Que devrait viser un Plan énergie-climat 2030 ?

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A l’heure où les Régions et le Fédéral se penchent sur les mesures énergie-climat à mettre en place pour la décennie qui vient, il importe de bien définir les buts à atteindre. C’est en fonction du point d’arrivée visé que l’on pourra juger si le chemin est adapté. Or, pour la première fois, une évaluation des émissions totale de CO2 que la Wallonie peut encore émettre à long terme a été publiée dans un document officiel. Le comité d’experts à l’origine de ces chiffres formule également des recommandations pour que la Wallonie puisse établir rapidement ses objectifs climatiques à l’horizon 2030.

Les administrations compétentes travaillent d’arrache-pied pour doter la Wallonie et la Belgique de leurs plans énergie-climat respectifs. En Wallonie, une consultation a lieu jusqu’au 21 avril, portée conjointement par l’Agence wallonne de l’air et du climat (AWAC) et par l’administration de l’énergie (DGO4).

Mettre les bœufs devant, pour tirer la charrue

La Wallonie est en retard pour définir sa vision climatique. Selon son décret climat, le Gouvernement wallon doit définir ses objectifs de réductions de gaz à effet de serre pour 2030 d’ici le 30 septembre 2017, en s’appuyant sur une proposition faite par l’AWAC avant le 30 juin 2016. Le problème est qu’aucune proposition n’a encore été faite.

Toujours selon le décret climat, un comité d’experts indépendants est chargé d’évaluer la proposition de l’AWAC. Ce comité s’est réuni et a remis récemment un avis officiel. Il y recommande « qu’une proposition lui soit soumise le plus rapidement possible ». C’est logique : il est essentiel que la Wallonie de dote d’une vision claire en terme d’objectifs climatiques 2030 si elle veut définir des mesures adaptées.

Sans proposition à se mettre sous la dent, les experts nommés par le Gouvernement ont tracé quelques lignes directrices pour l’établissement des futurs objectifs climatiques wallons. Ils soulignent notamment que « la mise en œuvre aux niveaux belge et wallon des objectifs de réduction et des dispositions législatives à l’horizon 2030 actuellement en discussion au niveau européen ne garantiront pas nécessairement l’atteinte des objectifs de long terme fixés par le décret « Climat » [NDLR : -80 à 95 % de gaz à effet de serre en 2050], ni de ceux fixés dans l’Accord de Paris [économie décarbonée dans la seconde moitié du siècle]  » et recommandent dès lors aux autorités wallonnes de fixer leurs objectifs climat pour 2030 en fonction de ces objectifs de long terme, et pas seulement en fonction du cadre européen.

Un budget CO2 limité pour la Wallonie et la Belgique

Partant du budget d’émissions restant au niveau mondial, tel que défini dans les derniers rapports du GIEC, les experts proposent une estimation du budget d’émissions restant au niveau wallon. Leur estimation débouche sur un intervalle compris entre 230 et 670 MtCO2 à partir de 2014. Schématiquement, ce sont des niveaux d’émissions de CO2 cumulées que la Wallonie ne peut pas dépasser après 2014 si elle veut contribuer de manière « équilibrée » à l’effort mondial pour rester nettement sous les 2°C comme elle s’y est engagée dans l’Accord de Paris.

Plus spécifiquement, le chiffre supérieur de 670 MtCO2 correspond à une répartition du budget mondial (2°C) au prorata des parts d’émissions actuelles des différents pays et régions. Il correspond à un scénario où sont maintenues telles quelles les inégalités actuelles en terme de part dans les émissions mondiales. Ce scénario imposerait donc aux pays pauvres qui émettent déjà très peu les mêmes pourcentages de réduction qu’aux pays développés. Son caractère « équilibré » est donc discutable, mais il donne une borne supérieure dont le dépassement serait très difficile à justifier. Le chiffre inférieur de 230 MtCO2 correspond à une répartition du budget mondial (1,5°C) restant de manière égale selon la population. C’est une valeur plus proche d’une contribution « juste », même si elle ne va pas jusqu’à prendre en compte les différences d’émissions historiques[[Voir l’avis des experts pour plus de détails et pour une mise en perspective de cette notion de contribution « équilibrée ».]].

