Sublimer nos peurs

  • Auteur/autrice de la publication :
  • Post category:Société
  • Temps de lecture :7 min de lecture
You are currently viewing Sublimer nos peurs

Un roman

Au moment de la sortie, en 2006, du roman de l’américain Cormac McCarthy,  La Route, roman couronné du prix Pulitzer, les lecteur·trices étaient unanimes : ce récit fait peur, « et pas comme une vague histoire à suspense, mais de manière profonde, c’est-à-dire jusqu’à nos retranchements les plus secrets ».

Pourquoi ? Parce-que McCarthy, dans son œuvre, et particulièrement dans ce roman post-apocalyptique explore sans la moindre concession, dans son style particulier, quasi poétique, la question de l’individu dans le monde, du sens de l’existence, de ce qui constitue notre humanité aux prises avec le bien et le mal. Il a, avec La Route, poussé l’exploration très loin et cela, de manière tout à fait crédible : dans ce roman, du monde – et particulièrement d’un monde qui fut prospère, l’Amérique -, il ne reste rien, si ce n’est des décombres calcinés, de la poussière, un ciel définitivement gris, des corps.

Mais aussi, la pulsion assassine et le désir de survivre de quelques humains. Ne demeure donc que l’être humain face à lui-même.

Que reste-t-il quand il ne reste rien d’autre que nous ?

Parmi eux, l’homme et le petit garçon, son fils né durant la catastrophe. La mère, épuisée, a choisi la nuit. Et le fils interroge car il ne comprend plus pourquoi on ne peut plus faire confiance. Y a-t-il encore des gentils ? Pourquoi ? Pourquoi ? … « « On porte le feu », dit le petit. La survie n’est pas son objectif, sa fin ultime. Ce qu’il veut, lui, c’est secourir cet homme foudroyé sur un talus, recueillir ce petit garçon entrevu au coin d’un immeuble, nourrir ce vagabond aveugle dans la tempête. Ne pas être comme l’animal tapi au fond de chaque être, ce fauve cannibale qui a ressurgi partout autour de lui. Et ne même pas ressembler à ces « deux animaux traqués tremblant comme des renards dans leur refuge ». Non : être un homme par opposition aux bêtes, un « gentil » par opposition aux « méchants » qui les guettent pour les dévorer, lui et son père – mais spécialement lui »1.

Au cinéma

Le tout est narré au moyen d’une écriture simple, qui vise l’essentiel et laisse le lecteur combler les vides. La sobriété en écriture est une des caractéristiques du style du romancier américain. Ce serait probablement celle-ci qui fait que ses œuvres sont reprises au cinéma. Après All the Pretty Horses et No country for old man (par les frères Coen, deux Golden Globes et quatre Oscars), La Route ne pouvait y échapper. Le pari n’était pas simple mais l’œuvre romanesque se retrouve bien dans cette adaptation cinématographique, sauf, sans doute, à la fin où le cinéaste a répondu à une question demeurée ouverte dans le roman : l’homme rencontré est-il fiable ou non ?. La musique de Nick Cave et Warren Ellis s’adapte parfaitement à cette épopée minimaliste.

Une superbe bande dessinée

Plus de 18 ans après la sortie du roman, et alors que Cormac Mc Carthy venait de quitter ce monde, l’auteur de BD, Manu Larcenet « signe l’album le plus terrifiant jamais dessiné par l’homme (…) « La Route » entre dans la tête du lecteur pour y rester à jamais. »

« Derrière chaque mot de McCarthy, Manu Larcenet dessine la vie et la mort. L’artiste s’approprie les ténèbres de l’auteur en silence pour voyager (…) jusqu’au vide absolu de l’inéluctable. Son roman graphique hisse de la beauté dans l’horreur. La Route était un chef-d’oeuvre de la littérature, c’est aussi désormais un monument de la bande dessinée »2.

C’est parce-que c’est exactement ce que j’ai ressenti à la lecture de cette BD3 – tout en ayant lu par ailleurs, il y a pas mal de temps, le roman et vu le film – que j’avais envie de vous inviter avec insistance à ce voyage certes terrifiant, mais surtout tellement beau. Chaque dessin invite à s’arrêter pour regarder et s’imprégner, le rythme est lent, le silence omniprésent, on va à l’essentiel : l’humain tel qu’il est.

Permettre, et offrir, aux lectrices et aux lecteurs de vivre à travers des productions artistiques cette terreur et cette beauté simultanément est une aubaine rare. On vit là une totale expérience à la fois de prise de conscience de ce qui dans l’humain est terrifiant, mais aussi, grâce au petit garçon, que le terrifiant ne tue pas la vie. Enfin, c’est pas sûr… « Alors d’accord« .

Pour sublimer nos peurs. Essentiel en ces temps incertains.

Crédit image d’illustration : ©️ Dargaud – image promotionnelle de la bande dessinée

Aidez-nous à protéger l’environnement,
faites un don !

  1. “La Route” de Cormac Mc Carthy : naufragés de la fin du monde, Raphaëlle Rérolle, Le Monde, janvier 2008, https://www.lemonde.fr/livres/article/2008/01/10/cormac-mccarthy-naufrages-de-la-fin-du-monde_997707_3260.html
  2. Daniel Couvreur, « Sur La Route , j’ai ressenti de la tendresse pour tous les morts que je dessinais », Le Soir, 13/04/2024
  3. Manu Larcenet, La Route, D’après l’œuvre de Cormac MacCarthy, Dargaud, 2024, 156 pp.