L’Europe est-elle en route vers la décarbonation ?

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Les objectifs environnementaux 2030 ne seront sans doute pas atteints

L’Agence Européenne de l’Environnement a publié en décembre sa 8ème évaluation de sa politique environnementale dans laquelle elle évalue si nous sommes en route pour atteindre les différents objectifs pour 2030 fixés dans le cadre de son « Green Deal », que ce soit en matière de climat mais aussi de pollution ou de biodiversité.

A la lecture de l’analyse, on ressent un sentiment doux amer. L’agence reconnait que l’Union – à moins d’enclencher le turbo – est loin d’être en route pour atteindre ces objectifs. Peu de vert dans les objectifs mesurés comme résumé dans le tableau ci-dessous.

Les différents objectifs fixés par l’Europe, et en rouge et en orange, ceux qui ne seront pas atteints ou vraisemblablement pas atteints…

Un objectif climatique atteint, vraiment ?

Etonnamment, un des rares objectifs qui serait atteint (en vert ci-dessus) selon le rapport, est l’objectif climatique.

L’Europe s’est engagée, dans le cadre du paquet « Fit for 55 », à réduire ses émissions de GES (gaz à effet de serre) de 55% en 2030 par rapport à 1990. Si cet objectif semble énorme, il doit être relativisé. En 2022, on avait déjà réduit nos émissions de 30% par rapport à cette date, ce qui amène l’Agence à estimer que l’objectif de 55% sera « très certainement atteint ». C’est principalement pour la production d’électricité que nous avons baissé nos émissions (- 39%/2005) grâce à une baisse de l’usage du charbon. La désindustrialisation explique aussi cette baisse ainsi que des gains d’efficacité surtout dans l’industrie.  Dans les secteurs qui touchent plus directement les citoyens (transport, résidentiel) la baisse est moindre (-14%/2005), ce qui amène l’Agence à insister sur la nécessité d’agir dans ces secteurs…

Une analyse un peu plus précise amène à questionner cet optimisme de l’Agence.

  • Tout d’abord, l’évaluation des trajectoires se fait sur base des « plans climat » rendus par les 27 états membres en mars 2023.Or, comme l’a analysé Canopea pour cas de la Wallonie, ces plans sont peu crédibles. Il existe un gap gigantesque entre les objectifs qu’ils affichent (par exemple -55% de GES en 2030 dans le plan wallon) et les mesures effectivement prévues. D’autre part, l’agenda prévu – par exemple dans le plan wallon toujours – n’est déjà plus respecté (exemple : mettre en place une obligation de rénovation ou un plan de sortie des aides aux énergie fossiles). Si la situation est semblable dans les autres pays, l’Agence européenne pèche par un excès de confiance aux promesses des états et arrive ainsi à des conclusions trop optimistes.
  • Cette impression est renforcée si on regarde les « sous objectifs » censés participer à l’atteinte de l’objectif  climatique dont :  la réduction de nos consommations d’énergie (objectif d’efficacité énergétique) ou la part d’énergie renouvelable. La consommation d’énergie par exemple, diminue bien trop peu (voir graphe ci-dessous). Or l’Agence de l’environnement admet que l’UE déraille complètement de ce point de vue…
La consommation d’énergie diminue peu au niveau européen. Dans un scénario compatible avec l’Accord de Paris, (par exemple le scénario Clever EU)  elle devrait être divisée par 2.
  • La Commission européenne estime que l’introduction d’une contribution carbone sur le chauffage et le transport à partir de 2027 aura un impact significatif sur les émissions de ces secteurs. Il reste cependant à déterminer le prix de la tonne de CO2 qui sera fixé à cette date. On sait le sujet très sensible après la crise sur les prix de l’énergie de l’hiver passé… Nul doute que cela fera l’objet d’intenses arbitrages au Conseil.
  • L’objectif climatique reflète les émissions de GES effectivement émises sur le territoire européen. Un autre indicateur nous semble plus intéressant. Il s’agit de l’empreinte carbone qui évalue nos émissions liées à la consommation de biens et services, y compris donc les biens importés. Or, l’Agence souligne que cette empreinte carbone n’a pas évolué… Est-ce à dire que la réduction de GES territoriale est due à la délocalisation de nos productions industrielles polluantes ?
Un indicateur clé du rapport est l’empreinte environnementale qui tente d’évaluer l’impact de nos consommations de biens et services sur l’écosystème. Cette empreinte parmi les plus élevées du monde n’évolue pas et reste bien trop importante pour les capacités de notre planète.  

