Nature, je t’aime moi non plus

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De meilleures balises pour les hébergements touristiques en forêt

L’engouement des touristes pour la nature en Wallonie n’est plus à démontrer. En particulier depuis les restrictions de voyages à l’étranger et la fermeture d’une série de sites dans le cadre de l’actuelle crise sanitaire, il s’est encore accentué. Si c’est une bonne chose, il convient toutefois d’observer ce phénomène car on a constaté aussi de fortes concentrations de touristes qui pouvaient constituer une atteinte à l’environnement.

En conséquence, plusieurs sites sur-fréquentés, telles que certaines aires de bivouac ou réserves naturelles, ont été fermés, au moins temporairement. Alors que le tourisme de masse en Wallonie avant la pandémie était limité à quelques « spots » précis, un nombre accru de gestionnaires de territoires sont désormais confrontés à cette réalité et s’interrogent sur les moyens d’y faire face.  

Outre la question de la fréquentation des espaces naturels, lors de promenades ou de randonnées, celle de la construction d’hébergements touristiques en milieu naturel et particulièrement en zones forestières mérite également une vigilance accrue. En effet, les projets risquent d’être de plus en plus nombreux et les exemples illustrant les difficultés qu’ils posent par rapport à l’environnement naturel (et social) ne manquent pas. Ces projets peuvent s’avérer d’autant plus préoccupants qu’ils risquent d’entrainer des dégâts potentiellement irréversibles sur le milieu naturel. Sans parler de l’opposition des riverains qui n’y voient bien souvent que des inconvénients (trafic sur des voiries déjà trop chargées, nuisances diverses dont le tapage nocturne…), sans effets positifs sur l’emploi local.

Nous tentons, dans cet article, de rendre compte d’une série de problématiques liées actuellement aux projets d’hébergements en zones forestières, en nous basant sur un cas particulier qui fait actuellement l’objet d’une mobilisation citoyenne coordonnée par le collectif Caba-NON! .

D’après Marc Dufrêne, Professeur à Gembloux Agro-Bio Tech – Université de Liège, expert du patrimoine biologique extraordinaire de la Wallonie et spécialiste des services écosystémiques, ce projet présenté comme étant orienté « nature » est illustratif de plusieurs paradoxes sur ses impacts potentiels sur l’environnement et la biodiversité, sur le type de tourisme qu’il promeut et finalement sur l’ambiguïté des interprétations du CoDT.

Le cas particulier sur lequel s’appuie la présente analyse est un projet de construction de 17 maisons en bois (ou « cabanes ») de 4 façades et 2 ou 3 niveaux, sur pilotis, dans une zone forestière, ainsi que d’un parking pour 23 véhicules. Nous sommes en zone agricole, à Herbeumont, à côté d’un site Natura 2000. Il s’agit de logements « insolites »  de haut standing, du niveau de confort d’une maison traditionnelle, avec raccordement à l’eau potable, à l’électricité, parking dépose-minute, station d’épuration individuelle avec rejet dans le sol. Le tout sera installé après la mise à blanc des plantations d’épicéas.

Le projet de 17 cabanes à Herbeumont
Cabanes à Herbeumont, types de sols concernés

Selon les opposants à ce projet, les cabanes prévues à Herbeumont vont créer une série d’atteintes à l’environnement dont certaines sont irréversibles et le permis d’urbanisme ne doit pas lui être accordé. Mais ce qui nous intéresse en particulier ici, ce sont les enseignements plus généraux déduits de l’analyse de ce cas particuliers.

Des imprécisions au niveau du cadre législatif

Sans surprises, c’est le CoDT qui régit les installations en zones forestières. Le texte parle des hébergements touristiques (ou « de loisirs ») en zone forestière dans sa partie décrétale et dans sa partie réglementaire, et en particulier dans les Articles D.II.37 §4., R.II.37-10, Art. R.II.37-11 et R.II.37-14.

Dans la partie décrétale du CoDT, voici les balises théoriques permettant de cadrer le développement d’hébergements de loisirs en zones forestières. Ces hébergements :

  • doivent appartenir aux catégories suivantes : tentes, tipis, yourtes, bulles ou cabanes en bois, en ce compris sur pilotis ;
  • doivent être installés pour une durée limitée ;
  • ne peuvent mettre en cause de manière irréversible la destination de la zone ;
  • le projet (d’hébergements) doit s’inscrire dans le cadre du projet régional de valorisation touristique des massifs forestiers développé par la Région wallonne ou d’un projet de valorisation touristique des forêts développé par la Communauté germanophone.

