Six enseignements de l’Affaire Climat

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Ce texte est une reproduction intégrale d’un compte-rendu « final » du procès en appel intenté initialement par l’asbl Klimaatzaak (Affaire Climat) contre l’Etat belge pour inaction climatique. Ce dossier d’appel a été plaidé du 14 septembre au 6 octobre. L’écrivain et historien de la culture David Van Reybrouck a suivi toutes les audiences de plaidoirie et a donné des comptes rendus originaux de la salle d’audience.

Lisez de compte-rendu final ci-dessous, c’est vraiment intéressant !

L’Affaire Climat est terminée et l’atterrissage ne s’est pas fait en douceur. Nous ne connaîtrons le verdict que dans quelques mois, mais les dernières journées avaient tout d’un thriller. Un peu après six heures jeudi soir, les avocats de l’État fédéral se sont empressés de déposer encore à la va-vite, par courriel, un rapport européen de plus de cent pages. Et hier matin, à peine une heure avant la clôture de l’audience, ils ont encore hâtivement fait intervenir une experte. Après huit ans de procédure et plus de trente-trois heures de plaidoiries devant la Cour d’Appel de Bruxelles, ces manœuvres de dernière minute ont eu de quoi surprendre. Les échanges dans ce match de boxe auront duré jusqu’à la toute dernière minute du dernier round. Quels enseignements pouvons-nous en retenir? 

La plaidoirie des avocats de l’Affaire Climat est une construction sans faille

La nervosité caractérisant une dernière offensive improvisée en toute hâte laisse présumer que les avocats des autorités belges sentaient venir l’orage. Malgré leurs efforts effrénés des dernières semaines pour infirmer la plainte de l’Affaire Climat, ils n’étaient apparemment pas suffisamment sûrs de leur fait. Les avocats de l’Affaire Climat avaient développé une plaidoirie inébranlable sur les manquements des autorités flamandes, wallonnes, bruxelloises et belges, à la lumière de ce qu’elles savaient, de ce qu’elles promettaient et qu’elles auraient dû faire. Les efforts fournis sont tellement insuffisants qu’ils violent finalement les droits fondamentaux des citoyens belges, aujourd’hui et demain. La surmortalité au cours des canicules s’élève ces vingt dernières années à dix mille décès prématurés. Une démonstration du genre à laisser sans voix.

De même, la requête d’une réduction contraignante était solidement élaborée. Partant du budget carbone restant, les juristes de l’Affaire Climat ont calculé combien nous pouvons encore émettre. Même avec la mauvaise foi d’oublier nos émissions historiques, même en ne tenant pas compte de l’industrialisation et de la colonisation belges, même en nous contentant d’une modeste chance de réussir à rester en dessous de la limite d’un degré et demi, même en nous comportant en parfaits égoïstes néocoloniaux qui se permettent d’émettre plus que les pays pauvres, il nous faut encore réduire nos émissions pour 2030 de 61 % par rapport à 1990. Ce raisonnement tenait comme un mur en béton armé que les parties adverses ont tenté d’entamer à l’aide de petites aiguilles. Cela fait évidemment partie de leur boulot – la défense se doit naturellement de pointer les moindres détails – mais ce n’était pas vraiment convaincant.

Les Juges ont été parfaitement à la hauteur

Je me demande encore comment ils font, mais écouter pendant 33 heures des plaidoiries particulièrement techniques, souvent récitées à partir de documents, sans laisser faiblir son attention, sans la moindre marque de sympathie ou d’antipathie, sans le moindre petit coup d’œil sur son portable, et interrompre de temps à autre par une question d’une grande perspicacité révélant une parfaite maîtrise du dossier : vraiment, chapeau bas! Tout comme lors du procès en première instance, j’ai de nouveau été très impressionné par la qualité des juges. Quoi qu’ils écrivent prochainement dans leur verdict, mon respect n’en pâtira pas. En plus, outre son professionnalisme, la présidente s’est autorisé à dévoiler aussi un peu son côté humain. Ne fût-ce que par sa manière de s’adresser chaque matin au début de l’audience à toutes les personnes présentes par un « Vous pouvez vous asseoir » teinté de gentillesse.

Notre fédéralisme a des ratés 

Une des raisons principales expliquant l’insuffisance récurrente de notre politique climatique est la coopération caduque entre les régions et l’État. Est-ce que le climat est une question plus difficile pour un pays fédéral que pour un pays unitaire ? Pas nécessairement. Prenons l’exemple de l’Allemagne. Mais là-bas, la hiérarchie entre les niveaux est beaucoup plus claire. Il est écrit dans la constitution allemande que Bundesrecht bricht Landesrecht. Le niveau fédéral prévaut sur les Länder. La constitution belge, au contraire, n’oblige qu’à un fédéralisme de coopération. Mais quoique gravé dans le marbre, malgré les multiples remontrances européennes, malgré la demande toujours plus forte des citoyens appelant à une coordination sérieuse des efforts : il n’en est rien.

La raison en est toute simple : notre constitution actuelle date d’une époque où la conscience d’une grande crise planétaire existait à peine. Elle n’a pas été écrite sur mesure d’une crise climatique. Heureusement, il ne nous faut pas gaspiller de longues années à réécrire une constitution. Coopérer est toujours possible. La crise du Covid-19 et de l’énergie ont prouvé qu’un comité de concertation ad hoc est capable de fournir de l’excellent travail. « Quand on veut, on peut », a asséné Carole Billiet, l’avocate principale de L’Affaire Climat. Toute la question est que la pandémie et les prix de l’énergie étaient des crises aiguës et que le climat évolue plus lentement. C’est précisément la raison pour laquelle une condamnation juridique prendrait tout son sens. Quand on doit, on peut aussi.