En route vers un Green deal 2

La législature européenne qui s’achève aura sans doute été la plus ambitieuse mettant, avec le Green Deal, l’environnement au cœur de sa politique. Canopea s’était réjoui de cette ambition en début de mandature et salue l’attitude volontariste de la Commission européenne actuelle qui a voulu avancer dans beaucoup de domaines. Aujourd’hui, force est de constater que c’est le niveau européen qui est à l’initiative de la plupart des politiques environnementales ambitieuses menées dans tous les pays européens y compris la Belgique

Mais, à la lecture de ce rapport, des questions demeurent. 

  • Le Green deal 1 doit être considéré comme un premier pas. L’ampleur du défi environnemental implique un green deal pour la prochaine mandature européenne et celles qui suivront. En d’autres termes, nous devons appuyer sur l’accélérateur plutôt que de faire une pause environnementale.
  • Un étendard de la politique européenne a été le plan d’investissements post covid qui a libéré des milliards € d’argents parfois levés par l’Union elle-même (et non par les états) pour investir dans des infrastructures nécessaires à la transformation énergétique (rénovation, réseaux, productions industrielles… ). Cette logique d’investissements est nécessaire mais pas suffisante. Il faut, parallèlement, désinvestir de l’économie intensive en énergie et en substances polluantes. Exemple ci-dessous avec l’évolution des subventions au fossile qui a explosé.
2022 a vu une explosion des aides publiques à l’énergie fossile suite à la crise sur le prix de l’énergie. Notre dépendance énergétique a obligé les états à financer la pollution.
  • Cela nécessite des réformes qui ont beaucoup de mal à passer… On l’a vu avec la Politique Agricole (PAC), la politique sur les produits chimique (REACH), ou la politique sur la rénovation des bâtiments (Directive EPBD) très fortement affaiblies ou bloquées.  Dès qu’il s’agit de mettre en place des réglementations plus structurelles notamment des normes environnementales sur les produits, les lobbys s’activent et les états freinent des quatre fers… Or, fixer des normes environnementales strictes sur les produits que nous consommons et prévoir des réglementations sont sans doute des leviers les plus efficaces aux mains de l’Europe…
  • Last but not least, on voit que le principal enjeu est de créer une société prospère mais inscrite dans la « post croissance ». MOINS de matières, d’énergie et de consommation déraisonnable est le seul chemin vers une société inscrite dans les limites planétaires … Me Van Der Leyen participait il y a quelque mois au sommet « Beyond growth » (au-delà de la croissance) mais la prochaine Commission devra à coup sûr l’organiser et le mettre en oeuvre.

Soyons clairs, les sondages n’indiquent pas que l’Europe prendra cette direction après les prochaines élections. Mais les sondages ne sont que des sondages. Et nous sommes nombreux à savoir que ce programme de travail est le seul moyen d’arriver au but que CANOPEA s’est fixé dans son mémorandum et que nous réaffirmons ici :

« Nous croyons que l’Europe, notamment au travers de la Belgique et de la Wallonie, doit être le laboratoire d’un nouveau système politique, social et économique qui respecte les limites de la planète tout en maintenant un haut niveau de prospérité, réparti de manière équitable. »

La bataille ne fait que commencer.

Crédit image d’illustration : Adobe Stock

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