre lors de son cycle de vie qu’une voiture, elle en émet plus que les moyens de transport par rail (train, tram, métro) et le vélo (Figure 1). Ainsi, remplacer ces pratiques par l’utilisation de la trottinette revient à augmenter les émissions totales de gaz à effet de serre.

Alors qu’en Amérique du Nord l’utilisation des trottinettes électriques partagées remplace de manière substantielle les trajets en voiture (à la fois par voiture individuelle ou taxi/VTC), ce report modal provient davantage des transports en commun et de la marche en Europe de l’Ouest7. Par exemple, une étude de Bruxelles Mobilité8 a montré que 70% des 1181 participants à l’étude auraient effectué leur trajet en combinant les transports en commun et la marche, et 44% en marchant9. A contrario, seulement 26% des répondants auraient pu effectuer leur trajet en véhicule motorisé personnel (incluant non seulement les voitures mais aussi les motos et les scooters) et 18% en taxi ou en VTC. Cette spécificité peut notamment s’expliquer par une surreprésentation des jeunes (moins de 35 ans) parmi les usagers de trottinettes, ceux-ci étant également proportionnellement moins motorisés, notamment en milieu urbain10[10].

Cette analyse doit aussi prendre en compte l’impact de la trottinette électrique sur la demande de mobilité (c’est-à-dire le développement de nouveaux trajets qui n’auraient pas été effectués sans elle). Ainsi, 5% des répondants de l’étude de Bruxelles Mobilité n’auraient tout simplement pas effectué les trajets qu’ils effectuent par trottinette électrique. La trottinette électrique tend donc à augmenter la demande en mobilité, notamment du fait d’un possible usage socio-récréatif.

Comme vu précédemment, l’impact environnemental des trottinettes électriques partagées est plus important que celui des trottinettes électriques individuelles, notamment du fait d’une durée de vie différente et d’un système de recharge énergivore. En plus de ces facteurs, une différence dans le report modal entre les deux modèles d’affaires principaux associés à la trottinette électrique (possession ou partage) accentue cette différence d’impact. En effet, les trottinettes personnelles tendent à remplacer significativement plus (44% contre 26%) l’usage d’un véhicule motorisé personnel. Ainsi, dans le cas de Bruxelles, les trottinettes électriques partagées participent à augmenter les émissions de gaz à effet de serre (émettant 21g de CO2-eq par passager-kilomètre de plus que les moyens de transport qu’elles remplacent), tandis que les trottinettes individuelles ont un impact relatif positif (émettant 50g de CO2-eq par passager-kilomètre de moins que ce qu’elles remplacent).

Conclusion : la micromobilité oui, mais pas n’importe comment !

Comme le montre l’analyse ci-dessus, le développement de la trottinette électrique partagée n’induit pas « de facto » une réduction des gaz à effet de serre, et peut même participer à l’accélération du réchauffement climatique, la faute à une durée de vie trop courte, un système de recharge très énergivore (et polluant), et un report modal depuis des moyens de transports moins polluants.

Afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre, il importe d’éviter d’utiliser ces trottinettes pour des trajets non utiles, qui n’auraient pas été effectués sinon. De plus, il convient de privilégier l’utilisation de celles-ci pour remplacer des moyens de transport plus polluants ce qui, dans le cas de la trottinette électrique partagée, signifie uniquement la voiture11. Quel que soit le modèle d’affaire associé à la trottinette, il sera toujours préférable de privilégier la marche ou le vélo, qui sont des alternatives crédibles sur les distances parcourues en trottinette électrique.

Il est cependant important de noter que, si désir il y a d’utiliser la trottinette comme moyen de transport, il est souvent plus écologique (en fonction de la fréquence d’utilisation bien sûr) d’opter pour l’achat d’une trottinette plutôt que pour l’utilisation d’un système de partage. Cela est pourtant contre-intuitif, et en fait un parfait contre-exemple du fait que l’économie du partage n’est pas forcément plus vertueuse pour l’environnement que le modèle économique classique basé sur la possession individuelle. Ainsi, il importe d’être très prudent lors de la mise en place de solutions de mobilité basées sur l’économie du partage.

Dans le cas des trottinettes électriques partagées, il est urgent d’inciter les compagnies à revoir leur système de recharge. En effet, celui-ci n’est pas une fatalité, et il pourrait être envisageable, par exemple, d’utiliser un modèle de « battery swapping » (à condition d’adapter la conception des trottinettes à ce système) avec collecte des batteries par vélo cargo. De plus, les efforts en matière d’éco-conception doivent se poursuivre en intégrant d’avantage la fin de vie afin de permettre une remise à neuf (remanufacturing) des machines et des batteries, et de faciliter encore davantage le recyclage lorsque celui-ci est inévitable.