La Flandre est à la traîne 

L’Affaire Climat asbl a toujours pris pour cible l’ensemble des autorités belges, mais il est apparu une fois de plus au cours des audiences que la Flandre fait preuve de moins d’ambition que les autres gouvernements. D’accord, la région est plus peuplée, nous faisons la navette à qui mieux mieux et nous avons deux ports importants, mais en comparaison avec les efforts fournis par Bruxelles et la Wallonie, nous faisons preuve de moins d’enthousiasme pour un travail de fond. L’époque où la NVA pouvait se permettre d’organiser des bus pleins d’argent factice vers la Wallonie pour illustrer les fameux transferts, est révolue : bientôt, les Francophones pourront organiser des camionnettes pleines de budget carbone vers le Nord pour dénoncer notre indolence. Le hamac social du sud trouve son pendant dans le hamac économique du nord. Que les avocats de la Région flamande se soient présentés presque tous les jours en retard à l’audience, n’a pas servi leur cause. Leur plaidoirie succincte, lue par une jeune juriste qui ne faisait évidemment aussi que son boulot, contenait littéralement les mêmes phrases qu’en première instance et semblait avoir été rédigée au cabinet Demir. « La politique climatique de la Région flamande est ambitieuse, mais surtout réaliste », a-t-on entendu par trois fois. C’est ce que dit aussi un fumeur qui ne fume plus qu’un demi-paquet par jour.

Les autorités sont sévères pour leurs citoyens, mais accommodantes pour elles-mêmes 

Comment les autorités réagiront-elles à une condamnation éventuelle ? Se concerteront-elles sur-le-champ, comme l’a fait cette semaine le Gouvernement flamand après l’arrêté accablant du Conseil d’État dans le dossier Ineos ? Ou ignoreront-elles, à l’image de la secrétaire d’État à l’Asile et la Migration, Nicole De Moor, la condamnation et les astreintes, au prix de laisser vider les bureaux ? Ineos est une affaire de 4 milliards. Alors oui, dans ce cas, il existe soudain une volonté politique. Un craqueur d’éthane coûteux est manifestement plus puissant que quelques misérables migrants. Mais un gouvernement qui dit : « une décision de justice vaut pour tout le monde, sauf pour nous », joue avec le feu, d’autant plus par les temps qui courent et qui voient décliner la confiance en les institutions, c’est le moins qu’on puisse dire. Une politique estimant que les citoyens doivent connaître et respecter les lois et se permet ensuite d’ignorer une condamnation, porte fondamentalement atteinte à l’être même de l’État de droit et à la confiance aux autorités. Il faut surtout poursuivre dans cette voie si on cherche à attiser davantage la méfiance envers la démocratie, comme il est apparu dans le sondage effectué cette semaine par Knack et Le Vif.

Abus dans les nues 

Les quatre semaines pendant lesquelles j’ai suivi l’Affaire Climat en appel, ont plus ou moins coïncidé avec les épisodes de la série Godvergeten à la VRT. Cette série sur les abus sexuels dans l’Église a suscité, à juste titre, une immense indignation collective. Comment est-il possible, nous demandons-nous, que des violations aussi graves des droits humains les plus intimes ont pu être commises par des personnes investies de si hautes responsabilités, qu’elles étaient connues et sont demeurées néanmoins impunies? Mais le temps viendra où, peut-être dans pas si longtemps, les gens considéreront la politique climatique actuelle de ce pays et se demanderont avec stupéfaction : mais comment est-il possible que des violations aussi graves, d’aussi grande envergure et aussi prolongées des droits humains les plus élémentaires, ont pu être commises par des personnes investies de si hautes responsabilités, qu’elles étaient partout connues et sont demeurées impunies pendant des années ? Des violations des droits de l’homme dénoncées en outre depuis de longues années? 

Hier, les diverses parties adverses ont argumenté qu’aussi longtemps que le degré et demi de réchauffement n’était pas dépassé, il ne pouvait être question de faute. Je n’invente rien. J’avais aperçu dans le public Caroline Lamarche, une écrivaine francophone qui est, avec sa fille, co-demandeuse dans l’Affaire Climat. Atteinte de mucoviscidose, sa fille ignore combien il lui reste à vivre, mais il lui est de toute façon impossible de vivre dans des villes comme Bruxelles ou Liège à cause de la pollution de l’air, avec toutes les conséquences que cela entraîne pour sa vie sociale et professionnelle. J’ai aperçu aussi Ben Van Bunderen-Robberechts, le jeune qui s’était jeté à l’eau dans les Ardennes pour tenter de sauver une amie il y a deux étés – en vain. Elle s’est noyée dans ces inondations dévastatrices. J’ai songé aussi à mon propre père, décédé prématurément lors de la canicule de 2006. En tant que néphrétique, il était hypersensible à des conditions climatiques extrêmes. Il n’avait que soixante-sept ans et il n’a pas pu voir grandir ses petits-enfants. Les victimes des abus dans l’Église sont demeurées très longtemps invisibles – elles ne le sont heureusement plus aujourd’hui. Mais les victimes d’abus dans les nues demeurent toujours à peine connues, bien qu’elles soient des milliers. C’est le grand mérite de l’Affaire Climat d’avoir proclamé haut et clair cette injustice. Dès lors, il ne reste plus qu’à attendre une condamnation.

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