Sentiers publics : les dérives du collectif « Ruralité » (alias lobby anti sentiers publics)

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Lors d’ une conférence de presse ce 28 juillet 2022, un nouveau collectif au nom pour le moins original, « Ruralité », composé d’associations de propriétaires fonciers  (NTF, FWA, FEDIEX, SNPC, ARDH&J, SRFB, FWCH, RSHCB, CBB, FNEF, UAW ) s’en prend ouvertement à la plate-forme de promotion de la mobilité douce/active ( composée de Chemins de Wallonie, FFE, SGR, TAP, MBF, FFBC&VTT, SDC, A&G, GRACQ, Canopea (ex IEW)). Voici la réaction argumentée, critique et constructive de cette plateforme.

Inexactitudes et raccourcis grotesques:

Au risque d’être long dans un sujet sensible qui ne peut accepter des raccourcis et simplismes, voire des inexactitudes, il y a lieu de regretter que ce collectif qualifie les associations de la plate-forme « d’activistes » qui « prôneraient notamment la destruction d’une clôture qui entrave le passage public » alors que les associations de cette plate-forme veillent à l’intérêt public. Précisons ici  que l’article 88.8° du Code Rural confère effectivement l’impunité à tout utilisateur d’un chemin ou sentier public de l’atlas ou utilisé par le public librement depuis 30 ans  s’il se fraye un passage sur cet itinéraire public en vertu de la législation, en brisant le cas échéant une clôture placée en travers du tracé du passage public par un riverain accapareur. Mieux, cet  article permet même de ne pas être poursuivi en brisant la clôture latérale vers le riverain si le passage sur l’itinéraire public s’avère impossible. Dans ce cas, la commune doit indemniser le riverain lésé tant que la viabilité du tracé public n’est pas assurée. Contrairement à ce qu’affirme le Collectif « Ruralité », il ne s’agit pas ici de se faire justice soi-même mais d’une application de la liberté constitutionnelle d’aller et venir sur une voie publique et de la jurisprudence et de la doctrine relative au cas de force majeure.

Le collectif prétend aussi que nous affirmerions que « le simple passage sur un terrain privé entraine d’office la création d’une voie publique sans autre modalité ». Ce que nous affirmons, c’est que pour les itinéraires où le public circule en toute liberté depuis 30 ans selon les exigences de l’article 2,8° du décret voirie du 6.2.2014, une servitude publique de passage se crée de plein droit dès que les 30 ans d’utilisation publique sont avérés en vertu des art. 27 et 28 al.1er du même décret qui recopient une jurisprudence constante de la Cour de Cassation (arrêt du 20.5.1983 et une dizaine d’autres) . En dehors de ces circonstances précises, il n’y a évidemment pas de création d’une voie publique et nous ne l’avons jamais prétendu.

Le collectif prétend aussi que nous affirmerions que « Le propriétaire ne devrait légalement plus pouvoir mettre aucun panneau ni clôture »  En réalité, dans l’avant-projet d’arrêté d’exécution du décret voirie nous proposons, dans les dispositions relatives à la signalisation le long des voiries, que les panneaux de type « chemin privé » fassent l’objet d’une information au collège communal pour que celui-ci puisse , le cas échéant, faire savoir qu’il s’agit en réalité d’une servitude publique de passage si c’est le cas. Nous n’avons écrit nulle part qu’un propriétaire ne pourrait plus se clôturer si sa propriété n’est pas traversée par une servitude publique de passage. C’est sur les servitudes publiques de passage que ce panneau devient une infraction que nous combattons.

Le Collectif affirme aussi que nous voulons que les communes puissent aménager « ces voies » (les servitudes publiques de passage) sans exproprier ni indemniser le propriétaire.  On rappellera ici au collectif que l’arrêt de cassation du 18.6.1891 « vincule sur les servitudes publiques de passage le droit de propriété quel qu’il soit qui  y est dominé par l’affectation au service public » et permet dès lors à la commune de prévoir le revêtement qu’elle souhaite y  réaliser (y compris en dur). L’avant-projet d’arrêté que nous avons proposé au Gouvernement prévoit d’ériger en infraction toute action visant à supprimer une voie publique (y compris les servitudes publiques de passage) par prescription, conformément à l’article 30 du décret qui interdit de supprimer une voirie communale par prescription.

Le collectif verse ensuite dans le délire en déclarant « Cet activisme véhiculé par certaines associations de la fonction socio-récréative  est un véritable manifeste incitant à la violence et à la justice privée » .  C’est ,au contraire,  l’outrecuidance de certains propriétaires (une minorité heureusement) à s’emparer de chemins et de sentiers de l’atlas qui provoque certaines violences avec les utilisateurs et défenseurs de ces voies car ces propriétaires violent les dispositions jurisprudentielles  en prétendant qu’il n’y a pas eu d’usage public pendant 30 ans avant le 1.9.2012 sans apporter la moindre preuve sérieuse d’une absence totale d’utilisation comme l’exige l’arrêt du 13.1.1994 de la Cour de Cassation.