En ce qui concerne cette dernière balise, dans une question parlementaire qui lui était adressée à ce sujet1, la Ministre De Bue précise que le projet régional de valorisation des massifs implique « que le souci de s’inscrire dans une démarche de développement durable et de protection du milieu forestier doit transparaître clairement à l’analyse du projet » et « que le projet doit participer à la démarche de mise en valeur globale et englobante au niveau de son massif, mais également au niveau régional. » La Ministre explique également que « cette analyse se déroule en bonne intelligence avec le SPW, que ce soit avec le Département Nature et Forêts pour les aspects environnementaux ou avec le Département de l’aménagement du Territoire et de l’Urbanisme pour les aspects plus spécifiquement urbanistiques. »

Or, selon Marc Dufrêne, cette référence n’est pas véritablement opérationnelle, dans la mesure où le « cadre régional de valorisation des massifs forestiers » n’est pas défini de manière claire et précise avec la définition d’une stratégie identifiant le type de tourisme qu’on veut développer dans les 4 massifs actuellement identifiés sur les 8 pressentis. En outre, vu l’engouement des touristes pour la forêt, et l’appel d’air qu’il constitue pour les projets d’hébergements de loisirs en zones forestières, ce cadre devrait obtenir un statut juridique afin de pouvoir servir d’étalon de mesure dans le cadre de la prospection et de l’évaluation des projets.  Ainsi amélioré, ce cadre clair permettrait aux acteurs concernés d’adopter une stratégie cohérente, équitable et intégrée pour un développement touristique durable dans les 8 massifs forestiers wallons, leur permettant d’anticiper les développements plutôt que de réagir au cas par cas sans vision globale.

Il semblerait d’ailleurs qu’au cours des travaux préparatoires du CoDT, la Section de législation du Conseil d’Etat avait également souligné le flou qu’entraînait le fait que ce projet régional auquel il est fait référence dans le texte « n’est, en tant que tel, pas prévu ni réglé par un texte de portée normative »2.

Par ailleurs, les termes relatifs aux hébergements de loisirs admissibles en zones forestières (« tentes, tipis, yourtes, bulles ou cabanes en bois, en ce compris sur pilotis ») ne sont pas définis dans le CoDT3. Comme le souligne également Marc Dufrêne, dans ce cadre, le terme « cabane en bois » peut également prêter à confusion. Les containers (métalliques ?) recouverts de bois posés sur des pilotis proposés dans le cadre du projet à Herbeumont peuvent-il être assimilés à des cabanes en bois dans les arbres telles qu’on se les imagine ? Quel est la différence avec les anciennes caravanes posées sur des parpaings qui avaient colonisé les bords de la Semois dans les années 60 ? Convaincu de l’opportunité et de l’importance de ce mode de partage d’expérience avec la nature pour mieux comprendre les enjeux de la biodiversité, il s’inquiète des risques actuels générés par l’absence de lignes directrices claires, notamment pour orienter les porteurs de projet sur ce qui est attendu et ce qui, au contraire, ne répond pas à la vision attendue.

L’avis de refus du permis d’urbanisme pour ce projet (émanant du Collège communal) en dit long sur les divergences liées au manque de clarté du cadre de référence. Par exemple, nous pouvons y lire : « Considérant la vision du Collège communal pour qui une cabane n’est pas uniquement celle d’une « construction peu équipée » telle que semble être la vision de la DGO4 …»4. Ou encore, il y est précisé que le Département de la Nature et des Forêts (DNF)5 estime que le projet ne s’inscrit pas dans le cadre du projet régional de valorisation touristique des massifs forestiers développé par la Région wallonne, alors que le CGT au contraire émet un avis favorable sur le projet en considérant ce même cadre6.

Enfin, qu’entend-t-on précisément par  « durée limitée » ? Une durée de 20 ans, par exemple, fait-elle partie de cette définition ? La durée des permis, pour ces types d’hébergements, aura un impact sur l’environnement naturel.  Il importe que cette durée et le nombre total d’hébergements autorisés en forêt soient définis dans le cadre du projet régional de valorisation des massifs forestiers.

Des manquements ou éléments à corriger au niveau du cadre législatif

Au niveau de sa partie réglementaire, le CoDT  prévoit une densité d’hébergements de maximum 10 par hectare, ce qui – comme le souligne Marc Dufrêne – semble peu compatible avec une philosophie visant à permettre aux touristes une expérience d’immersion dans la nature la moins impactante possible au niveau de la biodiversité.