Pour réduire l’impact environnemental de ces trottinettes partagées, un levier d’action important a été introduit par le décret du 8 juillet 2021 relatif au cyclopartage en flotte libre12. En effet, à partir du 1er janvier 2023, l’exploitation des véhicules de cyclopartage devra faire l’objet d’une licence octroyée pour 3 ans. Les conditions générales d’octroi de ces licences, qui doivent être fixées par arrêté d’exécution, pourront inclure des clauses sur l’usage d’électricité verte ou sur l’électrification des véhicules automobiles associés à la collecte13. Canopea soutient l’intégration de clauses environnementales ambitieuses dans ces arrêtés d’exécution.

De plus, ce décret fixe également la possibilité pour une commune de demander une redevance aux opérateurs, redevance qui pourrait être modulée en fonction de certains critères environnementaux. En effet, il est stipulé qu’une distinction peut être opérée entre les différentes catégories de véhicules de cyclopartage. Il est donc théoriquement possible, pour une commune, d’implémenter un signal-prix incitant à l’utilisation de véhicules avec un impact environnemental moindre. La définition de ce qui est entendu par « catégorie » semble cependant limitée aux différents types de véhicules (définis dans l’article 1 alinéa 11 du décret du 8 juillet 2021), ne permettant pas une modulation liée à la motorisation (puissance) ou à d’autres caractéristiques influant sur l’impact environnemental du véhicule.

Le décret du 8 juillet 2021 est un premier pas vers la réduction de l’impact environnemental des trottinettes électriques et autres véhicules partagés. Son influence reste cependant limitée et dépend grandement de l’arrêté d’exécution à venir. Canopea sera attentive au contenu de cet arrêté, qui définira si l’on trottine vers une micromobilité durable… ou si l’on piétine.


Aidez-nous à protéger l’environnement,
faites un don !

  1. SPW Mobilité et Infrastructures (2019) Stratégie régionale de mobilité. Volet 1 – Mobilité des personnes
  2. Hollingsworth, Copeland & Johnson (2019) Are e-scooters polluters? The environmental impacts of shared dockless electric scooters, Environmental Research Letters, 14
  3. Moreau et al. (2020) Dockless E-Scooter: A Green Solution for Mobility? Comparative Case Study between Dockless E-Scooters, Displaced Transport, and Personal E-Scooters, Sustainability, 12
  4. de Bortoli & Christoforou (2020) Consequential LCA for territorial and multimodal transportation policies: method and application to the free-floating e-scooter disruption in Paris, Journal of Cleaner Production, 273
  5. Les données pour les autres moyens de transport sous issues des données STIB (voiture, bus, tram et métro), SNCB (train) et European Cycling Federation (Vélo électrique)
  6. Nordelöf et al. (2014) Environmental impacts of hybrid, plug-in hybrid, and battery electric vehicles—what can we learn from life cycle assessment?, The International Journal of Life Cycle Assessment, 19, 1866-1890
  7. Wang et al. (2022) What travel modes do shared e-scooters displace? A review of recent research findings. Transport Reviews.
  8. Bruxelles Mobilité (2019) Enquête sur l’usage des trottinettes électriques à Bruxelles
  9. Plusieurs réponses étaient possibles
  10. Masuy, A. (2020) Principaux résultats de l’enquête sur la mobilité des Wallons – MOBWAL 2017. https://www.iweps.be/publication/principaux-resultats-de-lenquete-sur-la-mobilite-des-wallons-mobwal-2017/ & Ermans, T. (2019) Les ménages bruxellois et la voiture. https://ibsa.brussels/actualites/les-menages-bruxellois-et-la-voiture
  11. L’impact du bus peut également s’avérer plus important. Cependant cela dépend, contrairement à la trottinette, du taux de remplissage de celui-ci. Ainsi, soutenir un report modal depuis le bus irait dans le sens d’une augmentation de l’impact de celui-ci, ce qui n’est pas non plus souhaitable.
  12. Bien qu’initialement exclus du cadre de ce décret, les trottinettes y ont été rajoutée par décret le 16 juin 2022.
  13. Il est à noter que cette deuxième clause ne soutient pas l’utilisation du vélo cargo, qui pourrait cependant représenter, dans le cas des trottinettes, une alternative potentiellement intéressante aux véhicules automobiles. Une formulation plus large, basée sur les émissions de gaz à effet de serre des véhicules de collecte, aurait donc été préférable