Le loup, un marqueur politique ?

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Les événements «  environnementaux » sont connus pour peser dans la balance lors des élections. Par exemple, les évènements climatiques extrêmes ou encore les pollutions environnementales affectant la santé sont plutôt favorables aux votes écologistes. A l’inverse, d’autres modifications de l’environnement comme celles qui menaceraient certaines activités rurales traditionnelles, professionnelles ou de loisir, vont pousser le curseur très à droite. Le retour du loup constitue un cas d’école en matière de retour de manivelle politique en Europe et aux Etats-Unis.

Après des siècles de persécutions qui se sont soldées par son extermination dans de nombreuses régions d’Europe, le loup reconquiert petit à petit ses anciens territoires. Ce retour est favorisé par toute une série de facteurs dont un changement « philosophique » sur le rapport qu’entretiennent nos sociétés avec la nature et le vivant (voire l’inanimé). Changements qui ont conduit à des législations internationales, nationales et régionales qui lui confèrent un statut de protection strict. C’est un succès incontestable en matière de conservation et d’évolution des rapports humains/non humains, qui s’étend à plusieurs espèces charismatiques européennes. Mais c’est aussi – et peut-être surtout – un sacré défi de coexistence pour nos sociétés industrielles, dans des paysages aujourd’hui fortement modifiés et dominés par les activités humaines.

Le retour du loup dans les régions d’Europe d’où il avait disparu n’est en effet pas anodin. En particulier pour le secteur agricole qui s’est modifiés de manière conséquente, notamment en l’absence de grands prédateurs. Les élevages, par exemple, ont perdu en rusticité et se sont intensifiés. Et les dégâts qu’on y déplore du fait de la prédation lupine persistent malgré toute une série de mécanismes de dédommagements, d’aides et d’encadrement pour la mise en place de moyens de protection, qui se révèlent efficaces  – quand ils sont bien mis en œuvre : ceci est loin d’être anecdotique. Par exemple, en France, une majorité d’éleveurs sont administrativement protégés, mais peu d’entre eux font appel à une analyse de diagnostic afin d’évaluer l’efficacité de leur protection, empêchant dès lors de pouvoir éventuellement améliorer la situation sur une base objective.

Conflits idéologiques : le loup des urbains versus le loup des ruraux

Malgré tous les efforts déployés depuis plusieurs dizaines d’années et de l’exceptionnelle faculté d’adaptation du loup, le conflit semble s’enliser jusqu’au niveau européen. Ce 24 novembre 2022, en séance plénière, le Parlement Européen mettait de nouveau la pression sur la Commission à travers la vote d’une résolution commune1, non contraignante, dans le but de réviser à la baisse le statut de protection du loup. Pour rappel, le loup est strictement protégé et listé à l’Annexe 1 de la Directive Habitats.

La Commission européenne s’y est finalement opposée, rappelant que bien qu’en pleine croissance (on estime la population à 23000 loups en Europe), les populations européennes de loups restaient fragiles. De plus, le nombre de moutons prédatés par le loup ne représentent que 0.06% des ovins en Europe : ces prédations ne peuvent être identifiées comme la principale cause de diminution de l’activité d’élevage et d’abandon des terres. Mais elles ont un indéniable prix en terme d’adaptation des pratiques des éleveurs pouvant porter atteinte à leur qualité de vie. Les moyens de protection sont une contrainte supplémentaire qui est bien intégrée par beaucoup d’éleveurs, mais considérée comme lourde ou réellement impossible à mettre en œuvre par d’autres. On assista aussi à des refus « idéologiques ».

Au-delà des chiffres, le loup cristallise aussi les conflits entre différentes franges de nos sociétés, et ravive ou surfe sur l’éternelle fracture (réelle ou très souvent fantasmée) entre urbains et ruraux. Les communautés rurales voient le retour du loup comme une perte de qualité de vie, voire comme un facteur qui accélèrerait leur disparition. Sa protection légale implique de facto que sa présence est « imposée » par l’Etat (qui a donc le devoir de compenser les pertes), et par la part urbaine de nos sociétés, peu impactée, forcément hors-sol et déconnectée de ce qu’est la « vraie » nature. Sa présence nuirait même à la biodiversité ! Comme s’il n’en faisait pas partie !. Bien que difficile à évaluer, le braconnage, vu comme un acte de résistance, s’est vu augmenter ces dernières années. Faire valoir une position pro-loups peut encore exacerber davantage le sentiment négatif chez des personnes convaincues des seules nuisances qu’apporterait le loup.

Conflits politiques : le loup qui radicalise

La question du loup entre aussi dans le champ politique et peut constituer aujourd’hui un des facteurs de radicalisation de l’opinion politique des sociétés occidentales.