En outre, le CoDT prévoit que – sauf conditions particulières – seule une notice d’incidences environnementales soit déposée par le promoteur du projet, mais cela ne nous semble pas suffire. En effet, dans le cadre du projet de cabanes à Herbeumont, une étude technique du projet, commanditée à un expert par le collectif Caba-NON!, montre que la notice susmentionnée comportait de nombreuses et graves lacunes (et notamment la non prise en compte d’éventuelles zones protégées situées à proximité ou l’inventaire des espèces animales ou végétales qui pourraient être dérangées, impactant par là même la biodiversité). Concrètement, selon Marc Dufrêne, le projet d’hébergements à Herbeumont risque d’impacter une zone Natura 2000 où se niche une colonie de chauves-souris rares en Europe. En outre, « l’impact de l’infiltration des dizaines de milliers de litres d’eaux usées générées par les hébergements qui vont se retrouver vu les pentes rapidement en surface et couler vers des cours d’eau tout proches ou dans ce site Natura 2000 » n’est pas du tout évalué dans la notice d’incidences.

Donc, pour limiter les risques et selon un principe de précaution, il serait adéquat qu’une évaluation des incidences sur l’environnement (EIE) – au minimum ou – si nécessaire – une étude d’impact environnemental (EIA) soit demandée pour tout projet risquant d’impacter une zone naturelle sensible située à proximité.

En conclusion

Selon le Ministre Borsus, qui répondait à une question parlementaire à ce sujet, les articles du CoDT en question ci-dessus n’ont pas été abordés dans le cadre des travaux de la « task force » chargée d’évaluer le bon fonctionnement du CoDT et « il est prématuré d’envisager une modification des dispositions du CoDT sans disposer d’un retour de terrain plus global quant au développement de tels projets »7. Par ailleurs, le ministre précise que les membres de la « task force » n’ont pas introduit de demande par rapport à ces articles.

Il nous semble indispensable que « le retour de terrain plus global » évoqué par le ministre permette d’anticiper des problèmes liés à l’installation d’hébergements en zones forestières plutôt que de les constater (considérant que dans ce cas, le mal sera fait, probablement de façon irréversible).

En outre, dans ce contexte où l’expérience de terrain et la vigilance des citoyens et d’acteurs associatifs, permet d’identifier déjà à ce stade des failles évidentes au niveau législatif, il importe de ne pas créer de précédents. Selon Marc Dufrêne : « Si un tel projet devait être accepté, c’est la porte ouverte à toutes les dérives de réinstallation des caravanes (sur pilotis) qui ont défiguré la vallée de la Semois et dont on a eu toute les peines à se débarrasser ».

Pour éviter les dérives futures et l’énergie perdue à contrer ou à défendre des projets, il semble donc légitime et urgent que les parties prenantes (DNF, CGT, communes et associations représentant les intérêts environnementaux et sociétaux) se mettent autour de la table8 et définissent ensemble une réelle stratégie de développement d’un tourisme durable dans les massifs forestiers, qui soit assortie de balises et d’indicateurs de résultats prenant en compte les intérêts économiques9, sociaux et environnementaux.

C’est cette stratégie qui permettra d’attirer les investisseurs, de satisfaire les touristes et d’enclencher véritablement la spirale vertueuse du tourisme durable et de l’écotourisme tant attendue dans les forêts wallonnes, étant donné notamment le déclin d’activités traditionnelles (exploitation du bois et chasse) à cause des crises actuellement traversées (peste porcine africaine, scolytes et changements climatiques)10.


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  1. Parlement de Wallonie, Question écrite du 06/11/2020, de Jean-Philippe FLORENT à la Ministre Valérie DE BUE.
  2. Etude juridique Habitat Léger, coordonnée par le Collectif HaLé !!, Médiation Gens du Voyage, l’UCLouvain, l’Université Saint-Louis, le Rassemblement wallon pour le droit à l’habitat, le Réseau brabançon pour le droit au logement, Habitat et Participation, 2018-2019, p. 151.
  3. Ibidem, p. 145.
  4. Avis de refus du permis d’urbanisme pour le projet de Cabanes à Herbeumont, délivré par Le Collège communal de Herbeumont, pp. 6-7.
  5. Pour rappel, selon l’article l’article R.IV.35-1 du CoDT, l’avis du DNF est obligatoirement requis pour Département de la Nature et des Forêts pour les actes et travaux situés en zone forestière (à l’exclusion des transformations de bâtiments sans agrandissement et sans modification de destination).
  6. Ibidem, p.2.
  7. Parlement de Wallonie, question 265, de Hélène RYCKMANS au Ministre Willy BORSUS, le 26 février 2021.
  8. Ce dialogue est également prôné par l’asbl Ressources Naturelles Développement (RND) qui participe au projet Agreta (information issue d’un entretien avec Valérie Doutrelepont (RND), ce 25 mars 2021.
  9. La rentabilité des hébergements est évidement une dimension à prendre en compte.
  10. Selon Valérie Doutrelepont (RND), les communes wallonnes perdent des millions d’euros chaque année à cause des dommages causés par les scolytes (propos recueillis los de l’entretien du 25 mars 2021).