Ces dernières années, différents scandales sur les pollutions aux PFAS ont été révélés au grand jour par de nombreux médias. Mais quelles sont ces substances chimiques omniprésentes dans notre quotidien ? Où les retrouve-t-on ? Comment expliquer que, malgré les enjeux sanitaires, environnementaux et économiques, la réglementation européenne traîne les pieds ? Tentons de clarifier ces questions avec une petite revue de presse !
PFAS en bref
Sans rentrer dans les détails de leur composition chimique, les PFAS – prononcé « Piface » et acronyme d’alkyls perfluorés et polyfluorés – désignent une famille de 4700 produits chimiques de synthèse.
On en retrouve un peu partout : ustensiles de cuisine antiadhésifs, emballages alimentaires1, peintures, textiles, cosmétiques, produits d’entretien, mousses ignifuges, produits électroniques, fil dentaire… Leurs propriétés ? Ils résistent à l’eau, à l’huile, à la graisse, à la chaleur, sont non-tachants, …2
Les PFAS sont considérés comme « indestructibles » dans l’environnement et dans l’organisme. Ils appartiennent ainsi à la grande famille des « produits chimiques éternels ». Dans ces substances, les liens entre les atomes de fluor et de carbone sont en effet tellement forts qu’ils rendent presque impossible leur dégradation.
Notre exposition aux PFAS
Ces dernières années, plusieurs médias ont relayé l’impact qu’avaient les industries émetteuses de PFAS sur la santé des riverains (Solvay en Italie3, 3M en Flandre4, …). Cependant, la pollution aux PFAS n’est pas limitée aux zones d’émissions industrielles. En effet, ces substances sont facilement solubles dans l’eau et se retrouvent vite dans nos sols et eaux souterraines, … En plus d’être transportées par l’eau, elles sont facilement véhiculées par l’air. Au-delà de leur diffusion dans l’environnement (air – sol – eau)5, nous y sommes exposés dès qu’on utilise un produit qui en contient !
Non seulement ils s’accumulent dans l’organisme, mais ils peuvent également entraîner des problèmes de santé tels que des lésions hépatiques, des maladies thyroïdiennes, de l’obésité, des problèmes de fertilité, des cancers (reins, testicules, …), une mauvaise élimination du cholestérol, une perturbation des fonctions endocriniennes et immunitaires, …6.
Les PFAS s’insèrent dans notre organisme de trois façons :
- Voie cutanée lors de l’utilisation de produits d’entretiens, de cosmétiques, de peintures, … ;
- Inhalation des poussières en suspension à l’intérieur ou l’extérieur des habitations ;
- Ingestion de boissons ou de nourriture contaminées.
Toutes ces particularités font qu’il est nécessaire de limiter à la source les pollutions de PFAS dans l’environnement si nous souhaitons réduire les risques sanitaires associés. Certains ont déjà fait l’objet d’interdiction (PFOA et PFOS) mais il demeure plusieurs milliers de substances appartenant aux PFAS qui se répandent dans l’environnement.
Quelle est la situation en Wallonie ?
Dans la volonté d’en savoir plus quant à l’exposition de sa population aux différentes substances chimiques (dont les PFAS), l’Union Européenne a mené un vaste programme de biosurveillance humaine (HBM4EU). L’initiative HBM4EU (2017-2021) avait pour mission d’étudier dans quelle mesure l’exposition à certains produits chimiques affecte notre santé. Pour ce faire, ils ont réalisé plusieurs campagnes de biomonitoring humain permettant d’analyser la présence des substances chimiques (ou leurs dérivés) dans le sang, l’urine et les cheveux. Ils ont ensuite étudié les liens de causalité existant entre la teneur en substances chimiques dans l’organisme et l’apparition de certaines maladies.