La méthodologie utilisées par les experts au niveau wallon peut facilement être déclinée au niveau d’une autre région ou d’un autre état. Ce tableur reprend notre calcul pour la Belgique, dont voici les résultats, à côté de ceux présentés par les experts pour la Wallonie (valeurs arrondies à la dizaine) :

tableur_nl.jpg

A émissions constantes à partir de 2014, la valeur inférieure du budget carbone wallon (230 MtCO2) serait épuisée après 8 ans (fin 2022), et la valeur supérieure (670 MtCO2) après 23 années (fin 2037). Des délais tout aussi courts sont obtenus au niveau belge.
Nous représentons sur les deux graphes ci-dessous trois trajectoires compatibles avec les valeurs inférieures et supérieures citées pour le budget CO2 (230 et 670 MtCO2).

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Au vu des chiffres de budget CO2 obtenus, les experts soulignent « l’ampleur et l’urgence des réductions d’émissions nécessaires dans le cadre des objectifs de limitation de température adoptés à Paris  ».

Pour contribuer de manière équilibrée à la lutte mondiale pour préserver un climat viable, la Wallonie et la Belgique devraient, de manière rapide et drastique, réduire leurs émissions de CO2 jusqu’à atteindre la neutralité carbone, à une date que connaîtront les enfants actuels.

L’ampleur de la transformation nécessaire peut impressionner. Mais des voix rappellent qu’il ne faut pas sous-estimer certaines dynamiques disruptives, comme l’innovation et le caractère non linéaire des changements de comportement humains. Ainsi, un scénario de décarbonation mondial vient d’être publié dans la prestigieuse revue Science par Johan Rockström, Malte Meinshausen et Hans Joachim Schellnhuber, notamment. Ce scénario, qui se veut simple mais techniquement réaliste, montre que l’humanité pourrait diviser par deux ses émissions de CO2 chaque décennie, en continuant la tendance actuelle qui voit la production mondiale d’énergie renouvelable doubler toutes les 5,4 années. Pour les auteurs, la décennie 2020-2030 est la plus critique et devra voir des efforts « herculéens » mis en œuvre.

Sortir de la schizophrénie et avancer vers l’objectif

Quand on est coincé au fond d’un trou, la première chose à faire, c’est d’arrêter de creuser, disait le sage…

Dans un langage moins imagé, les experts indiquent que « la prise en compte du long terme dans les décisions d’investissement et dans la planification des mesures est très importante parce que la Wallonie construit aujourd’hui des infrastructures dont la durée de vie dépasse largement 2050  ». Ce qui est décidé aujourd’hui façonne le monde dans lequel nos enfants vivront. Du coup une recommandation précise : « le Comité estime que les choix d’investissements actuels devraient être soumis à un critère de compatibilité avec les budgets d’émissions du décret « Climat » et l’objectif de décarbonation à long terme inclus dans l’Accord de Paris ».

Cela signifie que, avant d’investir dans (par exemple) une nouvelle liaison autoroutière (CHB), avant de promouvoir le développement à tout crin du transport aérien, avant d’autoriser de nouvelles implantations commerciales ou hospitalières dans des lieux inaccessibles autrement qu’en voiture… nos élus feraient bien de réfléchir aux conséquences de tout cela.

Il sera ensuite possible de mettre en place les politiques de transition adéquates, qui permettront de sortir – progressivement, mais sans retard – de l’âge des énergies fossiles (pétrole, gaz et charbon). En la matière, le comité d’experts estime que « le plan « air, climat, énergie » (PACE) ne constitue pas, dans sa forme actuelle, un véritable outil de planification devant permettre de conduire au respect des budgets [d’émissions]. Il invite les autorités wallonnes à préciser au plus vite les mesures qui y figurent  ».

Il s’agit aussi, de la part des autorités, de donner un mandat clair et cohérent aux administrations compétentes, et de les doter de suffisamment de ressources pour mener à bien le travail « herculéen » que constitue la mise en place d’une transition vers une société décarbonée.