En Allemagne, où il est revenu début des années 2000, le nombre d’attaques de loup sur troupeaux domestiques serait un bon prédicteur (mais pas le seul) de l’augmentation des votes en faveur de l’extrême-droite, des partis qui sont aussi climato-sceptiques et anti-conservationnistes. A l’inverse, les partis écologistes perdent des voix (mais ce résultat est moins prononcé et se verrait surtout au niveau des Lands). Les attaques de loup constitueraient un important moteur de la radicalisation des populations qui y sont confrontées, suscitant un sentiment négatif envers les politiques environnementales. Les partis d’extrême-droite exacerbent cette situation, exhibant le loup comme une menace pour l’économie, en particulier pour les agriculteurs, et l’exploitent à leur profit, à travers les réseaux sociaux et les médias. Le loup serait le déclencheur d’ un ressentiment contre les élites urbaines qui contesteraient les pratiques traditionnelles d’exploitation des ressources naturelles.

Dans plusieurs pays européens, les partis populistes portent une attention particulière aux problèmes de prédation du loup dans les régions rurales. On observe cependant, un intérêt grandissant au sein des partis populistes pour la biodiversité et une certaine fascination pour le loup. Mais, c’est bien connu, les populistes « mangent à tous les rateliers »…

Nombre d’attaques de loups en Allemagne depuis 1998 (Clemm von Hohenberg B., & Hager A. (2022).)

Les mêmes dynamiques s’observent aux Etats-Unis, où le loup s’immisce dans des conflits en lien avec les droits de la propriété privée, l’autorité fédérale versus celle des états, ou encore la consommation des ressources naturelles. La saga des inscriptions/désinscriptions successives du loup du « Endangered Species Act », digne d’une scène des Visiteurs, est un bon exemple de ces conflits.

Au niveau du spectre politique, globalement, les Démocrates placent plus de valeur sur les thématiques environnementales que les Républicains, plutôt attachés à une utilisation traditionnelle du territoire, comme la chasse et l’élevage, ainsi qu’aux droits de la propriété privée.

Plusieurs études ont montré que l’affiliation politique était le prédicteur le plus fort, bien plus que les autres facteurs démographiques, permettant de déterminer l’attitude d’une personne sur la gestion des loups, les Démocrates et les Indépendants étant plus favorables à la réintroduction et la protection du loup, que ne le sont les électeurs républicains et du Tea Party.

Notons toutefois que le genre arrive en 2ème position, les femmes étant moins supportrices d’une protection du loup, ainsi que les personnes âgées et celles qui vivent à proximité d’une meute. Et ce sentiment négatif s’accentue avec le temps pour ceux qui vivent à proximité des loups. Cependant, ces facteurs ne sont pas aussi forts que l’affiliation politique. Mais rien n’est figé car d’autres études mettent en évidence une attitude du public envers les loups, et envers la protection de la nature de manière générale de plus en plus positive.

Carte représentant les votes majoritaires par comté lors des élections présidentielles de 2016 et la présence de meutes de loups (polygones bleus), dans l’Etat de Washington (van Eeden et al. 2021).

La part du loup

Que ce soit aux USA ou en Europe, les loups continueront leur extension et s’implanteront durablement : le risque de rejet de la population pourrait donc encore augmenter dans les années à venir. En Allemagne la croissance du loup est estimée à 36%/an et il pourrait y avoir un potentiel de 1400 meutes. Alors que les derniers comptages font état de la présence de 161 meutes pour 2020-2021.

La dynamique qui sous-tend les conflits entre l’humain et les espèces sauvages est très complexe. Prendre conscience de la nature éminemment politique de cette dynamique ainsi que des processus sociaux qui y sont à l’œuvre est crucial si on veut réussir une coexistence. Cela commence bien sûr par une réduction maximale des attaques sur le bétail et la proposition d’un ensemble de mesures qui permettent aux éleveurs d’y faire face sans perdre en qualité de vie. Chaque « camp » devra aussi laisser une partie de ces attentes et un équilibre sera nécessaire : il n’y aura jamais de zéro prédation, ni zéro tir de loup, mais la limite devra être bien définie. Dans ce contexte du retour d’un grand prédateur, le terme « coexistence apaisée » semble pour l’instant très peu réaliste.

Références

  • Ledger, S.E.H., Rutherford, C.A., Benham, C., Burfield, I.J., Deinet, S., Eaton, M., Freeman, R., Gray C., Herrando, S., Puleston, H., Scott-Gatty, K., Staneva, A. and McRae, L. (2022). Wildlife Comeback in Europe: Opportunities and challenges for species recovery. Final report to Rewilding Europe by the Zoological Society of London, BirdLife International and the European Bird Census Council. London, UK: ZSL.

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  1. Parmi nos parlementaires belges, ont voté contre cette résolution : F. Ries (MR), M. Tarabella (PS), P. Lamberts et Saskia Bricmont (Ecolo), M. Botenga (PTB), Sara Matthieu (Groen), G. Verhofstad (OpenVLD)
    Se sont abstenu : Geert Bourgeois (N-VA)
    Ont voté pour : P. Arimont (CSP), G. Annemans et T. Vandendriessche (VB), F. De Man (N-VA), T. Vandenkendelaere (CD&V)