Dans la même logique, un biomonitoring humain est à l’agenda wallon (BMH-WAL). Ce dernier analyse la teneur en pesticides, PCB, métaux lourds, Bisphénols, PFAS, …7:
- Phase 1 (2019-2020) : consacrée aux nouveau-nés, aux adolescents de 12 à 19 ans et aux adultes de 20 à 39 ans à a révélé la persistance dans le sang et l’urine de polluants interdits depuis 40 ans ;
- Phase 2 (2020-2021) : analyse d’urine des enfants de 3 à 11 ans (600 échantillons) à souligne que la quasi-totalité (99%) des échantillons d’urine des enfants sondés contiennent des traces d’au moins un insecticide. Un enfant sur trois présentait du glyphosate dans ses urines malgré l’interdiction de cette substance au sein des produits à usage domestique ;
- Phase 3 (en cours) : 302 adultes (40-59 ans) ont été recrutés. Les analyses d’urines et de sang sont en cours.
Selon l’équipe scientifique (ISSeP) encadrant ces études, les premiers résultats obtenus se veulent rassurant car les normes sont respectées (lorsqu’il y en a) pour la plupart des substances analysées à l’exception du cadmium légèrement excédentaire chez 0,5% des enfants sondés.
Les analyses se sont également penchées sur huit catégories de PFAS. Bien que la tendance soit à la baisse, celles-ci sont présentes dans la très grande majorité des échantillons de sang des adolescents et des adultes et présentent potentiellement « un risque pour la santé pour 1% des nouveau-nés, 8% des adolescents et 7 % des adultes »8. Et encore, on ne trouve que ce qu’on cherche. Il ne s’agit ici que d’un constat portant sur l’analyse de 8 PFAS sur 4700.
De plus, pour certains PFAS la relation dose-effet9 n’est pas linéaire (non-monotone). Dans ce cas, les impacts sanitaires peuvent se déclarer aussi bien à faible concentration de polluants dans l’organisme qu’à une concentration élevée. Par conséquent, aucun seuil de concentration ne peut être considéré comme suffisant pour nous prémunir des impacts sanitaires. La seule solution consiste alors à interdire ces substances du marché. Mais pourquoi n’est-ce pas encore fait ?
L’Europe : 3 pas en avant, 3 pas en arrière
Lors de la sortie du Pacte Vert européen (Green Deal) en 2019, nous nous réjouissions d’y lire que l’Europe ambitionnait le « zéro pollution » pour « un environnement exempt de substances toxiques »10. La stratégie dédiée à l’atteinte de cette ambition (Chemicals Strategy) prévoyait même « d’interdire les produits chimiques les plus nocifs dans les produits de consommation – n’autoriser leur utilisation que lorsqu’elle est indispensable » ainsi que de « supprimer progressivement l’utilisation des PFAS dans l’UE, à moins que leur utilisation ne soit essentielle ».
Comment sont concrétisés ces bons vœux ?
Plusieurs réglementations européennes tentent déjà de limiter notre exposition aux PFAS en matière de produits chimiques, d’alimentation, de qualité des eaux, gestion des déchets, etc.
Celle ayant fait couler beaucoup d’encre dernièrement est la législation européenne encadrant la gestion de toutes les substances chimiques, connue sous l’acronyme REACH (Enregistrement, évaluation et autorisation des produits chimiques)11.
Cette réglementation détermine les substances autorisées au niveau industriel ainsi que dans nos objets du quotidien mis sur le marché. Le fonctionnement de REACH est loin d’être parfait et est critiqué par de nombreux scientifiques et professionnels de la santé.
L’un des reproches principaux concerne la méthode d’évaluation « substance par substance » menée par REACH. Au vu des milliers de substances chimiques à encadrer pour lesquelles il y a soit un manque de connaissances soit un niveau de préoccupation élevé, il serait en effet préférable d’englober des familles de substances que l’on sait problématiques plutôt que de s’épuiser à analyser une substance à la fois.
Chemtrust, une ONG européenne de défense de l’environnement et de la santé, estime en effet, qu’en raison de leur nombre, qu’il faudra des milliers d’années pour déterminer l’innocuité de chaque composé. Il a fallu plusieurs années pour parvenir à un accord mondial sur l’élimination de seulement deux types de PFAS dans le cadre de la convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants12.