De même sur des voies où le public a circulé pendant 30 ans en toute liberté, certains propriétaires sans vergogne érigent tout à coup des entraves au nom du droit de propriété et au mépris des articles 2,8°, 27 et 28 alinéa1er du décret voirie (qui n’ont fait que reprendre une jurisprudence du 20.5.1983 de la Cour de Cassation.)

Points d’accords :

La plate-forme des associations de promotion de la mobilité douce souscrit aux demandes du collectif « Ruralité » en ce qui concerne le déroulement de la promenade en harmonie et de façon paisible dans le respect par tous des lois existantes (y compris par les propriétaires qui ferment indument des chemins de l’atlas ou des chemins où le public circule librement depuis 30 ans).

Nous ne mettons pas en cause :

– le principe de l’expropriation préalable avec indemnisation mais une servitude publique de passage n’est pas une expropriation.                            

– Les panneaux d’interdiction d’accès sur des propriétés privées sauf s’ils se situent sur des servitudes publiques de passage.                                      

-la compétence des tribunaux pour régler les conflits dans le les limites fixées par le législateur.                                                       

Points précisés et recadrés :

-La forêt publique et privée n’est pas seulement « accessible au public sur les chemins et sentiers conformément au balisage » mais aussi sur tous les chemins et sentiers de l’atlas ainsi que sur les chemins et sentiers où le public a circulé sans entrave pendant 30 ans même s’ils ne sont pas balisés.  Si le balisage est intéressant pour guider le promeneur, il n’est pas possible  de limiter la promenade aux seuls itinéraires balisés en vertu du code du tourisme.

-La plate-forme de la mobilité douce active n’essaye  pas de « modifier les usages  ou de jeter le doute sur les règles et le fondement légal qui organise la voirie rurale ». Au contraire, nous voulons que cessent des dérives pratiquées par des propriétaires accapareurs qui n’hésitent pas à entraver des voies publiques parce que le passage du public les dérange.

-Il n’y a plus « 50% de promeneurs en plus » Durant la pandémie, des cas de pénétration de « nouveaux » promeneurs sur des chemins réellement privés ont pu être déplorés mais depuis que ceux-ci ont délaissé ce seul loisir qui leur restait à l’époque du covid, les cas de débordements sont devenus beaucoup plus rares.

-Le collectif Ruralité prétend qu’ « on peut circuler uniquement sur les sentiers ouverts au public ». Il oublie que les sentiers de l’atlas entravés et ceux utilisés par le public depuis 30 ans sans être à l’atlas  sont aussi parfaitement autorisés à la circulation, même si le collectif refuse de l’admettre et y place des entraves.

-La quiétude des animaux est quant à elle beaucoup plus menacée par certaines pratiques de chasse (à cor et à cris) ,  par les véhicules de débardage que par la promenade forestière ou les VTT.

Nos souhaits

-Nous souhaitons aussi une cohabitation paisible avec une cartographie wallonne claire et non contestée des sentiers ouverts au public.

Cela implique la révision de l’atlas, en tenant compte des situations juridiques existantes, laquelle révision a cependant un cout difficile à assumer à court terme par les communes et il manque beaucoup de géomètres pour la mener à bon port dans un délais raisonnable. C’est pourquoi Walonmap (site officiel de la Wallonie) et le site Chemins.be  permettent de se faire une idée précise (mais sans valeur juridique) de ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas. Le site Chemins.be est réalisé avec professionnalisme et dans le strict respect du décret voirie et de la jurisprudence de cassation .

Il n’est pas pensable, comme l’exige le collectif Ruralité qu’il y ait un site des chemins et sentiers « non contestés » Les sentiers contestés qui sont à l’atlas ou répondent aux critères des articles 2,8°, 27 et 28 du décret voirie doivent faire partie des voiries figurant sur le site officiel car il serait sinon trop facile aux propriétaires peu scrupuleux de contester un sentier pour le voir disparaitre du site officiel.

-Les pouvoirs communaux doivent exercer leur rôle de gestionnaire de la petite voirie non pas « en toute indépendance » comme le demande  le collectif Ruralité mais dans le cadre des exigences décrétales ( notamment les art.1,  2,1° , 9 et 11 ) c à d sans pouvoir considérer que la défense et  l’entretien de la petite voirie pourtant inscrite dans les missions obligatoires des communes,  ne fait pas partie de leurs priorités ou coute trop cher. Heureusement, une majorité de communes n’agit pas de la sorte.

-Nous avons effectivement transmis à la Région Wallonne un avant-projet d’arrêté d’exécution des 13 articles du décret voirie du 6.2.2014 qui incombe effectivement au Gouvernement et que tous attendent depuis longtemps (certains sont nécessaires pour la révision effective de l’atlas). Un  règlement régional de voirie prévu par le décret y figure aussi. Ce texte est  très complet mais dérange manifestement ceux qui n’ont toujours pas digéré les articles 2,8°, 27 , 27 et 30 du décret du 6.2.2014 qui s’appliquent à tous, y compris à certains  propriétaires récalcitrants et accapareurs du patrimoine commun que constitue la voirie publique.

Une réaction orchestrée par Albert Stassen, coordinateur de la plate-forme de promotion de la mobilité douce/active.

Canopea