L’intérêt de se focaliser sur une famille de substances plutôt que sur une substance à la fois est d’éviter de laisser la porte ouverte au déploiement de produits sur le marché dont on ne connait pas encore les effets. A titre d’exemple, une fois le Bisphénol A13 officiellement reconnu comme perturbateur endocrinien, interdit dans certains produits, il s’est aussi tôt vu remplacé par des substituts aux propriétés similaires, tels que le Bisphénol S (BPS) et B (BPB). Certains parleront de « substitution regrettable » car il s’agit également de perturbateurs endocriniens dont la toxicité est parfois pire que les substances remplacées !14 C’est pourquoi certains appellent à interdire tous les Bisphénols tant que l’innocuité de certains d’entre eux n’a pas été démontrée.
Face à ce constat, la Belgique s’était déjà présentée en octobre 2021 au Conseil européen avec une proposition pour adopter une restriction ambitieuse couvrant les PFAS en tant que groupe de substances dans le cadre de la législation REACH. La Belgique demandait alors d’interdire « toutes utilisations non essentielles des PFAS » et de « n’autoriser que des utilisations spécifiques pour lesquelles il est prouvé qu’elles sont essentielles pour la société et pour autant et aussi longtemps qu’aucune alternative n’est disponible »15.
Mais la Commission européenne ne semble pas avoir suivi cette voie préconisée dans son propre Green Deal, par la Belgique et d’autres États membres.
La révision de la réglementation REACH initialement prévue en 2022, reportée en vain fin 202316 ne figure toujours pas à l’agenda 2024 de la Commission malgré les nombreux Etats en ayant fait la demande17,18,19. Cette révision prévoyait justement que l’évaluation des risques se fasse « par famille de substances » plutôt que « par substance ».
Si les seuls arguments sanitaires ne sont pas suffisants pour convaincre les plus libéraux d’entre nous, voici l’un des messages des services de la Commission ayant évalué la magnitude du fardeau sanitaire et économique de l’exposition chronique de la population européenne à ces produits dangereux : « la traduction économique des bénéfices attendus [suite au retrait des substances chimiques sur le marché] pour la population européenne se situerait entre 11 et 31 milliards d’euros par an à l’échelle de l’UE. Le poids économique de telles mesures pour les secteurs industriels concernés était de l’ordre de dix fois inférieur, compris entre 0,9 et 2,7 milliards d’euros par an »20.
Si cette révision n’a pas eu lieu, à qui la faute ?
Vous avez dit lobbys ?
Malgré toutes ces données factuelles (études sanitaires, économiques, …), force est de constater que les géants industriels du secteur ont réussi leur lobby pour reporter à on ne sait quand ce projet de révision.
Le registre de transparence des lobbies montre que les groupes de lobbies liés à l’industrie chimique dépensent davantage que ceux liés aux technologies, à l’énergie ou à la finance. Ainsi, les entreprises telles que Bayer, ExxonMobil Petroleum & Chemical, Dow Europe, BASF, Syngenta, … ont déclaré avoir dépensé 33,5 millions d’euros en lobbying auprès des institutions européennes au cours de l’année passée21.
Un quart des entreprises déclarant dépenser annuellement 3 millions d’euros ou plus en lobbying auprès de l’UE appartiennent à la famille des « grands producteurs de produits chimiques ». Ensemble, ces entreprises ont dépensé 12 millions d’euros en 2022 pour faire du lobby sur des dossiers concernant les PFAS ou REACH22. Des dépenses faciles à supporter pour un secteur en pleine croissance économique23.
« Sans certains PFAS, la fabrication de semi-conducteurs n’est tout simplement pas possible », déclare un dirigeant européen de premier plan du secteur des puces électroniques. « Il n’y a pas encore d’alternatives sur le marché. »24 Face à cette réalité, pas étonnant que Thierry Breton, actuel commissaire européen en charge du commerce intérieur et ancien directeur général d’Atos – l’une des plus grandes entreprises numériques mondiales – ait appelé à un moratoire. Moratoire également souhaité par le chef de file des députés conservateurs au Parlement européen (Manfred Weber) ainsi que par les deux partisans de la « mise sur pause » des mesures environnementales, à savoir notre premier ministre Alexander de Croo et le président français Emmanuel Macron25.
Pour clôturer cet article, je souhaite vous relayer la réflexion du Corporate Europe Observatory, un groupe de recherche et de campagne qui s’efforce d’exposer et de remettre en question l’accès privilégié et l’influence dont jouissent les entreprises et leurs groupes de pression dans l’élaboration des politiques de l’UE :
« Il est urgent de mettre en place une réglementation pour faire face au passé et prévenir la pollution toxique à l’avenir, et cette réglementation devrait être décidée uniquement en fonction de l’intérêt public. Il existe un pare-feu d’intérêt public contre le lobbying de l’industrie du tabac sur les questions de santé publique, et ce pare-feu est maintenant exigé par les militants de la crise climatique pour l’industrie des combustibles fossiles, afin d’empêcher les décideurs de partager des plateformes, d’accorder l’accès aux lobbies et de prévenir les conflits d’intérêts.
Ne devrions-nous pas également protéger les décideurs des pressions exercées par l’industrie chimique pour défendre ses produits toxiques ? Il est temps d’exclure les pollueurs toxiques du processus décisionnel politique. »26Corporate Europe Observatory, Op. Cit.[/efn_note]
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- Canopea, Emballages : pourquoi utiliser des substances dangereuses inutiles ?, 27/05/2021
- HBM4EU, per- and poly-fluoroalkyl substances (pfas) What you need to know, 2021
- RTBF, Reportage, Solvay et les PFAS : la pollution invisible
- Le Vif, PFAS : l’entreprise chimique 3M condamnée à indemniser une famille de Zwijndrecht, 18/05/2023
- Une enquête collaborative internationale, dénommée « Forever Pollution Project », a permis de construire une carte reprenant les sites de contamination aux PFAS détectée et présumée en Europe. Cette carte utilise des données d’analyse de sols, d’eau de surface, d’eaux souterraines, …
- HBM4EU, Substance report, Per- and poly-fluoroalkyl substances (PFAS), , Juin 2022, Figure 4.1 Overview of health effects associated with PFAS et Appendix 2 “Additional information on sources of information on health effects”
- ISSeP, Biomonitoring humain Wallon (BMW-Wal)
- L’Avenir, «Polluants et substances chimiques : ce qu’on retrouve dans l’urine des petits Wallons », 24/05/2023
- « La relation entre la quantité d’exposition à une substance [dose] et les changements conséquents dans les fonctions physiologiques ou la santé (réponse) » – Définition ATSDR
- Commission européenne, Communiqué de presse, Pacte vert : la Commission adopte une nouvelle stratégie dans le domaine des produits chimiques, vers un environnement exempt de substances toxiques, 14/10/2020
- Registration, Evaluation, Authorisation and Restriction of Chemicals
- Financial Times, Op. Cit.
- Couramment utilisé depuis les années 60, le bisphénol A sert d’« unité de base » (monomère) pour la fabrication de plastiques comme le polycarbonate et certaines résines époxy, par polymérisation. (Source : ANSES)
- ANSES, Perturbateurs endocriniens : pourquoi les remplaçants du bisphénol A posent aussi problème, 27/02/2022
- La Libre, La Belgique soutient une quasi-interdiction de tous les PFAS au niveau européen, 06/10/2021
- Le Monde, « Les lobbys de l’industrie chimique ont gagné » : la Commission européenne enterre le plan d’interdiction des substances toxiques pour la santé et l’environnement », 19/10/2022
- RTBF, Polluants PFAS : un régulateur de l’Union européenne évalue une possible interdiction, 07/02/2023
- ECHA, European Chemicals Agency, ECHA receives more than 5 600 comments on PFAS restriction proposal
- RTBF, Le règlement européen sur les produits chimiques est encore reporté : « Il y a de l’irresponsabilité dans le chef de la Commission« , 24/10/2023
- Le Monde, « En Europe, le retrait du marché des substances chimiques les plus dangereuses permettrait d’économiser entre 11 et 31 milliards d’euros par an », 11/07/2023
- CEO, Corporate Europe Observatory, Big Toxics and their lobby firepower, 25/05/2023
- Financial Times, The crackdown on risky chemicals that could derail the chip industry, 22/05/2023
- CHEMSEC, Don’t believe everything you hear — European chemical industry is doing fine, 04/10/2022
- Financial Times, Op. Cit.
- Toute l’Europe, Le Premier ministre belge appelle à une “pause” sur les normes environnementales européennes, 24/05/2023